En courant, ce matin, j’ai pensé à tout un tas de choses dont je me suis rendu compte que le PPDC était la dégradation (je suppose qu’on m’immolerait si j’employais le mot déliquescence).
D’abord, j’ai pensé à ce week-end. Avant-hier, une employée de la médiathèque qui m’accueillait sans livres m’a proposé de rester quand même : « C’est l’occasion de faire connaître votre travail ». Ce que disent d’ailleurs toutes les structures qui vous invitent à intervenir bénévolement. Bientôt, on demandera aux auteurs et autrices de payer leur stand, comme une place dans un marché aux puces. Puis je me suis rappelé le mail groupé que j’ai reçu hier matin, d’un poète avec lequel je vais collaborer prochainement et qui annonçait avec tambours et trompettes souhaiter reverser sa rémunération à la structure qui nous accueille, ce à quoi j’ai répondu, Euh, mais moi je veux bien être rémunérée pour mon travail, si ça ne dérange personne – dans Magnificent Obsession, le mélodrame flamboyant de Douglas Sirk (1954), un personnage explique le principe d’être un bienfaiteur anonyme. Ça évite que tou.te.s les autres se sentent indignes et cupides. Bref, en deux jours, j’ai eu deux occasions de me sentir niée en tant qu’artiste – je ne dis pas que c’était l’intention de mon camarade, je ne peux parler que de mes propres impressions.
Puis j’ai pensé à ce qui m’est apparu la semaine dernière – l’une des semaines les plus chargées de mon année, en émotions autant qu’en activités. Il en est ressorti que j’étais quelqu’un de radical ou d’extrémiste. J’ai compris que je serais toujours vue ainsi dans la mesure où je me soucie de beaucoup de choses (Non, le sandwich au saumon n’est pas vegan, les saumons ne sont pas des algues ; Non merci, je ne veux pas de bouteille d’eau en plastique, j’ai une gourde ; Merci, gardez ces fleurs coupées, je ne veux pas être complice de leur meurtre en exposant leurs cadavres sur ma table de salon ; Non, je vous assure que je peux venir à vélo, je ne suis pas soluble ; Non, s’il te plaît, ne commande pas mon livre sur A****n, je vais te l’envoyer). Parfois, on me fait sentir combien je suis pénible avec tous ces principes que j’ai, même si je ne les impose à personne et me contente de les appliquer dans ma propre vie. Apparemment, nous (individus concernés par d’autres choses que notre propre confort et nos seules inclinations) gênons ceux qui ne se préoccupent de rien, dans la mesure où nos engagements leur révèlent le vide de leur conscience. Au mieux, ils nous disent que nous nous punissons (je ne me punis pas en ne détruisant pas, c’est en fait ce qui me rend heureuse), au pire nous sommes tolérés quand nous n’émettons pas de jugement sur les choix des autres. Or je ne prétends pas que je ne pense rien des gens qui mangent des animaux, qui polluent, qui consomment, qui dominent, qui accélèrent le processus irréversible de débilitation générale, je dis simplement que j’ai cessé de m’épuiser à questionner avec eux les fondements foireux de notre civilisation, dont les méfaits protéiformes ne les empêchent pas de ronronner au sein de leur empreinte écologique : ces consciences-là sont définitivement anesthésiées par le capitalisme, elles ne s’embrasent pas, c’est du PQ mouillé, c’est du mou, il n’y aura jamais rien à en tirer. On m’a dit récemment, « Manger de la viande, chez moi c’est une tradition familiale, ça me rappelle la cuisine de ma grand-mère » ; je n’ai rien à dire à ce type de personne, sinon que je suis heureuse d’être liée à mes grands-mères par bien d’autres choses que la séquestration et la mort d’innocent.e.s – c’est ça, être extrémiste dans une civilisation décérébrée.
Mais le plus ironique, c’est que l’on peut être traité.e d’extrémiste au prétexte que l’on essaie de nuire le moins possible à ce qui nous entoure et en même temps être culpabilisé.e de ne pas être allé.e voter Macron. C’est ça, la démocratie, en fait : non pas agir au quotidien et à sa mesure mais culpabiliser ceux qui ne vont pas voter pour des cyniques néfastes que seul anime le culte de leur propre ego. Ensuite de quoi j’ai pensé au viol. D’abord, aux violeurs qui trônent dans le gouvernement français sans être inquiétés, puis aux États-Unis, qui viennent de légitimer le viol, de considérer officiellement la semence des violeurs comme sacrée, comme un don de vie – et donc le corps féminin comme un simple réceptacle, ouvert avec ou sans consentement aux généreux donneurs de cette vie. C’est une démocratie aussi, les États-Unis – ce genre de démocratie où seuls les riches peuvent accéder aux soins, à l’éducation et à la justice. Alors peut-être que la démocratie n’est pas le bon modèle. Il faudrait une révolution, sans doute, mais le simple mot a de quoi faire rire au 21ème siècle : imaginez des millions d’insurgés occuper les lieux publics sans quitter des yeux le petit écran de leur téléphone pour compter leurs likes sur les réseaux sociaux (la perdition ultime de l’espèce). C’est presque drôle.
On m’a demandé récemment si je conservais un peu d’optimisme. J’ai répondu, Non. Je n’ai pas développé.