à la tronçonneuse

Une maison s’est vendue dans ma rue cet été. Le panneau Vendu n’a longtemps été suivi d’aucun mouvement, jusqu’à ce que, pendant trois jours, un massacre à la tronçonneuse vienne à bout de chaque arbre, de chaque arbuste du jardin. Jusqu’à ce qu’il n’en reste pas un. Rien. Ça me retourne le ventre, ça me pousserait à faire sécession de mon espèce si je ne pensais aux amies avec qui je crée des espaces où vivre sans perdre la raison, où ne pas claquer comme une ampoule soumise à surtension chaque fois que je suis témoin d’une violence perpétrée contre un non-humain, où ne pas perdre la raison à l’idée que de telles violences sont perpétrées à chaque instant de chaque jour, innommables, innombrables, dans l’indifférence générale. Je vois par ma fenêtre des raclures de bidet à pouces opposables assassiner des êtres dont la vie valait infiniment plus que la leur, dont la vie ne nuisait pas à celle des autres mais l’accueillait ; j’assiste impuissante à l’exécution d’innocents ; je ne fais rien qui pourrait, par ricochet, me priver de ma précieuse liberté de mouvement dans un monde où ces crimes passent pour des pratiques anodines, où nous sommes une ridicule minorité à considérer comme une barbarie la mise à mort gratuite d’êtres privés de droits. Je reste non-violente parce que la violence d’une seule ne suffirait pas. Mais je n’aurai aucun respect pour notre espèce tant qu’elle ne protégera pas les autres par la loi – puisque le respect, la justice et l’empathie ne sont pas dans ses cordes et qu’elle ne comprend que l’autorité. Je crois hélas qu’elle se sera sabordée avant d’ébaucher un cheminement intellectuel dans ce sens ; la pauvre ne sait penser qu’à partir d’elle-même, son incapacité à se décentrer la rend obtuse à un point qui ne laisse aucun espoir – seule notre extinction rendra aux autres espèces la possibilité du bonheur. C’est au point que même les défenseurs de la nature sont incapables de lui reconnaître une valeur propre, intrinsèque, où l’incident homo sapiens n’aurait aucune place.

(misère de l’esprit civilisé : un aphorisme imbécile cloué sur un arbre qui n’a rien demandé)