Taxon solo vs Match ultime

Parfois, je me sens comme le dernier spécimen d’une espèce en voie d’extinction qu’aucune loi ne protègerait parce que l’espèce n’aurait jamais été répertoriée. J’ai mon cri, comme toutes les espèces en ont un et il arrive que des organismes possédant certains caractères taxinomiques proches des miens pensent me comprendre alors je frétille et ils frétillent de sorte que nous frétillons de conserve mais, quand ils me répondent, il apparaît qu’un mot de ma langue leur évoquait un mot de la leur désignant une notion ou un objet qui dans la mienne n’existent pas. D’où l’émerveillement inépuisable que suscite chez moi la proximité en apparence complice d’individus issus d’espèces différentes – celle d’une foulque avec un canard, par exemple ou, plus étonnante encore et que j’ai cependant maintes fois observée (mais hélas jamais photographiée), celle d’une poule d’eau avec un lapin.

Parfois, je fais taxon toute seule, à mon corps défendant. Je regarde autour de moi, anxieuse, et je me demande, Où sont les autres ? Puis un jour tous les taxons seront éteints, comme le mien. Et alors, au point où on en sera, quelle différence au fond ç’aura pu faire que le mien soit solo ou pas ? Franchement. En attendant, où sont les autres ?

D’autres fois, je reçois un mail qui me dit « ton cas m’apparaît à la fois bien mieux barré que le mien en termes de gisement potentiel mais plus mal barré en termes de taux de match » et, bien que ce lexique ne soit pas le mien, l’usage qui en est fait me paraît plus proche de mon langage que bien des rhétoriques dans lesquelles on croirait entendre des échos de mon cri. Après avoir étudié la question, il me semble pouvoir dire que le match ultime avec un autre individu verrait se combiner une langue commune et une complicité fondamentale tandis que le désastre ordinaire qui fait de moi un taxon solo tient à ce que je ne partage ni l’une ni l’autre avec le plus gros du gisement. Mais j’y crois encore ; j’attends ; à force, je deviens presque patiente.