Letat men

Courir n’est pas un don mais une discipline alors je cours avec la fièvre depuis trois jours et, pour changer, je sens pleinement l’effort dans chaque muscle de mon corps. Ce matin, j’emprunte avec appréhension la véloroute en direction d’Hénin-Beaumont, l’image du lapin décapité ne m’ayant toujours pas quittée. Soudain, me revient à l’esprit une situation que j’ai vécue cette année dans un collège où je menais des ateliers d’écriture. Une classe de quatrième était invitée à travailler sur les émotions et un garçon, disons Dylan, a cité les décapitations parmi les choses qui le rendaient joyeux. J’ai eu envie de vomir. C’est de la provocation, m’a chuchoté la prof, et je pouvais sentir la colère sous son calme apparent. Le reste de la séance, j’ai observé à la dérobée ce garçon à l’air timide, avec ses lunettes et son duvet de moustache. Je ne suis pas toujours sûre de comprendre ce qui se passe sur cette planète. Comme quand je me penche sur les scores du RN dans mon département. Je ne suis pas entourée de fachos, j’en suis certaine, je suis entourée par une population que le culte de la réussite en marche ne concerne pas, une population en proie depuis des lustres à un mépris national, laissée de côté, assignée à une misère culturelle qui certes la rend dangereuse.

J’ai de l’admiration pour la prof de Dylan et pour les acteurs culturels qui œuvrent à éclairer les esprits d’ici – je pense notamment à quelques assos qui font un travail courageux, opiniâtre, alors qu’il serait tellement plus facile de proposer les mêmes événements à Lille et de s’adresser à un public acquis. Pour ma part, j’avoue que le courage me fait défaut : comment lutter contre l’obscurantisme, qui a toujours été un outil de manipulation ? Je ne sais pas. Alors je cours, ça évacue, ça génère l’endorphine, ça rapproche des gentils lapins.