23

Le 23 juin c’est mon jour off, mon jour sans prison, sans atelier, sans salon du livre. Je m’offre une virée à vélo de 51 km, crève dès le huitième kilomètre, et une seconde fois au quarantième. Je ne lâche pas la patate. La deuxième fois, je suis sale, ma peau ruisselle de la boue et de la graisse de vélo mais je ne dis pas beaucoup de gros mots, je reste patiente, je répète les gestes qu’il faut, repère le trou dans la chambre à air à l’oreille (faute d’une bassine d’eau), pose la rustine, trouve le coupable, pourtant bien caché – vendredi dernier, une épine de je ne sais quel arbre a troué le pneu comme un clou et maintenant toutes sortes de débris tranchants se fichent dans cette minuscule fissure. Aujourd’hui, c’est lui ; si je l’avais découvert plus tôt, peut-être que je n’aurais pas dû démonter mon pneu deux fois. Il a fait au moins trente-trois kilomètres avec moi, il a vu Pont-à-Vendin, Vendin-le-Vieil, Wingles, Douvrin, Haisnes, Auchy, Violaines, Cuinchy, La Bassée, Salomé, Hantay, Billy-Berclau, Bauvin, Meurchin et beaucoup de Splendeurs & Merveilles. S’il lui a fallu du temps pour crever la première chambre à air, il a peut-être même vu Loison, Harnes et Annay (Jock-a-mo fee na nay). 17 villes et villages, le 23 juin. En voici 11 photos.

C’est malgré tout une promenade formidable. Je me fais des copains humains, ce qui est très rare, d’habitude ce sont plutôt des oiseaux d’eau. Je me perds dans le Flot de Wingles et rencontre un monsieur fluorescent sur la piste de motocross interdite au public, nous trouvons une sortie (schiste, pentes, bosses, marais, bois), et comme nous discutons un peu, je lui pose ma question rituelle : Il y a des sangliers, par ici ? Il n’en a jamais vu, me dit-il, or il vient depuis trente ans. Mais plus loin, je vois une souille. C’est une souille, je suis catégorique, une flaque de boue un peu séchée de sorte que l’on peut y distinguer très nettement des traces de sabots, moi j’appelle ça une souille. Je ne prends pas de photo parce que je n’ai pas la bravoure de m’attarder mais maintenant je le regrette parce que j’aimerais avoir une photo à étudier longuement. Il ne faut pas croire que je prends des photos uniquement pour illustrer ce blog, je passe du temps à les observer, je m’en sers pour reconstituer ma mémoire, questionner mes impressions, approfondir mon analyse des topographies. Vérifier les souilles. Le deuxième monsieur a une moustache brosse et une cagette ficelée au porte-bagage de son vélo ; c’est moi qui lui indique sa route et lui montre comment passer une chicane en dansant avec le vélo dressé sur la roue arrière, entre deux crevaisons. Je me fais aussi trois potes à Meurchin, pendant ma pause rustine au bord du canal. Je vois bien vu que les ASVP, qui passent à ce moment-là, sont frustrés de ne pas pouvoir se joindre à la fête. Entre deux, je vois ceci : un jalon vert connu comme la Fernsehturm sur un cavalier de 4 km.

Des gens vivent dans l’ancienne gare de Douvrin, sise (c’est logique) au bord du cavalier. Je ne suis pas jalouse parce qu’il n’y a plus de trains qui passent de toute façon mais sans doute des fêtes sauvages certains soirs avec des gens qui brisent des Kro menu sur le cavalier parce que c’est amusant – cette semaine, j’ai rencontré un détenu auteur de ce que j’appelle dans Terrils tout partout des terrils Délivrance ; je le sais parce qu’il a lu Terrils tout partout et que ça lui a rappelé « les conneries qu’il faisait avec ses copains » sur les terrils du Valenciennois, comme mettre le feu à des choses et s’enfuir en riant.

D’autres choses que j’ai vues



Cependant, au-dessus de la coopérative agricole et de la passerelle en bois qui s’effrite, le monde moderne se rappelle à nous – les foulques macroules et moi.