13-05

Hier, jour nombre premier, sept mois après la signature du compromis, j’ai enfin dit adieu à ma maison de Lille – adieu à Lille – coupé le dernier lien qui m’arrimait encore malgré moi à cette ancienne vie. Le notaire était un homme extrêmement pointilleux , pourtant il employait la préposition sur suivie des noms de ville (usage pompeux, moche et ridicule contre lequel je m’insurge depuis son apparition, il y a une quinzaine d’années), ce qui m’a laissé penser que la cause de la préposition à était définitivement perdue. Ma meilleure amie s’est moqué de moi : C’est une sentimentale, a-t-elle ironisé quand j’ai dit que non, ça ne m’avait rien fait de voir cette maison pour la dernière fois. Puis elle m’a demandé, dubitative, si j’étais parfois émue de passer devant un endroit où j’avais autrefois vécu et il me semble qu’elle a répondu en même temps que moi : Lambersart. Mon appartement au deuxième étage sur parking, 34 bis, avenue du Colysée, où j’ai vécu de 2005 à 2007 avec Joe et Dame Sam, où j’ai écrit la première version du Zeppelin, où je suis morte et ressuscitée, etc.

Au retour, j’ai fait le tour de mes nouveaux paysages et amis. J’ai vu mon Danny, bien sûr – petit trot en duo de part et d’autre du fil blanc, lancer de carotte, salut, etc.

Mais aussi, pour la première fois depuis le 21 mars, ma danseuse étoile préférée, Carrie, qui m’avait beaucoup manqué.

Et canards, poules d’eau, foulques, cygnes, lapins,

arbres gothiques,

mais toujours pas de Dinah – je ne mentionne même pas la poulette de Danny, que je suis résignée à ne jamais revoir.

Mon autre (très) bonne nouvelle du jour : la parution de ma chanson de geste n’est pas annulée pour cause de coronavirus mais seulement reportée de quelques mois. JMJ, quel soulagement !

Un au revoir

Demain, je quitte le vaisseau fantôme pour entamer ma résidence au Triangle de Rennes. J’abandonne Dame Sam et tous nos amis. Ma Carrie chérie m’en veut tout particulièrement, au point de se montrer agressive ce matin. Je l’ai filmée quand elle a chargé, son adorable petit corps potelé ballotant de droite et de gauche tandis qu’elle courait vers moi, le cou tendu, le bec acéré, l’œil plein d’un légitime reproche. Je rentre très vite, lui ai-je promis, mais elle ne m’a pas crue et m’a mordu les baskets et les mollets. Quelques film stills de la vidéo :

Vous allez me manquer, mes amis à poils et à plumes (Polty vient avec moi – il ne paye pas le train) ; à bientôt.

Les premiers jours de ma nouvelle vie

Le premier matin de ma nouvelle vie, je regarde le jour se lever sur le pin majestueux qui surplombe mon jardin, la maison est déjà repeinte, aménagée, rangée, plus aucun carton ne traîne. Je bois le premier thé de ma nouvelle vie.

(Comme cette publicité pour les Meubles Delefosse, ma maison mélange l’ancien et le moderne.)

J’ai dormi trois heures mais je veux saluer ce premier matin en courant dans la lumière sublime, froide et pure, avant d’attaquer les finitions de la maison avec mes proches. Les rues sont presque parfaitement désertes, comme je les aime, et les rares personnes que je croise me disent bonjour.

(Je consacrerai prochainement un billet aux dead Lidl & Aldis du bassin minier.)

Le deuxième jour de ma nouvelle vie, alors que je traverse Loison-sous-Lens en courant, je croise la plus petite fanfare de mon expérience terrestre ; elle ne joue pas très juste et les quelques personnes qui la suivent sont si renfrognées que je n’arrive pas à réprimer un rire. Je suis déçue qu’il n’y ait pas de majorettes.

(Jour de fête au cimetière de Sallaumines.)

La troisième nuit de ma nouvelle vie, je crois qu’il y a un poltergeist dans ma maison. Je suis seule à la barre d’un paquebot hanté, Dame Sam pelotonnée contre moi. Des meubles changent de place, le bois craque et la tuyauterie claque. Le jardin est plongé dans une obscurité totale et seule la silhouette du pin se détache vaguement sur le ciel, un peu inquiétante. Je me fais penser à la présentatrice radio dans le phare de Fog et à toutes ces femmes de films américains qui vivent seules dans des maisons immenses et qui n’ont pas peur. Sauf que j’ai peur.

(Un arbre de terril qui m’évoque celui de Poltergeist.)

Le quatrième matin de ma nouvelle vie, la lumière inonde la maison, des lycéens passent devant mes fenêtres côté rue et le pin, de nouveau magnifique, s’étire côté jardin. Le soir, mon père installe des verrous et bouche des trous dans la coque de mon paquebot. Mon aspirateur fait sa diva, il trouve qu’il a assez donné ces derniers jours et recrache la sciure générée par l’assistance paternelle. Dame Sam a décidé de dormir sous la couette ; je dis ok, tant que je suis célibataire. La situation m’échappe.

(I can’t give you anything but love, baby, chanteraient Cary Grant et Katharine Hepburn.)

En l’absence de connexion Internet, je ne peux pas découvrir les dernières parutions de musiciennes et créatrices sonores. J’en profite pour écouter les albums à ma disposition et me rends compte que j’ai un véritable trésor de femmes formidables sur mon disque dur. Les deux tiers des mails que je reçois depuis trois jours sur mon téléphone ont trait à mes divers abonnements : l’eau, l’électricité, Internet. Bienvenue, me disent-ils en substance, vous pouvez payer ici. Dame Sam hausserait bien les épaules, mais elle n’en a pas. Nous ne nous plaignons pas de ces menus agacements mais pensons aux éphéméroptères adultes, qui connaissent un sort bien pire que le nôtre : ils n’ont ni pièce buccale ni tube digestif, parce qu’ils ne vivent pas assez longtemps pour avoir l’occasion de s’alimenter. Poignante solitude de qui n’a pas de bouche. J’aime autant me passer de stimulations électroniques, et Dame Sam d’épaules.

(Je profite du wifi dans le TGV pour poster ce billet, le sixième jour de ma nouvelle vie – en route pour l’Olivier, où m’attend le service de presse du Sel.)

(Pierre solitaire de Pont-à-Vendin.)

Le cinquième jour de ma nouvelle vie, je passe outre un panneau ATTENTION CHASSE et cours pour la première fois sur un terril, au long de petits chemins noirs qui serpentent entre les bois, les étangs, les marais, le canal et des nappes de champignons ; l’odeur d’humus est rehaussée par le soleil et les oiseaux d’eau pérorent joyeusement.

Plus tard, je trouve un endroit où j’aurai plaisir à faire les courses dans ma nouvelle vie, à cinq minutes de chez moi ; c’est une supérette des années 80, biscornue, avec des recoins, des marches et une cabine de photomaton au fond, près des ustensiles de cuisine et des fournitures scolaires. Mon manuscrit en cours d’écriture s’est augmenté aujourd’hui d’un chapitre de cinq pages décrivant le nettoyage d’une cuisine. J’étreins la densité du réel.