Pourquoi courir la nuit ? La réponse en 7 points.

- On ne croise aucun être humain ;

2. Le calme permet d’entendre le moindre frémissement de vie animale ou végétale ;

3. On perd ses repères, de sorte que les lieux les plus familiers deviennent étranges et fascinants ;

4. Tout est beau, à la campagne comme à la ville ;

5. Si on part un peu avant le lever du soleil, on assiste au spectacle le plus sublime et le plus émouvant du monde ;

6. On est pleinement ici et maintenant, tous les sens en alerte pour ne pas se casser la figure ou basculer dans le vide ;

7. On ressent pleinement son centre de gravité : quand on ne voit pas, c’est lui qui signale au corps la pente sur laquelle il est en train de s’engager, avant même que le pied ne plonge en avant (de sorte que l’on peut s’adapter à la topographie sans se tordre la cheville ou trébucher – tout cela se joue en quelques fractions de seconde). Ce centre de gravité se situe quelque part dans le buste mais il bouge, comme une bulle dans un niveau tenu à la verticale. La méditation permet de promener la conscience dans le corps avec une précision étonnante (je peux me rendre sous l’ongle de mon petit orteil si ça me chante, j’ai appris à faire ça) mais cet exercice, courir dans le noir, touche davantage à la proprioception qu’à la morphologie.

(Je me rappelle avoir lu, il y a une vingtaine d’années, un livre d’Oliver Sacks dans lequel il était question d’une patiente qui avait perdu toute proprioception et qui ne ressentait son corps que dans une voiture décapotable roulant très très vite – si ma mémoire ne me joue pas de mauvais tour.)

Autrement dit, courir la nuit permet d’être présent à soi, au monde et à soi dans le monde avec une acuité inédite. Attention, il ne faut pas avoir peur de rentrer avec des écorchures de ronces et de la boue jusqu’aux sourcils. La seule chose qui m’ennuie, c’est qu’on risque de blesser des insectes assoupis ou des gastéropodes. C’est un vrai problème, auquel je n’ai pas encore été confrontée parce que je sais quels chemins éviter, ceux qui sont très fréquentés par les susdits, mais je ne nie pas la possibilité qu’un malheureux s’égare sur un sentier habituellement désert.