Il a bien fallu que Piero Manzoni choisisse un endroit où poser son Socle du monde ; et moi, un endroit où accrocher mon NPR crépusculaire. Ce dépôt sauvage d’encombrants au sein d’une nature profuse et généreuse, piquetée de coquelicots, s’est imposé à moi. Non parce qu’on y trouve tout pour la maison (des jouets, une poubelle, un fait-tout, un bac à couverts de lave-vaisselle, des vêtements, un abat-jour, des Tupperware, etc.) mais pour son sapin de Noël artificiel sur lequel subsistent quelques décorations. Un arbre en plastique pathétiquement abandonné à la végétation dont il voudrait imiter la grâce ; un arbre dont j’aurais pensé qu’on l’avait acheté pour éviter de tuer un jeune sapin et dans lequel je voyais quasiment une concession à la flore mais que l’on a largué sans état d’âme parmi les tendres pousses du printemps. Je l’ai redressé car il gisait au milieu du tas et, quand je l’ai adossé à un mini scooter électrique, celui-ci s’est mis à jouer une petite mélodie électronique pour enfant en bas âge, incongrue dans les chants des oiseaux qui seuls jusqu’alors emplissaient l’air, et j’ai eu confirmation de mon intuition : c’était l’endroit, l’ici, l’adverbe de lieu auquel j’allais lier le repère temporel : ce sapin adossé au scooter serait le seuil du crépuscule.

C’est parti. J’ai donné le départ hier soir vers 18h23.

Le seul témoin de ce moment historique où j’ai déclaré entamé le déclin de l’espèce humaine s’est détourné, les larmes aux yeux. Pas rancunier, le lapin. Car, vous l’aurez deviné, je me trouvais au sein de mon nouveau site fétiche du dimanche soir, que jonchent les douilles de fusil.
