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Mon Danny chéri,

Je ne sais pas si le monsieur qui pense être ton propriétaire te l’a dit mais je suis venue à Ambrines, ce matin. La route a été longue, par moments douloureuse et d’autres fois dangereuse, surtout sur les portions de route à 70 km/h sans piste cyclable – à un moment, j’ai dû m’arrêter pour consulter mon GPS, sur l’étroite bande d’herbe qui séparait les champs de la chaussée, mais j’ai senti qu’on m’observait et j’ai vu qu’un type dans un tracteur pulvérisateur, les rampes de vingt mètres prêtes à larguer des tonnes de lessive sur les céréales, me faisait signe de dégager dare-dare de manière très impolie. Je ne vais pas mentir, j’ai aussi vu de très belles choses en chemin. J’ai souvent roulé sur de beaux chemins tels que celui-ci, par exemple.

Il y avait des marqueteries à l’infini.

Il y avait Mont-Saint-Éloi et son abbaye détruite.

J’ai parfois été obligée de traverser l’habitat des sangliers

(des kilomètres et des kilomètres sans un être humain, dans un silence tel que j’en entends rarement – pas même le bourdonnement d’une autoroute lointaine, juste les bruits animaux et le vent dans les champs)

mais finalement, je n’ai croisé que des lièvres. Beaucoup de lièvres. Certains faisaient semblant de ne pas être là (ils s’accroupissaient en baissant les oreilles),

certains s’enfuyaient,

d’autres se fichaient royalement de moi – comme celui-ci, près d’un mémorial militaire comme on en trouve un peu partout au milieu des champs, par ici,

d’abord un peu défiant puis

assez confiant pour s’assoupir sous mes yeux.

Mon cœur était tout fou quand je suis arrivée dans le village où je pensais te trouver. Puis je me suis dit que j’allais être très triste quand j’allais te dire au revoir parce que la route avait été si douloureuse que je ne sais pas quand je la referai, même pour toi. J’avais déjà les larmes aux yeux en même temps que le pouls en accéléré.

Ainsi, voici la ville où vit désormais mon Danny, ai-je pensé – va-t-il me reconnaître ?

Puis je t’ai cherché dans toutes les pâtures ; j’ai vu tes anciens colocs, les poneys, ça n’a pas dû être facile tous les jours de composer avec eux. J’ai vu tes autres colocs, les vaches trop maigres, un peu hirsutes, un peu tristes, et le coq chelou. Mais de toi, pas trace.

J’ai fini par m’enquérir de toi même si aborder les humains n’est pas mon point fort, j’ai toujours peur de déranger. Mais j’avais tellement envie de te voir que j’ai frappé à la porte dont ton ancien humain m’avait donné l’adresse. Le nouveau monsieur m’a proposé d’entrer chez lui pour me montrer des photos de toi mais je n’avais pas fait 70 km de vélo dans les collines de l’Artois de haut en bas en haut en plus haut en encore plus haut pour voir des photos de toi, j’en ai des centaines, avec toutes tes coupes de poil, toutes tes humeurs, par tous les temps. Est-ce qu’il a des photos sur lesquelles tu danses avec lui ? Ça m’étonnerait.

Tu te rappelles ta cabane de Sallaumines ?

On ne la voit presque plus, maintenant. C’est vrai que tu as un bon appétit, comme le monsieur d’Ambrines le disait tout à l’heure – c’est pourquoi il a dû t’emmener dans une pâture plus grande, que tu n’aurais pas à partager avec les poneys.

À mon retour j’ai apporté mon vélo en réparation et le réparateur a dit waouh plusieurs fois et comment peut-on rouler sur un biclou dont toutes les pièces sont archi usées, chaîne distendue, plus de freins (particulièrement dangereux pour descendre les collines de l’Artois qu’on vient de monter laborieusement, d’autant plus laborieusement que la chaîne est distendue), il faut tout changer. Ce sera un tout nouveau vélo sur lequel je viendrai te chercher à Ivergny, rue des Croix, où le monsieur qui pense être ton propriétaire m’a dit que tu vivais désormais. Quelle vie tu as, de Sallaumines à Ambrines à Ivergny, à la frontière de la Somme… Je viendrai quand mon vélo et mes muscles seront remis de leurs émotions, je te le promets. Tu me manques, chou.

(Danny le 1er janvier 2021, avec son poil d’hiver qui me fait toujours sourire, quelques mois avant son déménagement pour le village d’Ambrines, vers Saint-Pol-sur-Ternoise.)