/ 3 : un lever

C’est une discipline, de voir le soleil se lever aux beaux jours. Mon réveil sonne à 4h45 ; je rentre de courir à l’heure à laquelle je pars en hiver. Il faut un temps d’adaptation au corps, parfois il s’effondre en plein jour, je titube jusqu’à un espresso en me demandant si on est le matin ou l’après-midi, le cerveau un pâté de sable mouillé, mais quand je cours, tout va bien. Ce matin, je suis arrivée au sommet de 94 deux ou trois minutes avant que le soleil ne passe la ligne d’horizon. Je suis restée immobile le temps qu’il apparaisse dans toute sa rotondité, les bras ouverts dans le grand vent frais tandis que Jenny Hval chantait Jupiter dans mon casque, les lapins ont dû penser que je virais New Age.

Un renard adulte s’est enfui à mon approche auprès de l’étang ; je crois qu’il était blessé, il m’a semblé qu’il boitait. Puis une nuée de lapereaux s’est dispersée dans les ronces et je me suis rappelé que les renards les mangeaient ; depuis aussi loin que remonte ma mémoire, dans ce type de circonstance j’essaie de me représenter mentalement ce que l’on ressent quand on est transpercé par une grande mâchoire et condamné.e à y être broyé.e puis j’essaie de ne plus y penser sinon je ne pourrais pas rester en vie. L’empathie est un handicap terrible en ce monde. J’ai ressorti mon débardeur maison « I <3 herbivores » – comme si, le voyant, les renards allaient virer vegans.