J’en ai rêvé pendant trente ans – je le raconte notamment dans Terrils tout partout :
« Elle se revoit adolescente, écoutant du free jazz sur la pelouse d’un lotissement et imaginant trouver l’amour à Los Angeles, où elle vivrait dans une villa semblable à la Stahl House sur les collines et serait une scénariste reconnue pour ses audaces narratives et pour sa fine connaissance du cinéma classique hollywoodien. Quelque 30 ans plus tard, de retour dans le bassin minier avec des rêves à sa taille, elle sourit à la jeune fille qu’elle fut.
Ici, lui dit-elle, dans mon paradis issu de houiller, j’ai des friches, des zones dénudées, des prairies de fauche, des fourrés, des boisements, des mares temporaires et, sur les éboulis de schistes, des espèces rares, inconnues dans la région avant l’exploitation minière. J’ai du réséda – comme le quartier de L.A., oui, je savais que ça te parlerait. J’ai toutes sortes d’araignées, de coccinelles, de libellules, de demoiselles, de criquets, de sauterelles, d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et de chauves-souris. Et les papillons de jour : l’azuré des nerpruns – regarde ses pattes rayées de noir et blanc : cette élégance à la Fred Astaire, tu ne la trouves plus à Los Angeles. Et l’argus brun, ses ailes noisette à liseré orange et taches brunes ourlées de blanc, et l’hespérie de la houque, charnue dans sa nuisette vaporeuse. Fais des recherches si tu ne vois pas de quoi je veux parler, toi qui aimes tant les livres.
Mais tu préfères alimenter ton fantasme californien en lisant des romans des années 1930 qui décrivent une faune de jeunes niais arrachés à leur campagne par un rêve de papier glacé, venus attendre dans le soleil contondant de Hollywood qu’une barrière se lève, qu’un portail s’ouvre, qu’un studio les appelle à un destin étincelant, leur offre une éternité de celluloïd. Le monde a tellement changé depuis leur parution qu’il en est presque un autre mais, pour toi, ils restent d’une actualité brûlante. Ils montrent des vies ruinées par le rêve, dont ne parle aucune encyclopédie du cinéma. Ils sont juste assez mélancoliques à ton goût, juste assez décadents et nostalgiques.
(…) La nouvelle Laïka, revenue de son voyage intersidéral, dit à la jeune fille qu’elle fut : Hollywood, c’est fini, ma pauvrette, c’était déjà fini bien avant ta naissance. Tes héros sont tous morts et les paysages de ton imaginaire n’existent plus. Tu liras, tu verras. Tu liras Kenneth Anger, Joan Didion, Reyner Banham, Cynthia Ghorra-Gobin, Mike Davis et tant d’autres. Attendrie, elle sourit dans le premier baiser de l’humus que lui darde l’aube dorée de Pinchonvalles : Hollywood ! Elle secoue la tête. »
Dans un mois, j’y serai pourtant…

J’ai longtemps imaginé que le jour où j’arriverais à LAX, j’aurais les yeux de Betty dans Mulholland Drive quand elle descend de l’avion, ces yeux de perdreau du jour. Ce ne sera pas le cas, je sais à quoi m’attendre (Valentina y a suffisamment vécu pour me décrire tout ce que je suis susceptible d’y détester) mais j’aurai plus de chance que Betty, c’est sûr, d’autant que je ne voyagerai pas avec la dame qui fait peur mais

avec la super meuf que j’ai photographiée ci-dessous dans sa cuisine. Je la verrai jouer solo à Los Angeles mais aussi à San Francisco puisque nous allons faire l’aller-retour le 21. La semaine dernière, pendant la séance de photos avec Better Corners dans les locaux de State 51, nous avons dansé sur Drinking in L.A., chanson de Bran Van 3000 que j’ai énormément écoutée pendant mon pic de California dreaming et dont Valentina me disait que personne à Los Angeles ne la connaît.
