NPR 18 des pouces opposables

Certains poteaux sont trop étroits pour accueillir des NPR horizontaux. Certaines barrières sont constituées de tubes dont l’arrondi empêche tout accrochage à la ficelle. Certains panneaux sont trop hauts pour des petits formats lisibles depuis le sol. Certains matins sont trop humides pour le scotch. Certaines heures sont trop fréquentées pour l’incognito. Il faut de la passion, de la patience et de l’opiniâtreté pour s’atteler à la tâche des nouveaux processus réversibles, laissez-moi vous le dire. Mais il est gratifiant d’imaginer des visages connus (cow-boy, grand gars perplexe, chien blanc, etc.) et inconnus sourire ou froncer les sourcils en voyant ceci, par exemple :

ou son double scotché à une autre entrée de mon chemin fétiche du moment, sur une barrière de travers (non, ce n’est pas la photo – par ailleurs très mauvaise, j’en conviens).

NPR 17 de rien à gagner

Non. Non : jamais, que ce soit bien clair. Jamais je ne mettrai une virgule sur un site de rencontres. Cependant, il faut bien admettre que ce n’est pas un temps pour les célibataires – ni l’époque ni la météo : on a envie de partager des choses simples et belles, sous ce soleil, de faire de longues promenades à pied ou à vélo, des pique-niques, des cueillettes, du jardinage, des apéros dans le jardin avec le jazz pas trop fort. Mais on ne va pas aller draguer au bistrot, ni lancer des clins d’œil dans la rue par-dessus le masque. Alors que reste-t-il ? Les NPR, je ne vois que ça.

viens
rejouer ta vie avec moi
tu ne peux pas perdre :
il n’y a rien à gagner

Soit une interpolation de ce poème écrit en 2018 :

« je poursuis mon travail de détachement
avec l’humilité qui parfois me terrasse et me porte
au seuil de l’abdication

je continue – je trie je vide je fais de la place
pour celle que je deviendrai peut-être
et pour ceux qui l’entoureront

je poursuis le chemin avec la force de qui
se sent disposé à mourir
face à toute perspective de cage

l’amour est réversible la solitude essentielle
la création : mouvement
il n’existe rien au monde que le mouvement

je veux consacrer
mon temps à occuper l’espace
et abolir dans ma vie toute velléité de sens

il pleut sur mon carnet
dans mes cheveux les gouttes éparses et lourdes
jouent une musique arythmique

cependant j’entends par hasard une chanson
que m’a donnée un jour une femme et
qui n’ébranle en moi aucune mélancolie

tout passe
comme un fleuve rapide dont la surface semble calme –
le Mississippi : la violence en-dessous, insoupçonnée

un jour j’oublie les parfums les timbres de voix
ou je me les rappelle comme des histoires
que je me serais racontées

je rejoue ma vie
je rejoue les gains les petits petits gains
je ne peux pas perdre : il n’y a rien à gagner »

Rien de nouveau sous le soleil, en somme.

NPR 16 des indices proprioceptifs

C’était décidément ma tournée de reformation, aujourd’hui : ce soir, je suis allée ficeler un NPR à l’une des entrées du terril que j’appelle la Quatrième Dimension. Je dois avouer que j’en suis très satisfaite : c’est mon premier essai en couleur et, dans la circonstance présente, le rouge lui donne un aspect officiel qui m’amuse énormément. Je suis prête à parier que des gens vont y voir un panonceau municipal et se demander comment s’y prendre pour faire ce qui leur est recommandé. J’adorerais que quelqu’un aille jusqu’à appeler la mairie – je le sens bien.

Ci-dessous, l’un de mes points préférés de la Quatrième Dimension, où on trouve un terrain de foot et un terrain de basket mangés par la végétation. Ce terril (qui en fait est constitué de trois terrils bien fondus ensemble, d’où sans doute la complexité de l’ensemble) est celui que Berlin nous jalouse le plus. Par ailleurs, on y trouvera bientôt des tonnes de mûres et, plus tard, de pommes de différentes variétés.

J’étais tellement contente de mon accrochage que je m’exclamais toute seule et ensuite j’ai dû rouler ventre à terre sur Mon Bolide pour ne pas dépasser le couvre-feu. Quand une trottinette électrique m’a saluée d’un coup de sonnette, j’ai gloussé de joie.

Promesse de NPR

Ce matin, je suis enfin retournée courir sur l’un de mes terrils fétiches, celui où, l’été dernier, je regardais les chevreuils prendre leur petit-déjeuner. Comment as-tu pu te priver de ça pendant un mois ? ai-je pensé en y pénétrant, assaillie de parfums végétaux enivrants. Je courais depuis un moment déjà, heureuse de retrouver quelques-uns de mes chemins préférés, quand je suis tombée sur un chantier géant. Il y avait encore, il y a quelques semaines, un escalier en schiste avec des nez de marche en bois ; il faisait parfaitement son office mais il va être remplacé – par quoi, grands dieux ? un escalator ? un escalier à led pour les noctambules ? Je suis passée outre les filets d’interdiction pour mesurer l’ampleur de la catastrophe et elle dépasse mes pires cauchemars. Des arbres ont été abattus pour faire place à un belvédère au milieu duquel on a laissé un arbre unique, cerclé d’une barrière en bois, un arbre en cage et privé des siens pour l’agrément des promeneurs. Des amoureux de la nature assis dans leur bureau de connards doivent être en train de préparer l’infographie dégueulasse qui bientôt achèvera de défigurer le paysage, selon cette mode sur mesure pour une civilisation dégénérée qui ne trouverait pas son cul avec ses deux mains sans un tuto, un GPS et la promesse de likes, une civilisation qui a besoin de notices grandeur nature et d’une signalétique aussi moche et plus encombrante qu’une pochette de Pom’potes vide. Alors j’ai décidé d’accrocher sur ce belvédère, un jour prochain – dans le plus grand respect des aménagements créés pour que l’humain devienne le centre de cette Znieff (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) et la domine avec ses bouteilles en plastique, son fluo et ses enfants braillards – ma propre signalétique :

Si la note en bas de page est trop petite pour que vous puissiez la lire, elle dit ceci : « * Ainsi que le triton crêté, l’alyte accoucheur, la couleuvre à collier, le crapaud calamite, le lézard des murailles, la Thècle du bouleau, l’argus brun, l’hespérie de la houque, l’azuré des nerpruns, le conocéphale des roseaux, le grillon d’Italie, le grillon des bois, etc., etc. »

Sur ce terril, nous ne sommes pas chez nous, il est l’habitat de tous les animaux que je viens de citer, et de bien d’autres ; l’habitat, aussi, d’une végétation foisonnante, étonnante et variée. Nous y sommes tout juste des parasites, plus ou moins respectueux et discrets. Ce lieu tendre et sauvage va devenir un parc d’attractions de plus, où personne n’aura la paix. Je vomis l’espèce dominante, autocentrée, destructrice, qui vient planter ses petits rondins et dérouler son petit grillage partout pour déterminer qui a le droit d’aller où – bien sûr, un bureaucrate m’expliquerait avec sa rhétorique verte très tendance que justement, tout ce merdier protège les autres espèces. Hypocrites, manipulateurs, fumiers. Vous ne pourrez donc jamais laisser un paradis tranquille ?

NPR 15 des terminaisons nerveuses

Aujourd’hui, je ne suis pas allée sur mon petit chemin, malgré de nombreuses pulsions. J’ai couru ailleurs, marché ailleurs. Je n’ai pas mis un pied dans ma jardinerie non plus. Ni dans la cité des cheminots. C’était un jeûne, une petite violence pour mon propre bien. Comme j’avais envie de m’essayer à des nouveaux processus réversibles en impro, je suis sortie avec tout mon matériel dans le sac à dos, c’est-à-dire ceci :

Je suis allée là, où j’avais donné rendez-vous à mes amies. Il faisait 26° à l’ombre et ma peau grésillait.

En route, je me suis arrêtée pour écrire ceci, de l’écriture cursive un peu enfantine que j’adopte toujours pour mes NPR à la main. C’était à un endroit où mon compteur Geiger de souvenirs s’affolait. Mes amies étaient au bout du chemin, quelque part, bientôt. Cate parlait de Miami. Je pouvais le faire.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est NPR-15.jpg.

Après que j’ai punaisé cette impro face à une friche pleine de lièvres, je me suis postée de l’autre côté de la route si peu fréquentée pour prendre des photos. Deux gamins passaient sur un seul vélo, lentement et en sinuant. Ils ont crié ouistiti 17 fois pendant que je prenais mes photos puis je ne les ai plus entendus parce que je suis partie dans le petit bois que l’on devine en arrière-plan.

NPR 14 du monde libre

Sur mon chemin, mon enclos filiforme, la loi ne s’applique pas. La nuit, des fêtes effrayantes y ont lieu, dont on découvre les traces le lendemain. Très tôt le matin, quand je suis la seule humaine sur son bitume craqué par les racines (au point que je peux, alléluia, y courir sans masque), des petits mammifères et des oiseaux y bondissent, grignotent et pépient gaiement (ce matin, les coqs des alentours étaient très en forme, leurs chants se relayaient toutes les 3 à 5 secondes et m’ont suivie pendant trois kilomètres sans discontinuer). Le jour, je suis strictement la seule personne à y porter le masque. Si j’en crois la longévité des objets brûlés et arbres abattus par la tempête, je dirais que des employés municipaux y passent une fois par mois pour voir ce qui s’y passe.

Ce midi, j’ai collé le NPR ci-dessus (l’air était trop humide pour le scotch ce matin) en remplacement du grand chien blanc puis je suis remontée sur mon vélo et 50 mètres plus loin, j’ai croisé un joggeur force jaune si fluorescent que j’en conserve encore le phosphène.

Je sais, je ne vais pas pouvoir passer le reste de mes jours à renouveler des NPR sur ce chemin. Permettez que je me remette de la violence que j’ai subie et qui a éclaboussé chaque site que j’aime dans un rayon supérieur à celui dans lequel je suis actuellement autorisée à circuler – ce type de violence si retorse que l’on est constamment obligé de se dire, Non, quelqu’un qui a voulu te briser ne peut pas te manquer, tu te trompes. Je n’ai encore désinfecté qu’un périmètre minime, en l’investissant d’autre chose, en raclant, grattant, ponçant ma mémoire. La plupart des lieux me donnent encore l’impression de tomber dans un puits. Je les reconquerrai.

NPR 13 des objets morts

Grâce au changement d’heure, il est à nouveau possible de voir la nuit du dehors en ces temps de couvre-feu – et aussi d’accrocher en toute sérénité de nouveaux processus réversibles requérant tabouret (je ne sais pas vraiment ce que j’aurais dit si des policiers m’avaient demandé où j’allais de si bon matin avec un tabouret arrimé au porte-bagages de mon vélo). Aujourd’hui, les ventricules pas mieux ont laissé place à ceci

ça dit

le dépôt d’objets morts
est plutôt déconseillé
sur ce petit chemin
qui sent la noisette

Je me demande combien de personnes relèveront le clin d’œil à la chanson de Mireille, et combien l’auront ensuite dans la tête pendant des heures, voire des jours. Qui sait si, dans une semaine, ils ne me maudiront pas ou ne décideront pas d’aller marcher ailleurs ? (Mais ça n’irait pas non plus, ils diraient à leur ami chien, qui se dirigerait spontanément vers ce petit chemin, Non, Georg Wilhelm Friedrich, pas aujourd’hui : j’ai une indigestion de noisettes, et automatiquement, l’aiguille se poserait dans le sillon de leur 45-tours intérieur et ce serait reparti, Ce petit chemin qui sent la noise-e-tte / Ce petit chemin n’a ni queue ni tê-ê-te, etc.)

Désolée.

Puis il y a ceux qui ne connaissent pas la chanson et qui vont chercher (en vain, je le crains) des noisetiers sur le chemin.

NPR 13 de jour :

NPR 12 du dancing

Ce matin, j’ai assuré la maintenance de mes NPR : j’ai décroché mon panneau dit des ventricules pas mieux pour réparer le cadre de bambou endommagé par l’averse de giboulées qui est tombée entre ma course à pied de 6h et ma tournée des NPR à vélo de 8h30. J’ai décidé que j’en profiterais pour remplacer le texte, mes ventricules vont mieux. J’ai d’ailleurs jeté le NPR de désinfection, qui était en fin de carrière, et récupéré sa ficelle pour un accrochage futur.

Des détritus et gravats gisent nombreux en contrebas de mon chemin ; souvent, les cavaliers sont surélevés, ce sont des espèces de talus étroits qui serpentent à perte de vue. Presque des digues ou des levées, en fait. Je précise, pour qui douterait encore de ma conscience, que je n’ai pas laissé ce nouveau processus réversible dans l’arbre où je l’ai photographié : il est bien mieux sur un bon vieux poteau (dont je finirai de toute façon par aller le décrocher).

Je l’ai pris en photo sous ces arbres

et à côté de celui-ci, qui traînait en pyjama de mousse.

/3 : NPR 10 des oh des ah

Hier matin, je suis enfin retournée saluer mes amis les oiseaux d’eau à Noyelles ; Carrie a manifesté bruyamment son mécontentement d’avoir été si longtemps délaissée. Les lapins étaient nombreux. La brume flottait sur la pâture, le canal et les marais. Le soleil a fait exactement ce que j’espérais qu’il ferait, pour la photo.

(le soleil ne flamboie pas
pour nous tirer des oh des ah
il est là, comme nous
c’est tout)

L’après-midi, alors que je me rendais sur mon chemin fétiche à vélo, j’ai découvert ce soleil enfantin dessiné sur le sol grumeleux

et je me suis rappelé cette vieille photo prise dans la métropole lilloise et dont la lumière ressemble à ce que je ressens depuis quelques jours.

Il y a un mois, Dame Sam, ma DS Vénus, me quittait. Il se trouve que sa disparition a eu des conséquences inattendues dont je n’étais pas en état d’affronter la violence et qui m’ont plongée dans une espèce d’état second – de même qu’une douleur physique trop forte peut nous faire perdre connaissance. J’ai repris mes esprits dimanche et regardé avec étonnement tout ce que j’avais fait pendant ce mois de cinq minutes, en même temps que je remontais le fleuve à la nage. J’étais donc bien là, mais ce n’était pas tout à fait moi. Aujourd’hui, je suis convalescente. Parfois, je souris aux choses et aux gens, je souris à la lumière sur les arbres. Parfois, leur beauté me fait mal. Hier, mes amies et moi avons dit au revoir à Dame Sam ; nous avons planté des fleurs pour elle au fond du jardin et la musique était, sur mesure, Venus de Shocking Blue.