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Je n’avais pas vu les rues aussi désertes depuis le premier confinement : les rafales à 113 km/h ont dissuadé mes concitoyen.ne.s de prendre le soleil, cet après-midi. Parfois je faisais du sur-place et imaginais comme j’aurais souffert si le vent avait été si fort ce matin quand je suis rentrée de Lille à vélo (il était déjà redoutable, d’autant que je l’avais en face), je me disais aussi que ce serait quand même stupide de me prendre une tuile ou une jardinière de balcon sur le sinciput alors que je sortais de chez le coiffeur pour la première fois depuis plus de deux ans (il y a ici un coiffeur qui ne vous fait pas payer 35 euros une coupe courte au prétexte que vous êtes une femme ; j’en rêvais, autant par goût de la justice que pour l’aspect financier : ici, une femme a le droit d’être androgyne pour la modique somme de 14,50€), bref j’étais fraîche, pour citer mon Antique, et j’aurais peu goûté l’ironie d’une tuile.

Dans Collier de nouilles, je consacrais plusieurs textes aux cheveux et aux salons de coiffure ; on peut en lire un, le cheveu invisible, sur la page de présentation, ici.

(J’ai retrouvé des photos de moi prises par mon amie Sophie en août 2004, à l’époque où j’écrivais ce recueil. Ci-dessus, on voit bien la gouttière évoquée dans le premier texte, dont j’ai rêvé qu’elle était pleine de biscuits apéritif. Je consulte la carte de la Pirogue, comme si je ne savais pas pertinemment que j’allais commander un punch coco.)

Et voici un extrait d’un autre de ces textes courts :

« thérapie capillaire

J’essaie toujours de deviner s’ils se connaissent mais la plupart du temps leurs conversations me parviennent trop confusément à travers les barrissements des sèche-cheveux et les résidus de shampooing dans mes oreilles.

Peut-être que si les coiffeurs ne discutent jamais avec moi c’est parce qu’ils me trouvent trop négligée : tarte, comme disent les mots fléchés ; ça ne leur fait pas honneur qu’on me voie sortir de leur salon, le cheveu volumineux (malgré mes directives pré-brushing) et le vêtement trop large, comme un os de seiche sous une bâche ; ça expliquerait le taux de mécontentement que j’ai pu enregistrer dans ma fréquentation des salons, les gars me coiffent sans conviction, pressés de passer à quelqu’un de plus présentable dont ils auront plaisir à restaurer la splendeur capillaire à peine fanée. Débroussailler, peut-être, ne les intéresse pas ; n’entre pas dans leur conception du métier ; ils pensent esthétique et non sauvetage. »

Je me remémorais ce texte tout à l’heure quand la coiffeuse a commenté l’épaisseur de mes cheveux. J’ai résisté à l’impulsion de répondre que j’avais aussi des gros os, parfois j’ai de bons réflexes. Elle m’a aussi demandé si j’avais déjà eu les cheveux longs. Quand je lui ai décrit la sensation du vent sur le crâne nu quand on court, elle était fascinée. « C’est une sensation que vous ne connaissez pas », je lui ai dit, et nous avons ri. Oui, ça va quand même mieux avec les coiffeuses, près de vingt ans après mon collier de nouilles.

(Autre photo, prise la même semaine. Ici, on voit bien les cheveux épais + les gros os. En fond d’écran, on aperçoit Monica Vitti, dont j’ai appris la disparition récente avec beaucoup de tristesse.)

Finalement, je suis rentrée indemne du salon, dont le nom comporte le nom Paris (so kitsch, so cute) ; le vent a seulement imité dans mes cheveux une trace d’oreiller. Cependant j’avais l’impression que la tempête me lavait dedans. Quand je suis rentrée chez moi, la porte du garage de mes voisins avait été arrachée, les oiseaux s’amusaient comme des petits fous puis venaient se restaurer à la cantine l’Intrépide, les chats filaient ventre à terre, littéralement. Moi, j’étais surtout inquiète pour Carol Anne mais elle tient bon :