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Ce matin, je suis allée arroser le potager de mes amies à Faches-Thumesnil : à l’aller, je suis passée par les villages (en fait il y a aussi des petites villes sur la route mais l’atmosphère est vraiment celle de villages à la campagne – après Vendin-le-Vieil, Annay, Pont-à-Vendin, Meurchin, quand on arrive à Bauvin, Provin, Annoeullin, Allennes-les-Marais, Herrin, Gondecourt _ jusqu’à Seclin où c’est un autre monde, déjà, la nervosité ambiante monte d’un cran, à Templemars ça se corse, à Wattignies les gens vous rouleraient dessus dans leur petite auto débile pour s’arrêter au feu dix mètres plus loin, j’ai perdu l’habitude et il n’est que 8h du matin, après ce segment de dégénérescence citadine on est soulagé.e de s’enfuir par les Périseaux et de croiser un ou deux lièvres), et au retour j’ai opté pour le canal de Seclin puis la Deûle mais mon itinéraire a été plus long que prévu à cause du flot de voitures qui m’a fait perdre le Nord, les moteurs ronflaient si fort derrière moi que je pouvais presque sentir des pare-chocs toucher ma roue arrière, bref je me suis retrouvée à Noyelles-les-Seclin et j’ai dû faire une boucle de plusieurs kilomètres pour retrouver l’accès au canal de Seclin par Houplin-Ancoisne, à l’abri des furieux. La vue du canal m’a immédiatement apaisée : ça valait le coup, je me suis dit.

Ce canal est court, guère plus de quatre kilomètres, mais le paysage est si profondément bucolique et paisible qu’on a envie d’y ralentir pour l’étirer un peu et cueillir des prunes) ;

d’un côté, des champs, des bois,

de l’autre les lenticules, les nénuphars et les oiseaux d’eau – principalement des poules d’eau, des foulques macroules et des grèbes huppés, un grand cormoran de passage mais pas de canards, aujourd’hui (il se passe vraiment un truc avec les canards, non ?)

Ce matin, j’ai eu la chance d’assister au quotidien d’une famille de grèbes huppés ; je m’en suis d’abord étonnée parce que ces oiseaux sont plutôt du genre à plonger quand on s’intéresse à eux et à nager très loin sous l’eau pour semer les curieux.ses. Or voilà qu’ils me laissaient même assister à une scène assez intime – était-ce un baiser ?

Eh non, c’était le papa grèbe qui nourrissait les bébés grèbes sur le dos de la maman grèbe. Je ne les avais pas vu.e.s, de prime abord, mais les petit.e.s étaient bien là,

immédiatement reconnaissables à leurs rayures

et à leurs taches rouges temporaires sur le visage.

Plus loin, à Meurchin, j’ai retrouvé avec soulagement les jeunes oies que je m’étais inquiétée de ne pas voir hier à mon retour des Weppes. Mais où sont tes copines ? ai-je demandé à cette splendeur.

Elles étaient plutôt bien cachées. J’étais si joyeuse de les voir que j’ai été maladroite, à mon corps défendant. Vous êtes si belles, j’ai dit, si parfaites qu’on s’attendrait presque à ce que vous ayez des bras. Évidemment, je me suis fait incendier – j’étais une anthropocentriste primaire, une suprématiste sapiens pathétique, et où avais-je vu que c’était beau, des bras ? Si ça l’était, pourquoi la plupart des gens de mon espèce ne savaient pas où les mettre sur les photos ? etc. Je l’avais bien mérité, je sais.

Après ça, je me suis sentie comme cette cabane ferroviaire perdue quelque part entre Vendin-le-Vieil et Pont-à-Vendin.