Jambes en l’air : ascension

J’ai inventé le concept de jambes en l’air en février 2017. J’avais le moral au ras du sol et j’aspirais à me relever ; j’avais aussi besoin de me réapproprier ma vie et les villes qui en étaient le décor. Contrairement aux apparences, lever les jambes semblait faire sens. Je courais avec mon appareil photo et, quand je voyais quelque chose s’élancer vers le ciel et que j’aspirais à l’imiter, je m’allongeais sur le dos, prenais la photo et aussi vite me relevais et poursuivais mon chemin. Recommandé à celles et ceux que leur image préoccupe : après un tel exercice, on peut aller à la boulangerie en robe de chambre, on est libre, l’ego en sommeil.

La toute première fois, il y avait forcément une idée de démolition, là-dedans.

Mais ensuite, tout n’était plus que prétexte à la fuite en l’air.

Il y eut reconstruction

Il y eut des bonnes ondes

des arbres indéracinables

des regains d’énergie

des voies ferrées vers des ailleurs spirituels

l’envie de jouer bientôt est revenue

et enfin il y eut (fiat) de la lumière (lux)

Bref, je recommande énergiquement cette thérapie.

Notes sur Mons-en-Baroeul

(Extraits d’un texte écrit pendant l’été 2015.)

« Un soir, cet hiver, j’ai descendu la ville de Mons-en-Baroeul depuis son point culminant. Le hasard et mon goût pour la marche en avaient ainsi décidé. J’avais aperçu mille fois le sommet des tours Europe, hautes de vingt-et-un étages et visibles depuis plusieurs villes, des centaines de rues et des dizaines de parcs, depuis les voies ferrées, les friches et les échangeurs autoroutiers qui s’emmêlent autour de la métropole comme un corset de fils barbelés.

(Une tour Europe vue depuis la rue Parmentier.)

Ce soir-là, au fil des rues vallonnées que j’ai parcourues pour regagner Lille, j’ai traversé de vastes espaces bétonnés, vides et battus par le vent, me suis approchée des grands ensembles, que relient des chemins et des parkings labyrinthiques et dont les lames dressées vers le ciel semblent l’inviter au seppuku. Après cela, je suis revenue presque chaque jour, fascinée.

(Une des « tours jumelles » vue depuis la rue Pierre Curie.)

(Une tour America vue depuis la rue de Normandie.)

J’ai d’abord décrit des cercles concentriques autour des tours Europe. Celles-ci, d’un blanc dont la proximité révèle qu’une mousse verte le corrompt à chaque arête, se détachent sur le ciel ou se confondent avec lui selon qu’il est dégagé ou laiteux ; l’on peut ainsi les voir, à mesure que l’on se déplace autour d’elles, sous tous les angles possibles, se découpant derrière des toits plats ou pointus, leur image encadrée de lilas, de corète du Japon, de cerisiers en fleurs, de magnolias ou d’antennes paraboliques. On peut les voir depuis presque chaque point du territoire qu’elles dominent, impassibles.

(Commerce au bas des tours Europe, depuis l’avenue Robert Schuman.)

La résidence Europe est à la fois le phare et le symbole de la ville (le logo de la municipalité consiste en quatre traits blancs sur une colline verte et un fond de ciel bleu que perce une étoile). Les tours bordent une perspective que je qualifierais de soviétique, même si elle ne débouche pas seulement sur la tour hertzienne rouge et blanche qui offre un repère spatial à toute la banlieue nord-est au sommet de laquelle elle émet, mais aussi sur le « village vertical » America, comme on le nommait à sa livraison.

(La tour hertzienne vue depuis la rue de Normandie.)

(Les tours America vues depuis la rue de Normandie.)

De près, la résidence Europe évoque un squelette de stégosaure, totem dont la présence à mi-chemin entre la ville haute et la ville basse, sa carcasse parallèle à ces dernières, voudrait décourager les intrus de sa masse écrasante. Paradoxalement, les arêtes lisses et nettes des corniches qui soulignent chaque étage leur donnent un aspect fragile, car l’on imagine de loin pouvoir les saisir entre le pouce et l’index et les sectionner sans bruit, les cueillir proprement ; l’on peut presque sentir dans la pulpe des doigts l’écho tout juste perceptible de la section, comme s’il s’agissait de constructions Lego, ou que l’on était un nouveau Godzilla – l’un ou l’autre.

(Les tours Europe vues depuis la rue Greuze.)

Autour de la Z.U.S., des lotissements sinueux de pavillons à toit plat, cubes à la brique pâle et aux petits carreaux de céramique, leurs jardinets entretenus comme des chevelures par de vieux messieurs aux gestes lents et patients, lotissements troués de longs passages étroits ; le passant distrait ne remarquera pas ces échappées qui lui sont proposées vers des rues parallèles presque identiques, pour le profane, à celle que présentement il emprunte.

(Passage reliant les rues Marcel Pinchon, Édouard Lalo et Hector Berlioz – trois parallèles.)

Je découvre, au fil de mes courses à pied, des béguinages aux volets toujours clos, des rues de style balnéaire aux palaces fleuris de roses trémières et des rues ouvrières aux bicoques guère plus spacieuses que des cabines de plage, des maisons anglaises à grilles noires et bow-windows, des lotissements surannés, une église que l’on dirait satanique, des épiceries sombres dans les coins, sous les étagères de tôle, et que baigne une odeur de fruit trop mûr.

(Boulevard du Général Leclerc, avec en fond les tours Europe.)

(Rue Marcel Pinchon.)

(Avenue Foch.)

Très vite, je conçois une passion lumineuse et sans entrave pour cette petite ville aux contrastes agressifs. Je l’élis secrètement la ville la plus photogénique de la banlieue et me réjouis qu’elle soit ignorée du monde, tout au moins des individus qui, à quelques kilomètres de là, poursuivent le bonheur dans le halo d’enseignes lumineuses et le vacarme d’un quotidien où la profusion d’événements dérisoires supplante la quête de sens, car je peux ainsi prétendre qu’elle m’appartient. J’emploie par-devers moi l’adjectif sublime pour qualifier cette banlieue peu recherchée, je l’emploie avec un frisson d’extase perverse, ma conscience effarée par la force péremptoire de ce choix lexical spontané. J’y vois une fièvre amoureuse un peu coupable – quand, plutôt que de se déclarer à son objet, on le suit incognito, fasciné par son propre émoi tout autant que par l’objet de cet émoi et par ce que l’on découvre de l’objet en question.

(Avenue Marc Sangnier.)

Je me renseigne sur la ville. La documentation que je rassemble comporte des batteries de chiffres ; jamais je n’aurais envisagé que les ressources de l’INSEE pourraient un jour combler chez moi un manque affectif proprement douloureux. Je me repais de ces chiffres pour oublier que je ne pourrai jamais embrasser cette ville dans son entier, que je ne pourrai jamais l’appeler chez moi, que je ne pourrai jamais l’avoir fondée, peuplée, gouvernée, protégée, animée, ni par mes propres et seuls moyens ni par les voies traditionnelles qui permettent de s’investir dans le devenir d’une ville. Ce n’est pas la mienne, et l’adopterais-je que je ne serais pas le premier individu à le faire, ni le principal, ni le dernier. Cette ville ne sera jamais à moi. »

(Avenue du Maréchal Joffre.)

(Commerce au bas des tours Europe, vu depuis la rue du Maréchal Lyautey.)

Depuis l’écriture de ce texte, j’ai déplacé mon territoire vers l’ouest, le Nouveau Mons a pris la forme d’un écoquartier, de nombreux commerces ont fermé leurs portes sous les tours Europe tandis qu’un Carrefour City concurrence l’épicerie photographiée ci-dessus, et le béguinage auquel je fais allusion a été rasé.

Arbres du Nord : Imagin’Hair

Non, je ne commence pas une série sur les enseignes de coiffeurs les plus pourries, oubliez Posi’tif, Légend’Hair et le très sophistiqué Capilosophie, je n’ai pas envie d’être poursuivie en justice – ni dans la rue avec des ciseaux. Je vous propose un catalogue non exhaustif (il y aurait matière à ouvrir un blog spécial toilettage végétal), une série qui vous donnera des idées pour tailler vos propres arbres.

Je vous jure, le salon ci-dessous ne m’intéresse pas, je ne trouve pas le jeu de mots Bienvenue sur T’Hair particulièrement remarquable, astucieux ni lourd : aucun jugement. Ce qui m’intéresse, c’est cet arbuste tire-bouchonné qui orne le rond-point, évidemment.

coupe canine (// toilettage)

pompadour

coupe radicale

rajout

pompon

tout rasé

coupe barcelonaise

mystique

Marge Simpson (x 2)

bear (bébé ours)

autre bear (papa ours)

frisettes

frange

laisse pousser depuis peu

laisse pousser depuis longtemps

chignon

caniche

Buckingham Palace

Bert 1 (face)

Bert 2 (dos)

géométrique

Tintin

Montreuil

Vendredi je serai au Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil. Au programme : rencontre avec la Néerlandaise Annet Huizing, auteur de Comment j’ai écrit un roman sans m’en rendre compte (Syros) devant rien moins que six classes de collège ; je parlerai de La vitesse sur la peau. Retrouvez-moi aussi sur le stand du Rouergue de 12h30 à 13h30 et de 15h à 16h.

Stendhal Hors les Murs (ex Missions Stendhal)

Les 12 lauréats 2017. Entre parenthèses, le pays de destination.

Salim BACHI (Cuba)
Fanny CHIARELLO (États-Unis)
Marion de DOMINCIS (Algérie)
Cédric GRAS (Albanie/Kosovo/Serbie)
Marion GUENARD (Égypte)
Yasmine KHLAT (Liban)
Niels LABUZAN (Botswana)
Gwen LE GAC (Argentine)
Gaspard MARIE-JANVIER (Israël)
Mathilde RAMADIER (Norvège)
Nicolas RICHARD (États-Unis)
Emmanuel RUBEN (Bulgarie/Roumanie/Ukraine)

(Soon, soon, soon… Pour un mois de résidence.)

Lecteurs.com

Je réponds à quelques questions de lecteurs sur lecteurs.com :
le-zeppelin
« Retrouvez les réponses de Fanny Chiarello à ses lecteurs à propos de son roman Le Zeppelin

Pour rappel, la critique de Christophe Robert pour « Le Zeppelin » est à lire ici

Sophie Dupont : Comment vous est venue l’envie d’écrire ce livre ?

Tout est dans le premier chapitre, qui ébauche vraiment la période pendant laquelle j’ai écrit la première version du Zeppelin. Ce chapitre est à la troisième personne parce que j’avais dix ans de moins à l’époque dont il est question : j’avais besoin de cette distance pour l’évoquer, mais ça n’en parle pas moins de moi. Pour résumer, le Zeppelin était ma réaction au traumatisme du 11 Septembre – il pourrait aussi être une réponse aux attentats plus récents. J’ai voulu écrire un roman qui tournerait en dérision les structures du film catastrophe pour montrer que dans le monde que je décris, non édulcoré, non hollywoodien, il n’existe rien de tel que l’héroïsme et la solidarité. J’ai choisi ce biais en hommage à Richard Brautigan, auteur qui a détourné plusieurs genres romanesques (roman noir, gothique, western, etc.) et dont la lecture m’a aidée à surmonter l’horreur de vivre dans un monde où tout me rappelait l’échec du collectif. Ce dernier est évidemment le sujet du Zeppelin.

Qu’avez-vous souhaité transmettre à votre lecteur ?

Je ne pense jamais aux lecteurs quand j’écris, c’est la plus grande honnêteté que je puisse avoir envers eux ; l’inverse serait de la séduction. Ma démarche est toute dédiée à la recherche littéraire, sans considération parasite et surtout pas commerciale.

Vous êtes vous rendu compte à un moment que votre écriture pouvait désorienter le lecteur ?

Écrire consiste à créer une langue singulière dans la matière du langage commun. C’est en tout cas ma vision de l’écriture, je suis de cette école-là : de celle qui accorde plus d’importance à la manière de raconter qu’à ce qui est raconté. En tant que lectrice, de la même manière, je ne suis pas une consommatrice mais une exploratrice d’écritures audacieuses et d’univers inédits, qui seuls m’intéressent. Je ne vais pas très loin dans un livre qui ne me désoriente pas, que je le lise ou l’écrive.

Quel est le lien entre l’avant-dernier chapitre et le reste du livre ?

Dans le chapitre qui le précède, « Ouroboros : titre d’un seul chapitre », on voit l’auteur fictif se plaindre de ce que son roman s’est annulé lui-même ; le chapitre « Tous ne seront pas épargnés » vient donc remplacer tout ce qui a précédé et montre la manière dont se seraient étripés les habitants de La Maison si le Zeppelin n’avait pas survolé la ville, ce en quoi je sous-entends que la violence n’attendait qu’un déclic pour exploser, et que le Zeppelin n’a été qu’un prétexte au déchaînement collectif dans cette ville plombée par un ennui existentiel profond.

Clara Defachel : Dans Le Zeppelin, tous vos personnages ont un côté marginal, voire inquiétant. C’est à eux que vous cédez la narration, qui reflète de fait leurs caractéristiques.

Je ne cède pas la narration, je la partage avec douze autres personnages. Par ailleurs, un angle d’approche de ce roman serait de considérer cette polyphonie douteuse comme un portrait de l’auteur en puzzle, alors je vous en donnerai, de l’inquiétant !

Quel était à votre sens le meilleur narrateur ?

Je ne comprends pas la question. Qu’est-ce que ça veut dire, « meilleur », quand on parle de personnages fictifs ? En tout cas, si j’avais estimé qu’il y en avait un « meilleur » que les autres (mais vraiment, quel drôle de concept !), je n’aurais pas écrit un roman polyphonique.

Parmi les habitants de La Maison, y en a-t-il un capable de racheter tous les autres ?

Le double de l’auteur, puisque d’une part il est omniscient et conscient, et que d’autre part il peut tout rejouer ; Sylvette Dix-Sept est son double allégorique en ceci qu’elle a également le pouvoir de réécrire cette histoire dont elle connaît la plupart des paramètres.

Question qui m’intrigue fortement (j’ai bien remarqué la chose, mais n’ai pas su trouver son sens) : pourquoi tous les personnages natifs de La Maison ont-ils un nom commençant par S ?

J’ai adopté le principe du Livre des Origines, registre d’état civil canin qui préconise de donner aux chiens de race un prénom commençant par telle ou telle lettre selon l’année de leur naissance. À La Maison, ce principe onomastique est resté bloqué depuis des générations sur le S, preuve supplémentaire de la fossilisation avancée de sa population, qui ne fait guère qu’entretenir ses superstitions – ce qu’elle appelle des malédictions. J’ai choisi la consonne sifflante parce qu’elle me paraissait convenir à une ville damnée qui n’existerait dans mes pages que le temps de s’autodétruire et de terrasser un zeppelin.

Merci Fanny Chiarello !

Karine Papillaud »

Merci à eux…