Des nuisibles

J’aimerais pouvoir me réjouir que ce soit aujourd’hui le dernier dimanche de chasse avant quelques mois mais je crains que des arrêtés préfectoraux ne continuent d’encourager les battues aux sangliers hors saison – nous avons affaire à un carnage inédit depuis des décennies. L’espèce humaine est décidément la seule qui s’estime fondée à décider quelles autres espèces sont nuisibles (le minimum d’honnêteté serait d’admettre qu’il n’en est pas de plus nuisible que la sienne propre), quelles espèces sont surnuméraires (le minimum d’honnêteté serait d’admettre qu’il n’en est pas de plus surnuméraire que la sienne propre) et doivent donc être régulées (entendez par là massacrées – la barbarie aime les euphémismes, on dira prélevé pour assassiné). Le terreau de sa prétendue suprématie et de bien d’autres maux a quelque chose à voir avec l’obscurantisme. Tout est lié : ce sont les dominants de ce monde qui se permettent de déforester au nom du profit, de décimer des espèces et de bombarder leurs propres congénères.

la chasse expliquée aux enfants

Beaucoup de sangliers vivent dans la forêt de Vimy ; c’est leur maison à eux, une maison d’arbres et de souilles. Des chasseurs vont dans leur maison et tirent sur eux, sur leurs femmes et sur leurs enfants. Tu verras dans les liv – pardon, sur ta tablette, que c’est normal : il en a toujours été ainsi. Mais comme ce sont de méchants sangliers (on l’a vu), ils ne se laissent pas faire quand on essaie de les tuer. Alors ils partent de chez eux et ils traversent les champs pour aller dans le bois de Givenchy et sur le terril de Pinchonvalles, où tu aimes bien te promener avec ton papa et ta maman sans qu’un sanglier vous saute dessus – ou qu’un chasseur vous traque mais ça, ça ne se produira pas : au pire, s’il tue ton papa ou ta maman, ce sera par accident donc ce ne sera pas grave, il te dira déso.

C’est bon, tu piges, bout de chou ? (Un marcassin aussi, c’est un bout de chou ; tous les goûts sont dans la nature mais, perso, ils m’inspirent plus de gouzi-gouzi que toi.)

Donc maintenant c’est embêtant parce que tout le monde a peur des sangliers à Pinchonvalles, et même sur la véloroute où tu roules sur ton vélo rose ou bleu. Les agriculteurs sont très fâchés parce que les méchants sangliers ont fait des dégâts dans leurs champs quand ils les ont traversés pour ne pas aller au ciel. Vive la République vive la France* a dit aux chasseurs de donner de l’argent aux agriculteurs pour réparer les dégâts mais les chasseurs disent que c’est leur argent et qu’ils veulent le garder pour acheter des belles cuissardes. Alors vive la République etc. dit aux chasseurs de plutôt faire des battues aux sangliers pour qu’ils arrêtent de faire des dégâts dans les champs. Ils sont tellement méchants, tu vois : ils mangent des pommes de terre qui ne leur appartiennent pas. Oui c’est vrai qu’ils ne peuvent plus accéder à leur propre cuisine mais quand même. Si un jour tu as faim, tu te laisseras mourir, parce que tu es gentil ; mais ça ne t’arrivera pas, ne t’inquiète pas, vive la Raie etc. veille sur toi. Allez, bout de chou, fin de la leçon, va faire de la tablette.

* Tu as entendu parler de vive la République vive la France à la télévision ? Quand tu seras grand.e, on t’expliquera ce qu’est le Conseil Constitutionnel.

mais ce n’est pas tout, point d’exclamation

Ben oui : on ne va tout de même pas laisser deux hectares de respiration inutile.

Donc des familles vont venir s’entasser à l’orée de Pinchonvalles, à quelques mètres de ce genre de paysage

où j’ai bien souvent vu des chevreuils et des faons et où désormais, on le sait, vivent également des sangliers. Donc les sangliers vont sans doute ravager un jardin ou deux du lotissement flambant neuf, dévaster de belles pelouses bien tondues, et les propriétaires vont geindre alors que va-t-il se passer ? Il y aura une battue aux sangliers. Parce que vraiment, ce sont des nuisibles.

*

Quel dommage que ces nuisibles ne veuillent pas m’accueillir dans leur forêt… Souvent, j’ai envie de dire, « Laissez-moi sortir » – en l’espèce, de l’espèce. J’ai déjà évoqué ici les magnifiques arbres en pleine santé qui ont été abattus par la municipalité de Sallaumines pour construire un parking 100% goudronné. J’avais pris beaucoup de photos de ces arbres, en 2019, quand j’écrivais ma chanson de geste, en voici quelques-unes :

Et donc ces individus vieux de plusieurs décennies, vigoureux – des êtres vivants, merde – ont été sacrifiés à un fucking parking, sous mes yeux impuissants. J’ai pleuré, ce jour-là, mais ce matin

c’est une rage indicible que j’ai ressentie quand j’ai découvert ceci en leur lieu et place :

Je n’ai rien contre ce petit chou, je lui souhaite une belle et longue existence au bord de l’autoroute, mais quelle absurdité inouïe… Honte à ces gens assis dans leur bureau avec leur tout petit petit pouvoir et leur cerveau encore plus petit, qui ne respectent aucune forme de vie, de ces vies qui valent mille fois la leur, et ne prennent que des décisions imbéciles et criminelles. Je n’en peux plus, de cette espèce dégénérée.

Lecture des splendeurs et ordures

L’une des choses les plus stupides que j’aie lues récemment au sujet de la nature est qu’elle serait « intelligente et aimante ». La personne qui a écrit ça devait rentrer du square. J’ai déjà pas mal lacéré cette idée dans Nue mais ce matin, la simple vision d’un pot de sauce tomate en cours d’ensevelissement dans le schiste du terril 94 (qui est un volumineux artefact de plus en plus verdoyant au fil des ans et peuplé d’espèces moins destructrices que la nôtre) m’a ramenée à cette idée ; j’ai pensé au frère de mon Antique, qui commentait la crise sanitaire et les catastrophes climatiques en ces mots très simples et très justes : « Cette planète ne veut plus de nous ». Et certes la nature est intelligente, c’est pourquoi elle ne nous aime pas et c’est pourquoi elle est en train de nous éradiquer – oh lentement, la nature n’est pas pressée, elle ne vit pas sur la même échelle de temps que nous, mais elle va nous dégager tout ce merdier, à sa manière patiente et implacable : au compost les selfies, les bulletins de notes et les bois de cerfs en déco de cabane. La nature va nous avaler comme le schiste avale le pot de sauce tomate puis elle va prendre un peu de charbon pour mieux nous digérer. En attendant, gloire à nous, cliquons sur des like, accrochons nos masques chirurgicaux dans les arbres (c’est amusant), prenons la voiture pour aller chercher le pain et sentons-nous supérieurs à toutes les formes moins évoluées du vivant. (Les photos qui suivent ont été prises ce matin sur le 94, dans un laps de temps de quelques minutes.)

Tout ça, c’est ce qui arrive fatalement quand on aménage des lieux plus ou moins naturels à l’usage des humains : le lieu était magnifique, lunaire, infréquenté, mais un gros malin a voulu se faire bien voir et a planté des escaliers, des toboggans et des parcours de fitness partout, ensuite de quoi, plutôt que d’assumer, de prendre son petit sac et d’aller ramasser la merde de ses électeurs, il laisse la poubelle à ciel ouvert se garnir de semaine en semaine de nouveaux emballages colorés. Puisque j’en viens à la politique (et pour faire nombre premier), voici une photo bonus prise à Sallaumines au retour de 94. J’ai ri de la désinvolture avec laquelle la tempête a plié la rhétorique des aspirants potentats.

Feel good

Ce matin, j’ai eu la mauvaise idée de courir un peu en ville avant de bifurquer vers l’arrière-monde puis la nature ; il était si tôt que j’étais assurée de ne croiser personne mais je n’avais pas pensé aux affiches, à la barbarie de Noël étalée partout en couleurs criardes et j’ai vite détourné la tête pour ne pas voir l’inévitable promo sur le foie gras.

Je vous livre mes réflexions à vif :

Que dire d’une espèce qui considère comme un produit de luxe un aliment issu de la séquestration, de la torture et de la mise à mort d’individus sans défense, sinon que c’est une espèce de psychopathes ? Cette espèce qui perpétue la tradition éminemment barbare du foie gras et nous harcèle avec ses notions d’empathie, de bienveillance et autres niaiseries feel good. Qui me dira, pour justifier ses mœurs, « Mais alors qu’est-ce que tu fais de tous les animaux carnivores ? » Il faut beaucoup de courage et de patience pour répondre à des arguments d’une telle ineptie – ou est-ce de l’hypocrisie ? Je m’en fous, discuter ne m’intéresse pas : les abrutis ne changeront jamais. Ils me diraient que je suis intransigeante ; j’aimerais voir leur tête si quelqu’un gavait leurs gamins de force jusqu’à ce qu’ils crèvent et qu’on leur disait d’aller pleurnicher ailleurs, « Si vous n’aimez pas ça, n’en dégoûtez pas les autres ». Les canards et les oies sont mes enfants ; avec eux, ce sont mes tripes que vous réduisez en pâté de luxe. Je suis sûre que la plupart des clients de cette répugnante industrie regardent la télévision ; et je suis prête à parier que la télévision diffuse des reportages sur les méchants méchants élevages d’oies et de canards avant d’accueillir un chef étoilé qui se délectera de ses bruits de bouche maniérés tandis qu’il expliquera comment accommoder le foie gras pour un raffinement ultime – immonde connard.

Ensuite, j’ai gagné l’arrière-monde puis la nature, il n’y avait pas encore de chasseurs (qui, au fond, ne sont pas beaucoup plus dégénérés que les éleveurs) et, un moment, j’ai pu sourire. J’entendais les animaux tout autour de moi sans les voir, je patinais dans la boue, sautais des flaques grandes comme des mares.

La quatrième dimension

une passerelle entre deux terrils de Fouquières

le 94 de Noyelles vu de l’est

puis de l’ouest

et quelques-uns de ses innombrables voisins

Un scoop

Un sapin, c’est un être vivant.

Depuis des années, des citoyens prétendument concernés par la planète me disent que je ne comprends pas parce que je n’ai pas d’enfant. Mais j’imagine mal un enfant exiger qu’un autre – même d’une autre espèce, même d’une espèce végétale – soit sacrifié pour son plaisir. Ou alors ces petits êtres sont de sacrés monstres et je me réjouis encore plus de ne pas en avoir.

Je soupçonne plutôt les parents de projeter sur leur progéniture leur propre besoin de rituels neuneus, à la fois destructeurs et mièvres, qui les ramènent à une magie de Noël aussi réactionnaire que la tradition du chasseur français, ce furoncle.

Depuis des années, les mêmes parents me disent, Ah mais aujourd’hui, tout va bien : pour un sapin acheté, un autre est replanté. Ok, donc si je suis ton raisonnement, il serait indifférent qu’on décapite ton gamin pour qu’il serve de déco puisque tu as encore des ovaires pour en faire d’autres ? Intéressant.

Parfois, je perds patience face à tant d’anthropocentrisme obtus, de mauvaise foi et de cruauté gratuite. Je n’évoquerai même pas l’aspect culinaire de ces fêtes, qui me donne envie de démissionner radicalement de l’espèce.

(Les jouets sont parmi les détritus les plus répandus dans l’arrière-monde, juste après les emballages alimentaires – parmi lesquels je compte les bouteilles et canettes – et juste avant les vêtements, les pneus et les matelas. N’essayez pas de vérifier l’info, l’Insee ne court pas dans l’arrière-monde. Faites-moi confiance.)

Et un joyeux Noël !

Autres notes sur les NPR

1. Le NPR 85 autoréférent n’a pas vécu 24 heures sur le poteau à l’entrée de la véloroute Avion-Hénin-Beaumont. Ce qui me semble confirmer que mes concitoyens n’aiment pas les directives, les ordres et les interdictions. Cela dit, le panneau n’a pas été vandalisé mais subtilisé : on n’en trouve trace nulle part. Oh je sais ce que vous allez dire, vous allez imaginer qu’il a fini dans une poubelle municipale à roulettes, voire à moteur, mais dans ce cas, comment expliquez-vous qu’à quelques pas dudit poteau, on trouve encore ce matin divers spots d’ordures comme celui-ci

et même ce mal assis là d’un goût plus que douteux ?

2. Un peu de lumière et de beauté : on se rappelle l’amour inconditionnel si touchant de Méricourtois pour leur cygne sans tête, évoqué dans le NPR 36 de la petite sirène ; eh bien, pour preuve que l’amour peut faire des miracles, le cygne a non seulement retrouvé sa tête mais il est aussi fleuri !

NPR 80, 80A et 80B* de campagne

Sur ma porte il y a une affichette d’honorables proportions scotchée juste au-dessus de l’entrée de courrier, suffisamment colorée pour que les militants ne puissent pas la rater, or j’ai déjà trouvé deux tracts sur mon paillasson, chaque fois pour le même parti. La deuxième fois, j’ai assisté à la scène ; j’étais au premier étage quand j’ai ouvert la fenêtre pour éprouver la température extérieure et vu cette femme, un tas de tracts sur l’avant-bras, se pencher vers ma porte puis, ayant lu le panonceau, se redresser avant de s’éloigner à regret. Bonne fille, ai-je pensé, mais elle est très vite revenue sur ses pas, c’était plus fort qu’elle, et m’a imposé son tract de facho. C’est encore une occasion de penser aux témoins de Jéhovah, qui frappent à votre porte pour vous dire comment penser, comment vivre et à qui céder votre libre arbitre.

(ceci n’est pas un NPR)

Un matin, cette semaine, en passant devant des panneaux d’affichage étonnamment vierges de toute affiche moche à l’effigie de tel et tel faux derche – des panneaux vides comme un discours politique -, j’ai improvisé ces trois NPR électoraux.

NPR 80 à meuh

Je pensais m’en tenir à ce meuh mais face à l’abondance de panneaux que je croisais au fil de ma course à pied, je me suis attardée sur le sujet de la politique. J’ai pensé à la phrase répandue « de toute façon c’est tous les mêmes » et j’ai tâché de nuancer : à considérer qu’il y ait un modèle unique d’aspirant au pouvoir, même à un tout petit pouvoir, il existe en plusieurs coloris – rouge, vert, bleu, etc. et j’ai poursuivi avec les deux NPR suivants

NPR 80A du coloris

NPR 80B de la prosopa***sie

*** pour gno ou pour mné. La syllabe gno existe dans une variété de contextes que ne connaît pas mné : on peut ignorer de quel ignoble vignoble provient telle gnôle mais sauf erreur de ma part, mné n’apparaît que dans des mots de la même famille, tous issus de la racine mnêmê, « mémoire ». Gnomné n’est pas facile à prononcer ; mnégno est peut-être pire encore ; on peut s’entraîner à les chanter sur le modèle de Meredith Monk dans Wa-lie-oh, l’une des Songs from the Hill (particulièrement dans la séquence qui débute à 2’51).

* ça commence à faire taille de bonnet

Un massacre

Voici une photo du parc Guimier à Sallaumines, celui que j’évoque dans Le sel de tes yeux et dans La geste permanente de Gentil-Coeur. Il ressemblait encore à ça ce matin.

Mais quand je suis passée par là cet après-midi, tous les arbres à droite sur l’image ci-dessus avaient été abattus. Des arbres sains, vigoureux, apparemment vieux, si on se fie à leur hauteur. Pourquoi ? J’ai envoyé un message à la mairie pour le demander, et pour demander si un tel massacre est légal à notre époque où même le dernier crétin dans un bureau sait qu’il y a urgence à épargner la nature. Ça me rend malade.

Et regardez ça, ils ont fait très vite, comme si ça allait passer inaperçu : sitôt abattu, sitôt débité. Il faudrait porter plainte contre ce genre d’agissements, mais ça ne ramènerait pas ces magnifiques arbres à la vie.

NPR 70 crépusculaire

Il a bien fallu que Piero Manzoni choisisse un endroit où poser son Socle du monde ; et moi, un endroit où accrocher mon NPR crépusculaire. Ce dépôt sauvage d’encombrants au sein d’une nature profuse et généreuse, piquetée de coquelicots, s’est imposé à moi. Non parce qu’on y trouve tout pour la maison (des jouets, une poubelle, un fait-tout, un bac à couverts de lave-vaisselle, des vêtements, un abat-jour, des Tupperware, etc.) mais pour son sapin de Noël artificiel sur lequel subsistent quelques décorations. Un arbre en plastique pathétiquement abandonné à la végétation dont il voudrait imiter la grâce ; un arbre dont j’aurais pensé qu’on l’avait acheté pour éviter de tuer un jeune sapin et dans lequel je voyais quasiment une concession à la flore mais que l’on a largué sans état d’âme parmi les tendres pousses du printemps. Je l’ai redressé car il gisait au milieu du tas et, quand je l’ai adossé à un mini scooter électrique, celui-ci s’est mis à jouer une petite mélodie électronique pour enfant en bas âge, incongrue dans les chants des oiseaux qui seuls jusqu’alors emplissaient l’air, et j’ai eu confirmation de mon intuition : c’était l’endroit, l’ici, l’adverbe de lieu auquel j’allais lier le repère temporel : ce sapin adossé au scooter serait le seuil du crépuscule.

C’est parti. J’ai donné le départ hier soir vers 18h23.

Le seul témoin de ce moment historique où j’ai déclaré entamé le déclin de l’espèce humaine s’est détourné, les larmes aux yeux. Pas rancunier, le lapin. Car, vous l’aurez deviné, je me trouvais au sein de mon nouveau site fétiche du dimanche soir, que jonchent les douilles de fusil.

NPR 65 petit train de l’absolu

Ou NPR 65A, 65B, 65C, 65D, 65E et 65F de l’absolu

7 NPR aujourd’hui : 3 philosophiques, 3 protestataires + 1 yogi-tea, dans le désordre – disons qu’il y a eu dérive, ça s’annonçait philo philo mais ensuite j’ai vrillé. Par ailleurs, qui dit absolu dit lecture des ordures : ce sera donc l’occasion d’alimenter un peu cette rubrique honteusement négligée.

NPR 65 d’absolue corruption

Quel est le biotope dans lequel j’ai inséré ce carton ?

Ce fut une veste. Elle ne doit pas être de la saison.

NPR 65A d’absolue négation

J’ai improvisé ces NPR, dimanche après-midi, quand je suis arrivée en avance au point de rendez-vous que j’avais donné à mes amies, à l’orée de mon nouveau site fétiche du dimanche, peuplé de lapins, de faisans et de coucous (zéro humain). Mon Antique a pris cette photo de moi en train de planter le NPR 65B d’absolu trou pour documenter mon action poétique de renommée mondiale (quoique dans le cercle restreint des amateurs de processus réversibles).

NPR 65B d’absolu trou

Je me promenais avec ce carton dans la poche en attendant de trouver un lieu adéquat où le laisser, quand j’ai avisé un caleçon. Ce site est loin d’être la plus vaste poubelle des alentours mais ses quelques spots de détritus recèlent des pièces au cachet remarquable – pas ce caleçon, certes, mais il est à l’évidence promis à la même putréfaction et à la même mélancolique noblesse que la veste vue précédemment.

Mon Antique est assez forte pour lire les ordures, elle tend le pied vers un objet mort et dit, Alors ça, c’était un couteau, tandis que son amoureuse reconnaît plutôt les plantes : Tiens, dit-elle, ce ne serait pas de la consoude ? Moi, tout m’intéresse, les adventices et les ordures. C’est chouette de se promener avec un couple complémentaire. Ce matin, j’ai poursuivi l’impro en solo, exactement au même endroit, je n’avais jamais vu autant de lapins et des vols d’oies sauvages me survolaient à très basse altitude, on n’entendait qu’elles, de plus menus oiseaux et les cris des faisans comme des klaxons de mobylette.

NPR 65C d’absolu toc

– Quoi, tu n’es pas d’accord ? j’ai demandé au lapin qui me regardait avec un air compatissant insérer ce NPR dans une coquille de noix vide.
– Sans vouloir me la jouer Humphrey Bogart, il a dit, elle s’appelait comment, la fille qui t’a brisé le cœur ?
– C’était dans quoi, déjà ? Le port de l’angoisse ?
– Sais plus mais en tout cas il s’adressait à Lauren Bacall.

Puis on a topé là, le lapin et moi, quand j’ai bricolé ce

NPR 65D d’absolu déni

et l’ai planté au-dessus d’une douille de fusil – car on trouve par ici toutes sortes d’ordures et j’imagine que ce coin de paradis n’a pas le même visage de septembre à février.

J’ai attendu d’être loin du lapin pour punaiser ce double

NPR 65E remboursez

Et comme il fallait un septième NPR pour obtenir un beau nombre premier, j’ai décidé d’en recycler un vieux et de le glisser là, derrière la fenêtre brisée d’une des centaines de maisons des mines condamnées que compte mon territoire – il y a carrément des quartiers fantômes. Entre yogi-tea et carrément potache.

NPR 65F absolument illisible

NPR 33 du verre pilé

NPR improvisé aujourd’hui dans ce petit bois que j’aime beaucoup, notamment parce qu’il se situe à un point totalement isolé de la ville, à la frontière de Lens et de Loos-en-Gohelle, séparé d’une friche immense et pleine de lièvres par une route très peu fréquentée.

Je prenais des photos de mon accrochage quand j’ai perçu un mouvement du coin de l’œil ; l’animal devait être un chien, il était beaucoup trop grand pour être un chat. Ou peut-être un renard, me suis-je dit, car il semblait roux. J’ai avancé vers le point où il s’était enfui en me voyant et, bizarrement, il s’est dirigé vers moi : Un chien, ai-je conclu, j’espère qu’il n’est pas trop sauvage. Puis il a été assez près pour que je comprenne avoir affaire à un très grand lièvre. Il s’est immobilisé à une vingtaine de mètres et nous nous sommes regardés avec stupeur. Puis il a bondi dans le bois à sa gauche et je suis retournée prendre des photos de la mobylette brûlée.

J’ai aussi fait une découverte déprimante. Depuis que je vis ici, j’entends parler d’un nouveau centre hospitalier qui va bientôt se construire et remplacer le beau mais certes vétuste hôpital Ernest-Schaffner. Ce matin, je me demandais ce que fomentaient les engins de BTP que j’aperçois depuis quelques semaines sur la friche des lièvres et, vous l’aurez deviné, c’est ça : un centre hospitalier. J’ai lu l’autorisation de travaux et senti quelque chose s’affaisser en moi. Bientôt, cette route sera constamment encombrée de véhicules, je n’y courrai plus, ou alors en me disant que c’est un mauvais moment à passer pour atteindre telle ou telle destination plus sauvage. Bientôt, cette friche sera un bâtiment qui bouchera l’horizon ; que va devenir le petit bois ? Où les lièvres vont-ils vivre ? J’ai vu quelques-uns de leurs congénères au 11/19, plus tard pendant ma course à pied, mais il est à deux kilomètres à vol d’oiseau et comment trouveraient-ils le chemin ? et comment échapperaient-ils aux chauffards sur les portions de route qu’il leur faudrait traverser ? Certains matins, je ressens quelque chose comme du désespoir.

Cette zone aujourd’hui confidentielle sera bientôt un centre névralgique de la ville.