Ce matin, j’ai voulu être une super héroïne pour elle. Pour qu’elle me dise ce qu’elle m’a dit puisque le super a pris. Je n’avais vraiment pas prévu de courir 23 km, je voulais juste prendre la brume dans les cheveux mais quand elle m’a dit buongiorno j’ai eu envie de lui envoyer des images qu’on ne voit pas à Londres et j’ai poussé jusqu’aux 101-84 d’Hénin-Beaumont et de Rouvroy. Arrivée au pied du 84, j’ai été irrésistiblement attirée par les cimes encore une fois – c’est décidément l’effet qu’elle me fait, l’ascension – alors j’ai grimpé, plutôt que de faire le tour par le 101, j’étais surprise que ce soit si facile.

Je lui ai dit que je grimpais. Et j’ai commencé pour elle un reportage en direct depuis le lieu le plus désert qu’on ait jamais vu.

Désert d’humains mais pas de lapins – on voit la silhouette d’un de mes potes dans le buisson à mi-pente.

J’ai dépassé les églises, poursuivi jusqu’au sommet.

Je lui ai dit de me rejoindre on top of my world et elle a dit qu’elle y était, je ne le voyais pas ? Les fumerolles se mêlaient à la brume, je me suis attardée, je me sentais bien là, je me suis assise, un peu, peut-être une minute, voire deux, pour prendre des photos et lui parler. J’ai eu très envie de m’installer un peu sur ce tout petit cercle de schiste chaud, comme dans un bureau – un jour je le ferai, avec un vrai appareil, un carnet, peut-être du thé. (Comme si m’asseoir était dans mes cordes.)

Oui, on est bien, là-haut, c’est tranquille. Je viendrai observer les étoiles filantes et boire du bon vin là-haut un soir d’été, entendre les bruits de la ville monter doucement jusqu’à moi, et peut-être qu’elle sera là ou peut-être pas. De toute façon, il y aura les lapins.

Elle me demande d’être l’amour de sa vie, qu’on en finisse avec cette quête absurde ; moi, je n’ai rien d’autre de prévu. Je veux ce que dit la chanson, a lover who will never leave. Dans un monde où on bombarde des centrales nucléaires, je veux trouver celle qui ne partira jamais. Je serais ravie que ce soit elle. J’aime sa voix légèrement voilée qui murmure Pazienza dans mon oreille, ses intonations quand elle s’essaie au français, sa façon de m’appeler Madame, son rire embarrassé d’enfant pris en faute. Elle dit qu’elle aime vieillir, elle dit « I like the idea of decaying gracefully », je serais tombée amoureuse de cette phrase si je ne l’avais été d’elle toute entière.

Je descends les pentes en courant à toutes jambes, jamais couru si vite, mes bras volent comme les pans d’une écharpe dans le vent, je bondis, je bondis loin, ma course comme un solo de Valentina, parfois doux, parfois fou, mon pouls pareil.

Personne personne nulle part personne que nous à savoir moi avec elle dedans, sous forme d’une chaleur qui circule dans mes veines. Puis retour dans le monde hors de ce paysage lunaire.

Je ne trouve pas de mots réconfortants pour ces chameaux arrachés à leur habitat, exploités, séquestrés pour le loisir d’humains moins beaux qu’eux – on voit de quelle beauté je parle.

Plus loin, quelqu’un a mal fini la soirée.
