Jessica

Jessica Sligter est musicienne, compositrice et productrice, fondatrice et directrice artistique de Nuts & Bolts, une plateforme d’échanges autour des pratiques musicales de diverses créatrices sonores. Elle est d’origine hollandaise et vit entre Berlin et Oslo – vous vous demandez forcément si elle connaît Jenny Hval, eh bien figurez-vous qu’elle a collaboré avec elle en 2013 et s’est même payé le luxe de lui confier les choeurs sur deux morceaux de son album A Sense Of Growth en 2016 ; elle lui a aussi consacré un podcast de Nuts & Bolts. Par ailleurs, Jessica Sligter a sorti ses quatre premiers LP sur le label Hubro (basé à Oslo), sur lequel Jenny Hval a fait une apparition, toujours en 2016, pour un album avec Kim Myhr et le Trondheim Jazz Orchestra. Mais trêve de Jenny, Jessica Sligter est une artiste formidable ; si vous ne le savez pas encore, je vous propose de le découvrir.

(Je ne sais pas de qui est la photo, désolée.)

Au début, Jessica Sligter se fait appeler J.A.E. et sa musique a quelque chose de folk, léger et solaire. Elle y chante comme un oiseau, un petit oiseau gracieux et espiègle.

2010

2012

Elle lâche le pseudo J.A.E. dès Fear & The Framing et la tonalité change, elle s’électrifie, s’assombrit, sauf peut-être sur deux titres, dont l’excellent Man Who Scares Me. Du moins les arrangements de ce morceau sont-ils lumineux et presque amusants – mais avec élégance, c’est une marque de fabrique Sligter. Même la chanson qui s’appelle Fuck Etc. et parle effectivement de sexe est toute en finesse et dérision : « Romance, romance / Give a girl a break », dit-elle, et la musique (mélodie, arrangements) est, comme souvent chez cette compositrice raffinée, en décalage avec le propos.

2016

Au fil des albums, les arrangements se font plus discrets, la mélodie moins prédominante : on se dirige vers le (relatif) minimalisme dans lequel Jessica S. excelle aujourd’hui, après avoir montré ses talents de compositrice et l’étendue de sa palette. Surrounds, Surrounds Me est malgré tout une chanson à part entière, le format n’est pas encore déconstruit ; les paroles sont bouleversantes : And ’cause I´m tired I seek out / What is fast and shallow / It´s all right there, ready / Around me. L’album A Sense Of Growth oscille entre pistes expérimentales et titres de facture plus classique. On pense un peu aux derniers albums de Scott Walker pour le côté crooner tombé dans l’avant-garde, à ceci près que Jessica Sligter est l’unique démiurge de son univers sonore. Ses paroles sont souvent poétiques et donc sujettes à interprétations divergentes, parfois (délicatement) engagées.

Son LP paru en 2018, Polycrisis.yes!, est autoproduit – était-il trop expérimental pour Hubro ? C’est ce que je suppose. Jugez-en par vous-mêmes avec cet extrait, The Dream Has Died.

Cette année, elle a collaboré avec Audrey Chen et j’espère qu’un disque nous permettra bientôt d’en entendre davantage que sur la seule et très prometteuse vidéo disponible à ce jour – que vous pouvez visionner ici.

Je profite de l’occasion pour vous faire écouter trois titres d’artistes que j’apprécie beaucoup mais auxquelles je ne consacrerai sans doute pas un billet entier. Le label Hubro, qui a vu les débuts de Jessica Sligter, a aussi représenté la trompettiste Hilde Marie Holsen, dont voici le titre Lazuli,

et le groupe Skadedyr, dont voici mon morceau préféré, Culturen (le tuba d’Heida Mobeck, JMJ !)

C’est aussi le label de Building Instrument, l’une des formations dans lesquelles chante Mari Kvien Brunvoll (qui, pour l’anecdote, est la soeur de l’artiste folk Ane Brun), mais c’est un extrait de son album solo paru en 2012 sur le label Jazzland que je vous propose ici, Everywhere You Go, un petit joyau interpolé de Memphis Minnie.

J’aurais aussi pu vous faire écouter un morceau du recueil Folklore de Trondheim Voices, paru sur le label Hubro, d’autant que dans cet ensemble vocal féminin chante Natali Abrahamsen Garner, qui était de l’aventure The Practice Of Love avec Jenny Hval juste avant le début de la pandémie (j’ai eu la chance de les voir au centre Pompidou, le reste de la tournée a été annulé – Jenny Hval évoque cette période dans une série de vidéos, parmi lesquelles je vous recommande particulièrement celle-ci). Je reviendrai sans doute sur Trondheim Voices un jour, dans cette rubrique tout juste renommée Acouphène, à l’occasion d’un petit tour des ensembles vocaux féminins. En attendant, vous pouvez aussi écouter Natali Abrahamsen Garner dans d’autres formations, particulièrement au sein de son passionnant duo Propan avec Ina Sagstuen (également de Skadedyr), par exemple ici (leur dernier disque est publié par le label Sofa Music, Oslo, le premier autoproduit).