/3 : chez moi : ronronnant

Je suis rentrée hier, après trois jours à Paris puis deux à Metz – avant ça, je ne sais même plus où j’étais ; tout ce que je sais, c’est que ce n’était pas ici. Pas chez moi. Je ronronne au milieu de toute ma vie en retard qui attend que je la trie, je ronronne parce que j’ai cinq jours chez moi, sans gare, sans train, sans train arrêté en pleine voie, pour votre sécurité n’essayez pas d’ouvrir les portes (un tiers au moins des dizaines de trains que j’ai pris récemment avaient un problème technique ou un autre : vraiment, ils ne sont pas bien portants). Hier, depuis le TER, entre Arras et Lens, j’ai contemplé la silhouette de Pinchonvalles, de son prolongement dans le bois des Bruyères et au-delà jusqu’à Vimy ; j’ai imaginé tous les animaux sauvages qui vivent là ; songé qu’à cette période de l’année, les jacinthes devaient tapisser le sol dans les bois humides et je me suis demandé comment les sangliers, les chevreuils et les lièvres perçoivent leur éclosion, quelles émotions elles leur procurent. C’était l’appel des bois ( La pelle de la forêt, l’un des poèmes de mon recueil Extrasystoles). Je n’y ai pas résisté.

Je n’ai croisé personne dans les bois. Je n’entendais que le vent dans les arbres, le grincement des branches, le chant des oiseaux, parfois les bruissements furtifs à mon approche ou le cri strident d’un faisan, qui me faisait sursauter puis sourire. Mais ce n’était pas le paradis. Plantés directement dans l’écorce des arbres, des dizaines de panneaux indiquaient des zones piégées. Même hors saison de chasse, les animaux non-humains n’ont pas droit à la paix, leurs vies sont sacrifiées à des dégénérés, avec la bénédiction du dictateur. Sans ces panneaux, j’aurais sans doute classé ce billet dans Splendeurs & Merveilles, ça fait longtemps.