L’été plus qu’en toute autre saison, je vis avec le spectacle quotidien de la mort – lapins, hérissons et oiseaux écrasés sur des bas-côtés, abandonnés pathétiquement comme de vulgaires emballages jetés par la fenêtre d’une bagnole. Chaque fois, ça me déchire le cœur. Ce matin, au beau milieu d’un chemin, comme offerte aux chats, aux renards et aux humains dégénérés, cette petite grive sans plaie apparente mais incapable de voler ou de marcher.

J’ai voulu la percher dans un arbre (depuis que Valentina et moi avons sauvé une mésange en la posant simplement hors de portée de tout prédateur jusqu’à ce qu’elle parvienne de nouveau à s’envoler, je suis persuadée qu’un oiseau blessé peut s’en sortir si on lui laisse l’espace et le temps pour se reposer à l’abri du danger), or cette grive sautait chaque fois que je la posais sur une branche, sans doute pour essayer de s’envoler mais elle parvenait tout juste à amortir la chute. J’aurais voulu l’amener chez moi le temps de la convalescence mais il aurait fallu qu’elle passe quelques kilomètres dans ma main et je la sentais trembler sur ma paume (où elle a d’ailleurs lâché une fiente) et j’ai eu peur que son cœur ne lâche. Je ne sais jamais ce que je dois faire dans ces circonstances ; depuis l’épisode du renardeau qu’un vétérinaire a dû piquer, je ne veux plus être dans la position de choisir la mort d’un animal certes condamné mais qui n’a pas la possibilité de m’exprimer ses dernières volontés. Quand des humains me disent que j’ai fait ce qu’il fallait, ça n’a aucun poids à mes yeux : ils ne savent pas mieux que moi.

Après plusieurs tentatives infructueuses de cacher la grive en hauteur, j’ai décidé de la dissimuler dans un fourré. J’espère qu’elle pourra très vite s’envoler de nouveau.

Pourquoi faut-il que je croise si souvent des oiseaux blessés ? je me suis demandé quand j’ai repris ma course, puis je me suis rappelé cet homme que j’ai dépassé sur un sentier champêtre la semaine dernière ; j’ai d’abord remarqué que le chien avec lequel il se promenait n’avait que trois pattes (ce qui ne l’empêchait pas d’être très agile) puis j’ai entendu la musique que nasillait son téléphone, Ma gueule de Johnny, puis le monsieur s’est tourné vers moi. D’autres auraient trouvé ça très drôle mais je crois que je suis trop sensible.