C’est l’un de mes terrils préférés. Ce matin, je n’avais pas envie de courir (traumatisme du chasseur qui m’a tiré dessus samedi dernier) aussi j’ai sauté sur mon vélo et pédalé de toutes mes forces. J’ai atteint Hénin-Beaumont à temps pour voir le soleil se lever depuis le 101.

Quand je suis arrivée, je dégageais de la vapeur d’eau après cet effort soutenu dans l’air froid, j’ai dû enlever mes lunettes pendant un bon quart d’heure, la buée revenait instantanément à chacune de mes tentatives de les remettre. Disons que je n’ai pas vu le panneau, je ne savais pas que l’accès au terril était désormais interdit. J’y suis venue tant de fois. Ce site est dangereux, dit le panneau, sauf pour les gens autorisés à se mettre en danger ; le panneau aime les gens, il aime les gens qui ne tombent pas dans des ravines – il est vrai qu’il y en a, on les voit ici qui coupent le paysage comme un vulgaire gâteau noir,

certaines profondes, d’autres moins

Je ne veux pas renoncer à voir le soleil se lever ici


ni renoncer à me perdre dans les multiples plateaux de ce site plus complexe qu’il n’y paraît (i.e. typique minier),

à nul autre pareil


Je ne veux pas avoir à pâtir du fait qu’une douzaine de gamins venaient encore récemment brûler de l’essence et se donner des frissons faciles sur leurs motos et leurs quads au fil de ces reliefs insaisissables, je ne veux pas être jetée avec les pneus des flaques, je ne veux pas être privée de 101

Je veux continuer à prendre des photos de ses bizarreries en toutes saisons, toutes lumières, toutes conditions météorologiques

C’est ce que j’ai décidé, en prenant quelque chose comme 79 photos, quand j’ai vu ce pauvre bébé ; j’avais l’appareil à la main, je ne savais pas ce qu’il fallait faire, ce qui convenait – comme si quelque chose convenait ou pas face à la mort d’un innocent (et mort de quoi ? ce terril étant assurément un terril Délivrance, je ne serais pas surprise que des chasseurs y sévissent sans autorisation ni permis). J’ai rangé mon appareil. Puis je me suis dit que non, je ne pouvais pas nier son sort affreux, je ne pouvais pas passer mon chemin sans tenter de lui rendre hommage de la seule manière maladroite que je connaisse, même si cet hommage ne lui rendra pas la vie. Je lui dédie ces quelques vues de ce qui fut le paradis de sa trop courte vie.

Le monde est un peu moins vivant depuis que tu n’y bondis plus, petit lapin