Ce matin, j’ai sillonné en courant le quartier Nord-Ouest de Lens, composé de « cités minières implantées en patchwork, sans lien entre elles ni avec le reste de la ville », pour citer tandem+ – architecture plus urbanisme. Hier, j’avais découvert la fosse 12-14 de nuit, et (mon imaginaire étant ce qu’il est) je m’étais sentie à Brooklyn dans les années 1970. Ce matin, en pleine lumière, l’effet était certes assez différent mais je continue de penser qu’il faut profiter de cette atmosphère apocalyptique avant d’imminents travaux ayant pour objectifs « recomposition du parcellaire en lanières et réinterprétation contemporaine de la trame pavillonnaire », ainsi bien sûr que la nécessaire rénovation d’un habitat qui, pour reprendre l’euphémisme des urbanistes, « manque de confort » – mais pas forcément d’amour, à en croire certaines maisons murées.
Certaines villes sont des palimpsestes, d’autres des patchworks, et ici l’on ressent de manière très nette les coutures entre des unités urbaines plus ou moins grandes, des superblocks que sont les divers types de corons et les cités-jardins (fosse 14) aux étonnants carrés de maisons ouvrières d’époques et de formats différents, des rosaces que présentent les cités de cheminots, enchâssées entre voies ferrées (naturellement) et voies rapides (leurs courbes s’y prêtent) aux lotissements plus ou moins cossus qui se sont construits par vagues, des années soixante à nos jours, jusqu’au point culminant de Lens, son impressionnante Grande Résidence (un peu moins de 50 hectares), dédale de tours, barres et pavillons posés sur le socle d’une dalle commerçante considérable et (fait plutôt rare) active. (Tout cela, j’en ai conscience, méritera(it) au minimum un National Geo…)
Autrement dit, ma nouvelle ville est une juxtaposition d’ensembles résidentiels, d’époques et de styles différents. J’adore. Parfois, on reste un peu interloqué (j’adore aussi) : pourquoi trouve-t-on ici une rue de grandes maisons en bois d’inspiration américaine ? par exemple. Alors on cherche des renseignements sur ladite rue, mais on ne trouve rien, et on se dit que c’est aussi bien comme ça : ce que la connaissance perd, l’imagination le gagne, et on sait de quel côté penche mon cœur.
L’un des objectifs du plan d’urbanisme en cours est de « coudre le quartier à la ville > le rendre poreux et qualifier son approche ». Je pensais à ça, ce matin en courant, avec la défiance que vous me connaissez face aux initiatives qui gomment les particularismes les plus charmants (à savoir atypiques, voire biscornus) des villes, et j’y pense de nouveau, ce soir, sous un angle tout à fait différent : je m’aperçois que c’est la méthode que j’emploie pour travailler mon manuscrit en cours. Je trouve des biais pour rendre possible une réelle porosité entre les différents éléments que je souhaite assembler. Je m’en suis rendu compte après avoir trouvé puis éprouvé un fil ad hoc pour lier/coudre diverses scènes de ma narration ayant pour cadre une enclave résidentielle. N’est-ce pas une formidable manière de clore un dimanche studieux dans la bonne ville de Lens ?