/ 3 : 29 000

La plupart du temps, j’oublie que je suis en train de courir, tant je suis concentrée sur ce que je vois, entends et sens. Mais de temps à autre, je suis à l’inverse pleinement incarnée, soit qu’il fasse nuit noire et que mon centre de gravité soit mon seul instrument de navigation, soit que la fatigue et/ou une douleur m’ancrent dans mon enveloppe. Ce matin, les trois facteurs étaient réunis et j’avais une conscience aiguë d’être un corps qui a couru quelque 29000 kilomètres ces huit dernières années, je me sentais à la fois minuscule, cassable et toute-puissante : si j’étais un petit véhicule à friction, ces 29000 km emmagasinés me permettraient de courir sans pause ni effort jusqu’à l’hôtel de ma bien-aimée à Monterey, Californie + si j’avais oublié quelque chose chez moi, de faire l’aller-retour pour aller le rechercher.

Les petites étoiles sur fond jaune, ci-dessus, c’est l’aura des Chalets du Nord et des Chalets Miniers que je recense – leur rayonnement est tel qu’il apparaît en vue satellite, vous voyez bien que je ne me consacre pas à des brimborions. (Il existe aussi, je le rappelle, des Chalets de Californie – voir enquête approfondie ici.) Jugez par vous-mêmes du travail que j’ai abattu, ces deux dernières années : chaque étoile est une boîte aux lettres relevée au fil de mes courses à pied – quand elle n’en cache pas une ou des autre(s) puisque, je le rappelle, le Chalet incite bien souvent au mimétisme.

J’en ai déjà repéré plusieurs en Normandie, notamment à Montmartin et à Hauteville, certains remarquables (voir capture d’écran ci-dessous). C’est qu’on en apprend, des choses, quand on voyage. Un jour, l’Insee va venir me chercher, vous verrez : comme la NASA recrute des hackers, à moins que ce ne soit une légende (ou une info périmée, j’ai entendu dire ça au début du millénaire). Bref, courir 29000 kilomètres, c’est très enrichissant.

(Ce Chalet Normand est sis à Montmartin-sur-Mer.)

Ce matin, je n’ai relevé aucune curiosité parce que j’étais concentrée sur le dedans de mon corps mais, à défaut, j’ai couru plus vite que jamais, vers la fin : j’ai dévalé la rue qui longe le cimetière, une rue à forte pente ornée de fanions multicolores, ma foulée longue et légère tandis que de l’autre côté du mur, d’autres reposaient. Un jour ce sera mon tour de franchir ce mur, sans doute des gens que je connais viendront-ils avec leur téléphone regarder une boîte descendre en terre avec moi dedans et je serai déjà devenue autre chose. Si je me réincarne, je veux bien être une poule d’eau. J’aime vraiment beaucoup les poules d’eau.