L.A.

En attendant l’heure (Valentina pensait que ça ne pouvait pas être aussi précis mais moi, je savais que ça le serait), nous avons détaillé le jury. Nous avons vu qu’il était essentiellement composé de directeurs d’institutions aussi énormes que le MoMA et nous avons compris. Puis l’heure est venue et nous avons constaté qu’il valait mieux avoir eu le prix Goncourt pour être sélectionné.e par la Villa Albertine (ce qui n’est pas sans rappeler l’adage selon lequel on ne prête qu’aux riches, à moins qu’il n’existe un gène du projet vendeur/institutionnel, dont je ne nierai pas qu’il ne m’est pas échu et je ne m’en plains pas) et, maintenant que j’ai vu quel.le.s étaient les cinq écrivain.e.s choisi.e.s (sur 80 artistes, toutes disciplines confondues), je ris d’avoir pu imaginer qu’une autrice lensoise qui n’a pas écrit de best seller aurait pu bénéficier du programme avec un projet portant sur des créatrices sonores pour la plupart underground, genre l’ombre parle à l’ombre, ce n’est pas vraiment l’esprit de la maison – plutôt scintillant. J’avais dit à ma chérie, Si je suis prise, j’appelle mes parents et mes amis pour boire du champagne ; si je ne suis pas prise, je vais assister au coucher du soleil depuis le sommet d’un terril.

Je suis allée sur le 11/19 pour voir le cher astre glisser derrière les terrils de Grenay. Les crépuscules d’ici valent bien ceux de L.A., voilà ce que je me suis dit quand je suis arrivée sur le terril tabulaire, mais il n’y avait rien d’amer dans cette pensée puisque de toute façon, Albertine or not, je serai en Californie en janvier prochain avec Valentina. Eh bien, m’a-t-elle dit quand nous avons vu la liste des heureux reçus, nous allons pouvoir nous organiser, maintenant. Parfois, je me demande comment quoi que ce soit pourrait m’ébranler tant qu’elle est auprès de moi et en quelques mots écarte tout ce qui pourrait me blesser, transforme mes échecs en lumière et leur dénie le statut d’échec.

Au sommet de 74A, le plus haut terril d’Europe, il y avait hier soir 9 personnes, 4 gamins discrets + 3 ados bruyants + 2 jeunes adultes qui fumaient un joint en silence sur une serviette de plage. Soit 1 individu/m². J’ai cessé d’imaginer comment je bondirais où et à quel moment si jamais un sanglier, etc. Ici, homo sapiens dominait, avec sa fumée âcre et sa musique commerciale nasillée par un téléphone. Je ne me suis donc pas attardée mais me suis contentée de prendre deux ou trois photos.

Il me suffisait de descendre un peu pour tout voir sans interférence humaine ni pensées suidées.

J’entendais seulement les cloches des chèvres qui vivent désormais sur le flanc du 74 voisin et que la faible luminosité (ainsi que mon incompétence technique) ne m’ont pas permis de photographier décemment. C’est flou, je sais.

Je me suis rappelé pourquoi je préfère le lever du soleil à son coucher, outre que l’énergie d’un début et celle d’une fin n’ont pas grand chose à voir. La fréquentation des lieux n’est assurément pas la même. Zéro pouce opposable à 5 ou même 6h, 18 à 22h.

Mais il est facile de se tenir à distance de 18 pouces opposables sur un site de 90 hectares alors je ne me plains pas, c’était un très chouette coucher de soleil.