NPR 39 de l’ambiguïté

Il y a des poètes à Méricourt, près du terril 97 dit Le Bossu. Un jour, des jeunes gens qui avaient escaladé le cône, ignorant les panneaux d’interdiction déteints, ont signé sur le trottoir en contrebas, Les aventuriés. J’aime beaucoup cette idée d’une forme passive de l’aventure, comme s’ils avaient été appelés là-haut à leur corps défendant : « Ce n’est pas notre faute, monsieur l’agent, on s’est fait aventurier par le Bossu », auraient-ils pu dire s’ils avaient été interpellés. Hélas, cette signature à la craie a vite été emportée par la pluie – c’était à sa manière un processus réversible, plus écolo que les miens.

659 mètres plus loin, on trouve ceci.

Longtemps, je me suis demandé s’il manquait un s ou une apostrophe à cette inscription mais en vérité, il ne manque rien : c’est ça, la poésie.

Le jour où j’ai pris ces photos, j’ai discuté avec une voisine de la petite sirène, du cygne sans tête et du Bossu. Leur quartier ressemble à ceci :

Le jardin de la dame avec qui j’ai discuté donne directement sur le Bossu, elle pourrait quasiment jouer au ping-pong avec lui à la surface du champ s’il n’y avait pas tant de lapins et de lièvres – des gros lièvres, a-t-elle précisé avec de grands yeux quand nous les avons évoqués. Et des faisans, a-t-elle ajouté avec un soupçon de fierté. (J’aime beaucoup les faisans, je les trouve beaux et on dirait toujours qu’ils crient dans un gobelet en carton – désormais, je les repère à cette particularité avant même de les voir.) La dame m’a montré sa glycine, qui n’est qu’un entrelacs de branches sèches et nues : le fermier qui exploite le champ répand ses pesticides jusqu’au pied de son jardin. Il rase notre mur, dit-elle ; nous avons essayé de lui en parler mais il s’en fiche complètement.

Le Bossu, vu depuis le jardin de la dame. Dans le champ, des vies gorgées de pesticides.