Chère Karen Willems,

J’aime votre approche de la création, votre envie de tout jouer – de tous les instruments, tous azimuts –, votre gourmandise de sons et d’expériences sonores, qui se traduit par une grande générosité. Votre musique est à la fois puissante, subtile et inventive ; elle ne se refuse pas la mélodie mais elle est assez riche et surprenante pour ne jamais laisser l’oreille s’assoupir dans le confort de l’évidence. J’aime particulièrement votre série d’albums Terre sol, votre travail solo ou en maîtresse de maison.

J’écoutais l’un d’eux, il y a quelques semaines (c’était Bentillse Berber, si vous voulez tout savoir), quand j’ai eu envie de voir quelle tête vous aviez. Vous trouvez ça puéril ? Dans mon manuscrit en cours, j’écris ce qui suit. « Je regarde beaucoup les photos des gens quand j’en trouve, je les questionne : pourquoi l’œil comme ça, un peu épineux mais doucement – disons l’extrémité tendre d’une branche de roncier –, pourquoi le bémol dans le sourire ou pourquoi la légère dissonance entre les deux, œil et sourire, mais aussi pourquoi ces cheveux, ces textiles, ces couleurs et assemblages des uns et des autres ? Chaque détail parle si on sait lui poser les bonnes questions, même une légère inclinaison de la tête. » (Je précise que le français n’est pas la langue maternelle de ma narratrice.)

(Je ne sais pas qui créditer pour cette photo ; elle me fait rire au même titre que les photos d’animaux me font rire ; c’est votre immense sourire, je crois, qui me fait rire.)

J’ai vu plein de photos de vous. Je m’y suis curieusement reconnue, à certains points de vue, c’est pourquoi je m’adresse à vous plutôt que de simplement écrire un billet sur votre travail ; disons que mon écoute a pris un tour plus personnel du fait des échos que je perçois entre nos personnalités. Ce que je retrouve de moi sur ces photos ? Un mélange de mélancolie et de joie tapageuse, une approche de la création à la fois ludique et sérieuse, l’osmose avec la nature, l’envie d’y bondir en short aussi haut que possible (comme sur votre page Bandcamp) et de côtoyer les animaux qui la peuplent. J’ajoute que votre visage va très bien à votre musique.

(J’aime aussi vos albums sous le nom d’Inwolves.)

Beaucoup de photos révèlent aussi le bric-à-brac d’instruments et d’objets dont vous tirez les plages composites, équilibristes, que vous nous donnez à entendre ; elles reflètent l’énergie audible, presque une transe, qui les habite. Celle que j’ai choisie, ci-dessous, n’est pas ma préférée de la série mais c’est celle où on voit le mieux la roue de vélo – et où on vous voit faire trois choses différentes en même temps, ce que j’admire beaucoup.

(Photo de Femke Teussink.)

Votre investissement dans la musique est le même sur toutes les photos de concerts de toute façon. Je collectionne les photos de ce genre. J’en ai quelques-unes d’artistes aussi différentes que Phew, SØS Gunver Ryberg ou Lana Del Rabies, les cheveux en l’air comme suspendus dans le feu de l’action – dans le cas de Kusum Normoyle c’est un peu différent parce qu’elle est dans une position plutôt proche des pompes tandis qu’elle hurle dans son micro en pleine rue, sous le regard effrayé des passants, mais si l’on considère l’axe de son corps, on peut estimer que ses cheveux aussi sont en l’air.

J’aime la plupart de vos albums avec vos collaborateurs fidèles – moins, vous me pardonnerez, ceux des groupes plus pop auxquels vous êtes parfois associée mais ce n’est qu’une question de sensibilité, bien sûr.

(Mais de qui est cette photo ?)

J’espère avoir un jour la chance de boire un verre avec vous au café De Helleketel pour discuter de musique, de la forêt, de la Belgique (j’adore la Belgique) ou simplement commenter les oiseaux qui passent, les champs et les bois qui s’étalent tout autour et les lièvres dedans.

Bien à vous,

Fanny Chiarello