tac-tachy

Mes amies m’envoient des mails, des sms, des photos, des cœurs, des bisous depuis le Marché de la poésie. J’aimerais être avec elles bien sûr mais pas telle que je suis : sans le sable dans la tête et les yeux qui veulent sortir, sans la tachycardie, les lames de rasoir sous la peau et les faiblesses dans les jambes. Ce matin, j’ai cependant obéi aux injonctions de ces dernières, après une nuit d’impatiences dans tous les creux du corps, assez puissantes pour mettre en échec la mélatonine surdosée que mon amoureuse m’a rapportée de Californie et qui fait normalement la félicité des insomniaques (j’ai tout juste dormi le temps de rêver que mon Joe Chat bien-aimé, disparu en janvier 2017, ressuscitait dans une cour d’école et que je le serrais très fort dans mes bras et couvrais sa petite tête noire et blanche de baisers malgré une teigne si féroce qu’elle lui causait une énorme pelade). Après cette seconde nuit atroce où je me serais arraché la peau avec les ongles (sans doute est-ce la sensation qui a suggéré l’image de la pelade à mon inconscient), j’ai décidé de faire ce que je rêvais de faire quand je me trouvais dans le TER Lille-Lens, avant-hier, au retour de Barcelone. Je connaissais un segment du premier chemin que j’ai souhaité emprunter ce matin mais la plus grande partie en était condamnée jusqu’à très récemment ; on peut désormais gagner Dourges depuis Courrières par la rive ouest, où de longs travaux ont enfin abouti.

Il reste bien une grille d’interdiction, mais on peut la contourner en faisant un mini crochet par la zone industrielle.

Avant les travaux, on ne pouvait longer la rive ouest qu’à partir de cette brèche extrêmement confidentielle dans la Z.I., qu’il m’avait fallu un certain temps pour trouver après avoir, à mon habitude, exploré l’arrière-monde, ses bandes de pelouse sans issue, ses blocs de béton fibré, ses entrepôts vibrants comme d’énormes frigos.

C’est à la fois frustrant de ne pas passer sous la grue de déchargement de la plateforme multimodale et exaltant de la voir depuis l’autre côté. C’est tout de même beaucoup moins lapineux à l’ouest. Mais on peut cueillir plein de cerises. Il faut faire des choix.

Le chemin que je rêvais d’emprunter à vélo, quand j’étais dans le TER jeudi soir, est perpendiculaire à celui-ci – celui-ci étant l’ourlet de la voie ferrée sur laquelle je glissais alors.

J’ai donc fait ça, et je n’ai pas pris de photos parce que je me suis soudain trouvée au milieu d’un décor dont n’importe quel être un tant soit peu initié aux richesses de la nature se serait attendu à voir surgir un suidé. J’avais déjà roulé une vingtaine de kilomètres, le covid voulait me faire payer un péage pour me laisser aborder les 25 suivants et la perspective de sangliers s’est jointe à lui pour m’offrir une double tachycardie. Mais finalement, je me suis retrouvée au pied du terril d’Évin-Malmaison sans avoir essuyé de charge. On n’est jamais venue ici, je me suis dit – je me parle souvent au on quand je suis en exploration. Tu es sûre ? je me suis demandé (parfois le tu s’en mêle) car soudain, une topographie m’est apparue comme familière : Ce n’est pas ici qu’on a traité un chasseur de gros tas de merde, l’hiver dernier ? j’ai ajouté.

Ah, tu as peut-être raison, j’ai répondu, ce bayou me dit quelque chose. (J’en reviens parfois au je, en toute simplicité). Si un sanglier avait déboulé, je n’aurais pas osé sauter dans ce marais parce que soudain, il me semblait très vraisemblable que des alligators y vivaient – même si je n’ai vu que des poules d’eau.

Après ces 45 km finis à la rame, j’ai réussi à dormir deux heures, dehors le soleil était quasi espagnol et à Paris mes amies faisaient des selfies en laissant la place pour que je puisse coller ma tête à côté des leurs. <3<3<3