Signes

Cette nuit, je n’ai pas dormi. Vers quatre heures, j’ai entendu des pas dans l’escalier. Je n’ai pas envisagé un instant que quelqu’un se soit introduit dans la maison, ce qui aurait nécessité un certain fracas et, pour cette raison même, mon cœur a été saisi, mon cœur qui depuis trois jours bat de manière expérimentale. Il a fallu plusieurs minutes pour qu’il retrouve un rythme à peu près plausible.

Ce matin, je suis partie courir à 5h59. Mon corps était si léger que je le déplaçais sans effort, c’était comme passer un chiffon sur les routes. Il n’y avait personne, nulle part personne, j’aurais pu croire qu’une apocalypse silencieuse avait eu lieu pendant la nuit si, de loin en loin, je n’avais vu passer un bus vide. Puis j’ai emprunté un chemin arboré à l’écart de toute habitation et dépourvu d’éclairage. Je n’entendais pas un bruit, hors celui de mes semelles, ce qui me donnait une sensation étrange, mais soudain j’ai perçu un bruissement à ma droite. Il venait des arbres mais le son avait plus à voir avec le grésillement de l’électricité, or il n’y avait pas plus de pylône à proximité que de vent. Le son courait auprès de moi et, comme pendant la nuit, j’ai ressenti une peur profonde, puis la peur s’est dissipée. Le son m’a suivie pendant plusieurs centaines de mètres tandis que je fixais avec perplexité les branches nues et immobiles dont il semblait provenir. Quand j’ai tourné la tête dans l’axe du chemin, j’ai vu dans le ciel dégagé, où les constellations se dessinaient nettement, une étoile filante. Le grésillement s’est tu dans les arbres et les oiseaux ont entamé une foisonnante polyphonie.

Alors j’ai compris. C’était elle, elle qui me disait les mots de Beverly Glenn-Copeland (la reprise de Lafawndah m’est venue spontanément comme si quelqu’un – je sais bien qui – avait appuyé sur play dans ma tête),

Don’t despair
Tomorrow may bring love

Non, ma bonne étoile, je ne désespère pas. Relisant les paroles du morceau, de retour chez moi, je ne suis pas surprise d’y trouver cette phrase, à laquelle je n’avais jamais prêté attention : So you go to the window in search of a sign.

Photos prises à Brooklyn, Lille et Lezennes.

Supernova

Dans le train, ces musiques pour me relier à DS Vénus, les paysages familiers comme des lames dans le ventre et un poème pour mon requiem, gribouillé dans le carnet que m’ont offert mes merveilleuses amies.

Kaja Draksler Octet, Danas, Jučer, Sutra

Mica Levi, Rose

Venus ex Machina (Nontokozo F. Sihwa), Avril

pour survivre il faut
épuiser le corps jusqu’à ce que
les terminaisons nerveuses aient
le bouilli de spaghettis mous
épuiser le corps jusqu’à ce que
le cerveau hébété se laisse
aller à la distraction même si
ça ne peut durer qu’un instant
car dès lors que l’on se surprend
à respirer l’air se fige dans les
poumons gelés alors il faut attendre
que l’esprit à notre insu
de nouveau daigne s’égarer
ainsi l’émission de jazz à la radio
me parvient depuis le salon
tandis que je plonge dans la casserole
les légumes que je viens d’éplucher
dehors la nuit commence à tomber
je passe la main sur mon tablier
saupoudré d’amidon brillant
quand soudain je m’aperçois
que la souffrance s’était suspendue
entre deux spasmes comme une bête
douleur menstruelle
et qu’un moment ainsi baignée
de sensations familières j’ai pu faire
comme si la féline qui me faisait
une vie doucement heureuse
était toujours dans la pièce d’à-côté
– hélas je ne peux savourer cette
illusion car à peine la conscience
s’écarquille-t-elle que déjà la douleur
explose en supernova dans mes viscères
et je me rappelle que je cuisine
des légumes qui allaient se perdre
avant de les congeler pour le jour
où mon corps enfin réparé
acceptera de s’alimenter

Une histoire vraie

Mon requiem avance à une vitesse un peu vertigineuse ; il enfle de tout ce que répand mon cœur déchiqueté. C’est un roman qui n’en a pas l’air, très fragmenté mais au dispositif serré : un goutte à goutte en fin de perfusion. On y trouve plusieurs poèmes écrits en 2017 mais pas celui ci-dessous, que par ailleurs j’aime toujours beaucoup. Dame Sam l’aimait bien aussi (ce sont des choses que je devinais au mouvement de ses oreilles quand je lisais à voix haute). Il est tiré d’une histoire vraie.

quelle image voulez-vous avoir de vous-même
si vous laissez cet homme vous traiter ainsi ?
voilà ce que j’ai dit
à ma gynécologue
l’autre jour quand elle pleurait
puis elle a retiré le spéculum
elle a dit que j’avais raison
et qu’elle allait quitter ce salaud
puis j’ai payé 57 euros et
je suis remontée sur mon vélo
puis j’ai mangé des miettes à même
le sol et j’ai dit merci
aux doigts qui les égrenaient
j’ai l’impression
que ça m’a coûté très cher
est-ce que c’est remboursé ?

Photo prise dans l’arrière-monde ronchinois en cette même année 2017.