Perverse

Je suis désolée, Monsieur l’agent, en plus on dirait que vous veniez de les cirer. J’ai l’estomac fragile, ces temps-ci.

Non, il ne s’agit pas de ça, c’est juste que. Dites, vous permettez que je m’étende un instant ?

En fait, j’ai des poussées d’anxiété dès que je mets les pieds dehors. Ce n’est pas que ma peur du virus ait muté mais cet État policier qui s’installe tranquillement dans notre quotidien – sans offense, Monsieur l’agent – je ne sais pas, ça me donne l’impression d’être l’ennemie. Je me sens en infraction, quoi que je fasse ; quand je vais chez mon caviste, bien qu’il soit considéré comme un commerce essentiel, je me sens en faute.

Avec ?

Ah oui, attestation et modération. Bien sûr, Monsieur l’agent. Mais l’exemple était mal choisi : même quand je rentre d’une consultation médicale, j’ai la sensation de resquiller. Je me dis, Tu es sûre que le médecin n’aurait pas pu prendre ta tension en visio ? Et puis après tout, à quoi bon prendre la tension ?  Le médecin me dit qu’elle est beaucoup trop basse mais quand je lui demande ce qu’on peut y faire, il me répond « Rien ». Et il a beau être là, tout ce qu’il fait c’est hausser les épaules en 3D. « Vous reposer », il me dit.

Exactement, Monsieur l’agent : le monde entier semble me crier, « Reste chez toi ». Dommage, parce que j’ai toujours considéré le mouvement comme le sens même de la vie.

Vous avez sans doute raison, Monsieur l’agent. Une perverse capricieuse et irresponsable.

(Cette danse en short date de février 2018 ; elle a été exécutée en bordure d’un champ entre Wattignie et Loos et si je n’y mets pas plus de bras c’est parce qu’il y en a un qui tient l’appareil photo dans l’ombre du reste.)