Rectangles

La première chose qui m’a frappée, quand j’ai commencé à vivre avec des chats, c’est leur propension à se trouver des espaces délimités sur lesquels se lover ; je ne parle pas de coussins ou de flaques de lumière mais par exemple d’une enveloppe en papier kraft posée sur une table basse. Hier, j’ai découvert que je faisais un peu la même chose depuis que j’ai perdu DS Vénus et, avec elle, en quelque sorte perdu Joe une seconde fois puisque je n’ai plus personne désormais avec qui me le remémorer. D’abord, j’ai décidé de sauter sur mon vélo pour attraper un train qui partait 10′ plus tard et de descendre une quinzaine de kilomètres plus loin à vol d’oiseau.

J’avais en tête l’image de bocages que je tiens pour une espèce de paradis (ça ressemble à ça, l’été :

mais pendant la saison de chasse, les mêmes paysages deviennent l’antre de l’enfer pour mes amis) ; vu du ciel, ça se passe quelque part par là :

Je m’y suis donc rendue depuis la petite gare où je m’étais arrêtée, j’ai sillonné les champs sur des chemins tape-cul où pendant une heure je n’ai croisé aucun être humain mais seulement des chevaux, des ânes, des chèvres et des oiseaux. J’ai fini par me perdre, ce qui est toujours un peu mon objectif. Je m’étais promis qu’à un moment, je me trouverais un endroit tranquille pour danser sur une chanson de The Weather Station, sans doute Atlantic (Allez, ça te fera du bien, je me disais, car je ne suis pas du genre à me laisser glisser mollement dans l’affliction) mais, après avoir passé ce qui ressemblait franchement à un portail végétal,

j’ai débouché dans un rectangle, un beau rectangle vert dont même le chemin que j’empruntais ne gâchait pas l’uniformité,

(le même vu du ciel mais pas vert)

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est un-champ-1024x545.jpg.

et, plutôt que de danser, j’ai soudain eu envie de m’étendre par terre et d’attendre la fin du monde, ce sont des choses qui arrivent.

Finalement, j’ai préféré poursuivre mon chemin que de me livrer aux intempéries, aux rats des champs et aux roues de tracteurs, mais cette pulsion morbide m’a fait oublier de danser. Je n’ai rien fait du tout, que pédaler. Il n’en reste pas moins que j’ai eu envie de m’étendre sur un (certes très vaste) rectangle et, cependant, je me chantais les mêmes chansons que ces derniers jours (il arrive que je laisse en suspens le requiem et sa bande son expérimentale pour sortir de chez moi et, en mouvement, écouter au casque ces quelques morceaux comme je m’enfermerais dans un petit placard chaud), leurs lignes mélodiques dessinant autour de mon écorchure les quatre côtés d’un rectangle rassurant.

L’une dit

If we meet
And we drink from borrowed cups
You read the room to me
All the changing of the light is torture

et il y en a d’autres, bref (ce n’est pas genius.com ici), j’ai compris que je fabriquais des rectangles dans ma tête pour pouvoir me recroqueviller dessus comme le faisaient autrefois les chats de ma vie.