Le zeppelin

Le zeppelin

Éditions de l’Olivier

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Quatrième de couverture

« Cet été-là, la lumière est si crue qu’elle rend tout incandescent. La Maison, car tel est son nom, est une ville banale de province, une image d’Épinal. Ou presque. Il est impossible de ne pas évoquer le canal qui la traverse et dans lequel les habitants ont la curieuse manie de jeter tout ce qui leur est cher. Y compris des proches. Peut-être est-ce dû à l’ennui insondable qui semble s’être emparé d’eux.

Le passage d’un zeppelin va enfin briser leur quotidien et leurs insignifiantes activités. Car l’ombre qu’il porte au-dessus de leurs têtes entraîne les réactions les plus inattendues et les plus folles, entre panique et dévotion.

L’auteur épingle douze de ces habitants : douze personnages dont les récits, à la fois corrosifs, loufoques, émouvants, inventent un monde farfelu à la Brautigan. »

Notes de l’auteur

1. l’histoire particulière de mon Zeppelin

J’ai terminé la première version du Zeppelin le 2 septembre 2006, soit dix ans presque exactement avant sa parution (le 18 août 2016). Ce jour-là, j’ai posté ce billet sur mon blog, qui s’appelait Je respire discrètement par le nez :

« 2 septembre 2006

J’ai fini mon roman ; l’un des personnages principaux est un zeppelin, et voyez comme l’auteur finit par s’identifier à son sujet. »

(J’avais joint à ce billet laconique la photo suivante.)

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Une heure plus tard, je plongeais dans une aventure hospitalière de trois semaines dont j’ai totalement raté la première pour cause de coma, et dont j’ai vécu la deuxième dans un état second (la conscience, comme les muscles et la mémoire, ne revenant qu’au compte-goutte et partiellement d’un coma, même aussi court). De cette hospitalisation, j’ai rapporté quelques scènes de L’Éternité n’est pas si longue, ma première collaboration avec les Éditions de l’Olivier, un statut officiel de miraculée aussi encombrant qu’exaltant, et une bague, qu’un infirmier a retirée de son doigt pour me la donner, le jour de mon départ, et que je porte toujours. Je respire discrètement par le nez, aujourd’hui un recueil aux éditions du Carnet du Dessert de Lune, est un journal de cette expérience tout autant que du Zeppelin.

Dix ans plus tard, Le zeppelin existe enfin, Je respire discrètement par le nez existe donc en livre, moi, j’existe encore et j’ai trouvé la lumière, j’avance vers elle doucement.

La lumière, c’est de l’amour, disent certains personnages du Zeppelin.

La lumière ruisselle comme la vitesse sur la peau quand je cours, comme la voix de Meredith Monk, comme l’idiotie du réel à laquelle je tâche de m’abandonner. Ça valait le coup de vivre ces dix années-là.

2. intentions du Zeppelin

Parfaitement pacifiques. Visualisez cette vidéo tirée de The Band Wagon (Vincente Minnelli, 1953, avec Fred Astaire, Nanette Fabray et Jack Buchanan dans le rôle des « Triplets »),et vous saurez exactement quelle scène trois membres d’équipage sont en train de répéter puis de jouer à bord de LZ 132 cependant que, dans les rues de La Maison, à l’ombre de l’aérostat, des individus au bord de l’hystérie le désignent comme une menace extérieure et se préparent à l’abattre…

L’idée de ce roman a germé après les attentats du 11 Septembre. Mon point de départ était cette phrase que nous avons tous entendus : « Où étiez-vous le 11 septembre ? » ou, plus souvent, « le jour du 11 septembre », ce dernier n’étant plus une date mais un événement, jalon dans l’histoire contemporaine. Je me suis rappelé ce roman de Nathanael West, adapté au cinéma par Schlesinger, Le jour du fléau. Le zeppelin aurait pu s’appeler Le jour du zeppelin. Il est construit comme un film catastrophe. 13 personnages, incluant celui qui écrit le roman, assistent à l’arrivée du zeppelin au-dessus de leur ville.

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Il s’agit d’une ville imaginaire, La Maison ; sa population et ses traditions sont une caricature du monde occidental. Les habitants se lamentent sur les malédictions qu’ils prêtent à leur ville (et dont on peut supposer qu’elles sont en fait des superstitions) mais quand un élément extérieur leur semble les menacer, ils sortent les fourches pour les défendre avec un chauvinisme sauvage.

Chacun est englué dans un ennui existentiel que la consommation ne suffit plus à tromper, aussi le jour où un événement de quelque ampleur se produit, ils ressentent une terreur exquise, le bonheur du collectif retrouvé – ce qui n’est pas sans évoquer l’élan patriotique que nous connaissons et qu’ont connu les États-Unis après le 11 Septembre.

Mais les États-Unis ne sont pas seulement le pays de Ground Zero, ils sont aussi celui de la pêche à la truite. La lecture de Brautigan – poète suicidé, solitaire, hors mouvement – m’est un pansement. L’on voit bien son traitement des affaires du monde, selon l’expression beatnik, dans Un général sudiste de Big Sur : des batteries de chiffres attestent d’une documentation sur la guerre de Sécession mais seules sont véritablement développées les non-aventures de trois paumés dans une cabane à Big Sur. Par ailleurs, son attention aux détails correspond à ma propre manière : je préfère m’attarder sur de menues observations que de développer de grands discours.

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Si j’ai détourné les structures du film catastrophe (quoique en l’expurgeant de tout héroïsme et de toute solidarité), c’est en partie pour rendre hommage à Brautigan, qui, quant à lui, a beaucoup joué avec les codes des romans de genre – gothique, western, polar, etc. Pour rendre hommage à celui dont les textes, des décennies plus tard, mettaient de la lumière dans la poussière des tours, à celui qui s’est affranchi de tous formats et de toute vraisemblance pour permettre qu’éclose en toute liberté sa voix si singulière.

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Mes personnages, ici, n’ont aucune étoffe romanesque ; j’ai réduit la narration à son minimum. Exemple, cette citation de Simon, l’un de mes personnages les plus équilibrés et les plus lucides : « En chemin j’ai oublié le but et sur ce chemin j’ai construit ma cabane. » Ces personnages ont renoncé à évoluer, renoncé à la quête d’un sens ; ils ont renoncé à un temps linéaire au profit d’un temps cyclique, d’où leurs prénoms qui commencent tous par un S : j’ai adopté le principe du Livre des Origines, registre d’état civil canin qui préconise de donner aux chiens de race un prénom commençant par telle ou telle lettre selon l’année de leur naissance ; à La Maison, ce principe onomastique est resté bloqué depuis des générations sur le S, preuve supplémentaire de la fossilisation avancée de sa population (j’ai choisi la consonne sifflante parce qu’elle me paraissait convenir à une ville damnée qui n’existerait dans mes pages que le temps de s’autodétruire et de terrasser un zeppelin).

Le zeppelin est un roman du non-événement, ses ressorts dramatiques sont distendus. Les hauts faits d’un 26 juillet à La Maison ? Une bergère en faïence cassée par un chat, une dispute dans un club du troisième âge, l’achat d’un ukulélé, un jus de fruit tiède, des chaussettes trop chaudes, une moquette difficile à arracher, la disparition d’une araignée, d’un réfrigérateur, une odeur de vieux chien… J’envoie un zeppelin à ces personnages et qu’en font-ils ? Une guerre civile éclair. Soit un divertissement de première qualité.

3. Photo d’un zeppelin sur ma verrière, en 2005 ; dans sa lettre-carnet, mon personnage Solveig Cruette écrit à Valérie – PJ Harvey : « sur un segment jaune de la verrière, ce matin, une feuille morte en forme de zeppelin. Sinon, rien à signaler ».

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Cette note est l’occasion de proposer un autre angle de lecture possible du Zeppelin : je pourrais aussi le définir comme un autoportrait en puzzle (et en 2005-2006), ce qui est plutôt amusant (quoique d’un intérêt très limité hors de mon cercle amical et familial, j’en conviens) sachant que la polyphonie à l’œuvre dans ce projet tient plus exactement de la cacophonie…