indigestion

j’ai quatre jours chez moi entre deux déplacements ;
je n’ai pas eu le temps d’assimiler la Californie, j’étais à la Villa Yourcenar ;
je n’ai pas eu le temps d’assimiler ma résidence Vertébrale(s), j’étais à Liège ;
je n’ai pas le temps d’assimiler ma résidence à Liège, je pars prendre sept trains et quatre bains de foule (le tout en gérant les coulisses – ma logistique et celle de mes collaboratrices au cœur de leur propre chaos et le secrétariat qu’un tel merdier implique)

ce n’est pas la vie ; vivre, ce n’est pas enchaîner les expériences sans prendre le temps de les laisser infuser (ce qui revient à manger 24h/24 sans prendre le temps de digérer)
je ne peux pas continuer comme ça, je ne veux pas
mon seul moment de suspens, c’était hier matin dans le brouillard, toujours ce brouillard salvateur qui oblitère tout pour un temps
puis de nouveau la précipitation, le multi-tâches, les requêtes incessantes comme des mouches sur le nez d’un cheval

paix

Aujourd’hui, mon corps me fait la tête.

Il m’en veut d’avoir trop célébré Noël en famille, il est pesant et sans tonus. Je l’ai jeté sur mon vélo comme un gros sac de sable et l’ai acheminé péniblement jusque là où des images mentales spontanées souhaitaient m’attirer, c’est-à-dire aux terrils du Marais de Fouquières.

Le vent soufflait dans le bon sens pour tenir les bruits urbains à l’écart et là-haut régnait une paix profonde. J’ai marché sans un bruit dans la quiétude tour à tour sombre et dorée, les grincements d’arbres morts et le parfum de la mousse tendre ; un lièvre a sursauté, bondi dans la roselière. Je lui ai présenté des excuses.

ressenti

moins 12 disait la météo agricole alors j’ai mis mon pantalon technique moulant qui me sert une fois tous les trois ans parce qu’hier, le ressenti moins 7 avait marqué les limites du plaisir de la course en short ; même les étangs étaient gelés – pauvres oiseaux d’eau <3

le froid est d’une grande beauté – ce blanc immaculé trop mat pour réverbérer la lumière du matin – mais il est difficile de ne pas penser à toutes celles et tous ceux qui en souffrent

mes pensées ce matin allaient tout particulièrement aux herbivores et granivores, soit les êtres les plus innocents au monde mais aussi les plus vulnérables : l’hiver, la nourriture se faisant rare et leurs besoins plus pressants, ils emploient toutes leurs forces à prendre des forces, c’est-à-dire à survivre de la manière la plus basique possible, ce qui serait déjà bien assez douloureux et difficile s’ils ne devaient pas en plus, à ce moment d’extrême fragilité, être traqués par des furoncles en gilet orange et leurs chiens

ces photos n’en montrent rien mais il s’est passé plein de choses à l’aube aujourd’hui

il y a notamment eu plusieurs feux d’artifices, que j’ai d’abord pris pour des coups de feu ; je n’ai jamais compris d’où ils venaient – j’ai d’abord cru qu’ils étaient la source de la fumée épaisse dans le ciel mais non, elle venait de deux choses différentes

la fumée blanche, de Recytech, et la noire, je ne le saurais que plus tard,

quand je verrais une voiture encastrée dans la pile du pont qui relie Noyelles à Loison, entourée par une nuée de pompiers tandis que les passager.e.s indemnes mais hébété.e.s observeraient la scène au milieu des policiers ; je me sentirais alors un peu stupide de traverser cette scène hollywoodienne de mon petit trot hors sujet, jusqu’à ce que je parvienne à l’étang de mes regrettées Carrie & Ricah et me demande où étaient parti.e.s tou.te.s leurs ami.e.s

empreintes et boutis

Ce matin, pour épargner mon dos et mes membres inférieurs éprouvés par un excès de course à pied mais aussi pour fêter la fin d’un texte que l’on m’a commandé, sur lequel j’ai passé des semaines très intensives, et enfin dans l’espoir de croiser des hurluberlu.e.s, je me suis octroyé une promenade solitaire sur deux terrils réputés pour être appréciés des sangliers – des gens se plaignent qu’ils viennent sur notre territoire, nos tas de schiste ; sans doute, si des types finis à la pisse venaient les traquer chez eux, ces gens y resteraient-ils ; moi non, je m’enfuirais, donc je comprends les sangliers. J’étais très fière de me promener seule dans leur nouvel habitat sans peur au ventre, je me disais que j’en avais fini avec le traumatisme de la charge. Quelques belles vues des Garennes, à Liévin :

Les fameuses fumerolles, bien visibles sur ce versant épargné par la brume.

Le terril est-il habité ?

Sur la route entre les Garennes à Pinchonvalles, j’ai vu ce héron survoler un champ.

J’approche ici du plateau supérieur de Pinchonvalles. Entre temps, j’ai vu mille merveilles et pris 73 photos mais j’ai décidé que ce billet ne devait en comporter que 13 alors je dois me brider.

Nous voici au sommet,

avec vue sur le bois des Bruyères ; en contrebas, hors cadre, il y a des champs et des champs, jusqu’à la forêt domaniale de Vimy.

C’est le paysage que je contemple quand je fais des pique-niques ici, chaque été, depuis ce promontoire précis. Alors que je m’apprêtais à y faire un pipi nature, ce matin, j’ai tressailli.

Mais qu’est-ce que c’est ? J’ai instantanément oublié ma vessie.

Et quand j’ai regagné le chemin, j’ai constaté : presque tout le plateau supérieur est creusé de boutis – ces trous que les sangliers font avec leur boutoir, en quête de nourriture.

Je m’étais dit quelques minutes plus tôt que j’étais prête à revenir courir ici seule à l’aube mais en fait, je vais attendre encore un peu.

Je me demande quand ils sont venus (les sangliers parcourent une quarantaine de kilomètres par nuit, ce ne sont pas des lapinous sédentaires), combien étaient-ils ? Une harde ? Une compagnie ?

J’avais peur mais, plus encore, j’étais exaltée. Mon amoureuse m’a appelée alors que j’approchais de la sortie ; elle m’a dit, En fait tu as envie d’en voir et j’ai répondu que oui, évidemment : je ne veux pas mourir sans avoir revu de sanglier mais cette fois je veux que ça se passe bien, je veux me réparer du traumatisme et pouvoir de nouveau errer seule en forêt sans être terrifiée au moindre craquement de brindille. Elle a objecté que le risque était réel mais si j’en crois les statistiques, j’ai une chance extrêmement rare d’avoir été chargée par un sanglier, ce genre d’incident n’arrive quasiment jamais. Je veux bien garder cette chance et en même temps m’en réparer. Je crois que mon dernier manuscrit, celui que j’ai fini ce matin avant de filer sur mon vélo, a fait le plus gros du travail – il est dédié à Sus scrofa.

première neige

ce matin alors j’ai filé là où la neige est la plus belle par ici, en contraste avec le noir profond des terrils ; si je n’ai pas vu le soleil se lever, je l’ai deviné aux teintes du ciel ; les poules d’eau, les foulques macroules et les canards étaient très facétieux sur le canal et les étangs, ils ajoutaient à la joie du moment

rien de nouveau

dans la brume mais je ne m’en lasse pas. C’est pourquoi je vais courir même quand il fait 1° et que j’ai un rhume assez remarquable pour que ma voisine ait cru, hier, quand elle m’a appelée, que j’étais en train de pleurer. Je n’avais juste plus de nez. Mais il me reste mes yeux pour admirer les vues ci-dessous et mes oreilles pour goûter le bruit blanc granuleux de la brume, le délicat atterrissage des canards à la surface du canal et le frémissement des arbres s’égouttant de la nébulosité accrochée à leurs branches.

et ne se ressemblent pas

Ces photos ont été prises à peu près à la même heure (vers 7h15, soit avant le lever du soleil), à des endroits différents quoique toujours près de l’eau, lors de mes courses à pied des cinq derniers jours. Demain, à cette heure-là, je serai dans mon deuxième train du jour, le premier partant à 5h40 ; et après-demain, je courrai au bord de la mer, quelque part entre Regnéville, Montmartin et Hauteville, avant de regagner les Fours à Chaux, où mes Vertébrales et moi recevrons nos invitées Amélie Deschamps, Coline Pierré et Sophie Quénon, pour réfléchir et cuisiner ensemble. Cette perspective m’emplit d’une joie indescriptible. En attendant, voici de la lumière, des nuages, de la brume, de la pluie et du vent.

13 novembre

14 novembre

15 novembre

16 novembre

17 novembre

Un 11 novembre

Il y a trois ans, j’avais assisté à la plus petite fanfare du monde tandis que je courais à Loison puis j’avais pleurniché dans les rues absolument désertes de Lens, pour mon troisième jour sur mon nouveau territoire. Je me rappelais cet épisode en souriant, hier, tandis que je rejoignais mes amies à la limite de Harnes et de Fouquières pour une promenade crépusculaire et m’extasiais de toutes Splendeurs & Merveilles que je traversais en chemin sur Mon Bolide. J’adore guider mes amies dans mes paysages préférés, elles sont très réceptives à leur beauté, à leur étrangeté, elles acceptent d’aller dans des lieux interdits où je n’ose pas toujours aller seule parce que je vieillis et qu’en vieillissant, je suis un peu plus sujette à la peur.

the night dripper

Ce matin, tout le temps que j’ai couru (entre 6h45 et 8h), le ciel m’a offert un véritable spectacle, qu’aucun feu d’artifice ne saurait égaler ; chaque fois que je pensais le spectacle fini parce que le soleil était trop près de se lever, l’atmosphère trop claire, de nouveaux flamboiements bleus, verts, roses, orange, emplissaient le ciel à l’est, se reflétaient sur les nuages tous azimuts, on baignait littéralement dans les couleurs, c’était comme nager dans de l’aquarelle. Je dis on parce que, par endroits, au début et à la fin de ma course, je n’étais pas tout à fait seule. Il y avait de loin en loin quelques ados qui se traînaient vers les abribus ; dans la lueur bleutée de leur petit écran, leurs visages paraissaient cadavériques. J’ai refoulé l’envie de leur crier, Regardez, les zombies, levez la tête, avec un point d’exclamation gros comme l’Empire State Building et des ronds de jambes et de bras qui pourraient s’apparenter à une danse. Je fais ce genre de choses parfois, quand les Splendeurs & Merveilles me rendent euphorique, j’ai envie de partager ; je dis aux passants, Si vous allez par là, vous allez voir des phoques (souvenir de Regnéville) ou, cet été, à une dame qui se promenait avec un chien au bord d’un canal : Là, vous voyez ? Il y a un monstre marin. Mais ce matin, je n’ai rien dit aux ados qui regardaient leurs séries et leurs réseaux sociaux débilitants, je les ai laissés à leurs limbes numériques. Parfois, le soir, j’aime aussi aller me promener sous le ciel tourmenté, alors je regarde les nuages noirs défiler devant la lune et photographie des lumières électriques en dripping – le tire de ce billet est un clin d’œil au disque de Dr John, The Night Tripper.