On passe dans un tunnel sous l’autoroute, c’est un long tunnel sans lumière à l’écart de tout, le jour commence tout juste à se lever, la brume flotte encore sur les champs, les pâtures et les friches. On débouche ici.

Après les choses deviennent moins menaçantes quoique souvent assez étranges. À Douai, il y a des châteaux d’eau siamois. Il y a aussi un château d’eau bilboquet bleu, je me rappelle l’avoir vu depuis le train, il y a bien longtemps, et l’avoir mentionné dans un poème ; un jour, je tomberai sur lui par hasard, forcément, ce sera émouvant.

Il y a une maison effondrée au bord du canal, à Noyelles-Godault.

Il y a un chemin que j’emprunte jusqu’au bout puis retour comme une digression, parce que je rêvais depuis longtemps d’y être, de prendre le temps de voir et de sentir ce que c’était que d’y être : des dizaines de fois, je l’ai regardé par la fenêtre, alors que mon train Lille-Lens longeait les champs, je rêvais d’y courir, j’y glisse sur Mon Bolide.

De là, on voit le chevalement d’Évin-Malmaison se découper dans la brume

et on aperçoit le terril 87 de Saint-Henriette, sis à Dourges (son petit frère 92 est divisé : sa moitié sud-ouest est héninoise, l’autre dourgeoise).

Et voici la coopérative agricole Uneal, sa partie qui semble à l’abandon,

jugez par vous-mêmes, les vitres sont brisées :

Sur le chemin bordé par les champs au nord-ouest et par la voie ferrée au sud-est, des lapins par dizaines, dont l’un semble avoir la même maladie que mon ami le renardeau, les yeux purulents, il se déplace avec difficulté, vient à moi comme pour me demander de l’aide puis rebrousse chemin. Il finit par dispaître dans un champ et j’ai le coeur brisé. Depuis le début de mon été cycliste, je côtoie la mort au quotidien ; des chats, des oiseaux, des souris, des rats, beaucoup de hérissons, littéralement écrasés par des tonnes de ferraille insensible. J’en deviendrais folle. Chaque jour, en roulant, je parle à ces petites victimes, je leur murmure d’inutiles consolations. Seule m’apaise la vue des animaux qui vont bien, je souris en les regardant vivre avant l’heure où nous les boulets déboulons sur leurs territoires pour notre loisir. Des foulques font la course et finissent par se prendre le bec, une poule d’eau et un lapereau regardent le canal, côte à côte, des chevaux se lavent mutuellement comme des chats. Ci-dessous, un lapin courroucé à nez de lièvre sur le chemin de halage, à Dourges.

Un peu plus loin, la grue de la plateforme multimodale Delta 3 est au repos sur ses roulettes plus grandes que moi

La voici, vue du dessous. L’autre jour, quand elle chargeait le Pasadena, je l’ai regardée glisser au-dessus de moi, c’était fascinant mais aussi effrayant – c’est pourquoi, bêtement, je n’ai pas pris de photo.

Ma virée du jour touche à sa fin, me voici à Courrières où les panneaux ne mentent pas quand ils parlent de berges effondrées.

Il s’en passe, des choses, au bord du canal, quand nous n’y sommes pas.
