nous ?

Oh, tu dis nous. Non, je n’ai rien contre le nous – j’en ai quelques-uns, que je chéris. Mais quand tu me prends en complicité, quand tu m’inclus d’autorité dans ce nous qui porte tes engagements, par lequel tu me rallies à tes causes, de quel nous veux-tu parler, au juste ?

Est-ce nous les artistes lesbiennes antispécistes, véganes, viscéralement écolos du bassin minier des Hauts-de-France nées dans les années 1970 qui n’avons ni enfant ni véhicule motorisé, nous levons à l’aube, sommes allergiques aux rhétoriques, aux dogmatismes et aux réseaux sociaux, explorons inlassablement l’arrière-monde, prisons le mouvement et les musiques expérimentales et estimons que le suprématisme humain est la barbarie suprême ? Pourquoi pas, même si c’est vraiment très réducteur.

Non, ce n’est pas ce que tu entends par nous ? Mais alors…

Oh, ça. Mais tu sais, j’ai fui un monde où on me disait chaque matin Salut, j’exsude Michaux, Barthes et Bashung, ça va ? ce n’est pas pour faire allégeance à d’autres figures dites incontournables. Je n’ai pas davantage besoin de maîtresses que de maîtres à penser, d’héroïnes que de héros, d’inspiratrices que de prescripteurs. Merci mais je vais plutôt continuer de chercher les invendues de la culture, d’inventer ma propre langue et ma propre pensée – tant pis si personne ne m’entend. Je vais rester moi dans mes nous hétéroclites, protéiformes et insaisissables.