Tous les matins, je mets mon réveil à 5h pour être dans la nature quand le jour se lève et courir dans les éclats d’or que les feuillages découpent sur les sentiers, dans les bois, le long des prairies ondoyantes.
La nature est tendre, ses couleurs mélancoliques, ses parfums à la fois subtils et profonds, ses sons mystérieux et purs ; tôt le matin, aucune présence humaine sinon la mienne ne gâche la plénitude de la nature – et j’en ressens un peu de honte mais encore plus de gratitude, même si je vois bien que les lapins me fuient. Au bord du ruisseau, je découvre qu’ils s’entendent bien avec les poules d’eau et cette pensée me rend joyeuse – jusqu’à ce qu’ils se jettent tous dans les fourrés à mon approche, alors je suis embarrassée. Je fais le moins de bruit possible, cours sur la pointe des pieds la plupart du temps, pour ne pas trop déranger.
Un faon traverse le chemin sur lequel je cours, à deux mètres de moi, il surgit des herbacées plus hautes que lui et disparaît aussi vite derrière une haie touffue hérissée de ronces. Je me demande si c’est le petit de la biche (à moins que ce ne soit une chevrette) que j’ai vue jeudi dernier (le gabarit me laisse penser qu’il s’agit plutôt de chevreuils et chevrettes mais j’ai plusieurs fois entendu des cris qui avaient tout du brame, or j’apprends que le chevreuil aboie ; pour savoir à qui j’ai affaire, il faudra que je tâche, lors de notre prochaine rencontre, de regarder discrètement les fesses du cervidé pour voir si l’on y trouve ce que l’on appelle un miroir blanc, soit une tache érectile – en forme de cœur pour les filles, tiens donc). Ensuite, le faon est quelque part sur l’image ci-dessous.
Dans les paysages profus qu’embrasse mon regard au fil des kilomètres se trouvent d’autres mammifères que moi mais je ne les vois pas. Les bois et les prairies bruissent de présences furtives et de loin en loin on peut entendre des cris et des chants plus gracieux que ceux de mon espèce – mais il faut pour cela y plonger très tôt, avant l’arrivée des joggeurs fluo, des familles avec leurs gamins braillards et des bandes de potes qui font des feux sous les bouleaux. Le paradis n’est pas un seulement lieu, c’est aussi un moment, c’est un lieu à un moment – le paradis est éphémère ; par chance, il est cyclique.