rien de nouveau

dans la brume mais je ne m’en lasse pas. C’est pourquoi je vais courir même quand il fait 1° et que j’ai un rhume assez remarquable pour que ma voisine ait cru, hier, quand elle m’a appelée, que j’étais en train de pleurer. Je n’avais juste plus de nez. Mais il me reste mes yeux pour admirer les vues ci-dessous et mes oreilles pour goûter le bruit blanc granuleux de la brume, le délicat atterrissage des canards à la surface du canal et le frémissement des arbres s’égouttant de la nébulosité accrochée à leurs branches.

le salon le plus court

– Votre table, c’est celle-ci, me dit le monsieur de la médiathèque : celle qui est vide.
Je regarde la grande table ; sur sa belle nappe rouge, il n’y a en effet qu’une assiette en carton pleine de bonbons et ma photo sur un présentoir – je pense vaguement que je serai redondante quand j’irai m’asseoir derrière.
– D’accord, je dis. Mais pourquoi est-elle vide ?
– Vous n’avez pas apporté vos livres ?
– Euh, non, d’habitude c’est la librairie associée qui s’en charge.
– Ah. Nous, ça nous semblait évident que vous alliez les apporter.
– L’idée ne m’aurait pas traversé l’esprit, je n’apporte jamais mes livres moi-même. Je n’ai pas de stock, de toute façon, je ne suis pas éditrice, ni libraire.
– Tous les autres auteurs ont apporté leurs livres.
Ce qui est indubitable et me laisse perplexe. J’ai failli annuler ma venue parce que je me sens surmenée mais j’ai pensé aux libraires qui (je n’en ai pas douté un instant) avaient pris la peine de commander mes livres et je me suis dit Allez, c’est ton dernier gros effort de l’année, sois correcte, sois professionnelle et attentionnée envers tes hôte.sse.s + les libraires. Et donc je suis là, bras ballants, et je regarde les auteurs qui ont apporté leurs livres. Je répète que ça ne m’est jamais arrivé puis je quitte le salon et je reprends la route sur mon vélo – qui aura été un très gentil vélo et n’aura pas crevé une seule fois en quelque 70 km, c’est déjà ça. Je ne prends pas de photos sur le chemin du retour parce qu’il pleuvine mais j’en ai pris à l’aller, en voici quelques-unes.

La nouvelle passerelle d’Harnes.

Les coulisses de la Z.I. d’Hénin-Dourges vues depuis le chemin de halage récemment rouvert, en face de la plateforme multimodale.

Nouveau ! Sur une passerelle branlante de Noyelles-Godault, on peut désormais mal s’asseoir pour contempler le bras mort du canal, long rectangle d’eau stagnante entre des hauts murs de béton, étrangement apprécié des hérons.

Cette passerelle sur le bras mort est sise à proximité de la coopérative agricole à l’abandon qui jouxte le pont ferroviaire entre les gares de Dourges et d’Hénin-Beaumont.

Dans le registre abandonné, cette maison de Courcelles-lès-Lens m’a semblé un peu mélancolique et ce n’est pas parce que je l’étais, je ne l’étais pas, on peut être surmenée mais joyeuse, et ce n’est pas parce que j’écoutais de la musique mélancolique : je n’ai pas écouté de musique du tout sur la route aujourd’hui, seulement le vent et les oiseaux d’eau, et je n’ai même pas chanté. J’ai eu la force de pédaler 70 km mais pas d’écouter de la musique. (En rentrant, cependant, j’ai écouté le nouvel album de Félicia Atkinson, il est magnifique et surprenant, je crois que c’est mon préféré d’elle.)

Il y a des années, peut-être dix ans, j’ai écrit un poème qui évoquait le château d’eau bilboquet bleu de Douai, que j’avais découvert depuis le train Lille-Arras. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il n’a pas changé ; il a quelque peu décliné – mais ça lui va très bien, je trouve.

Et à Sin-le-Noble, j’ai appris que l’art de rond-point pouvait encore me surprendre : une 2CV sortant d’une coquille d’œuf, il fallait y penser.

Ce n’est pas fini

Nous avons fait connaissance ici, tout à l’heure, avec le monstre de la Souchez. Je ne l’ai pas seulement filmé, j’ai pris des photos, qui s’avèrent aussi édifiantes que les vidéos. Notamment celle-ci, parce qu’on voit bien qu’il s’agit d’un long individu sinueux avec des écailles + non pas un aileron comme je l’ai d’abord cru (et décrit à la dame au sweat-shirt rose) mais plutôt une nageoire caudale. Je précise que la longueur totale de la chose, pour autant que j’aie pu en juger, est de deux ou trois mètres. Ce billet sera classé dans la rubrique Splendeurs & Merveilles ; où Merveille, « Événement ou chose qui cause un vif étonnement par son caractère étrange et extraordinaire » (CNRTL). Les splendeurs suivent.

Avant de rencontrer le monstre, à la faveur d’un pipi nature en marge du chemin de halage – près du chemin du Brûle, à Harnes, si vous voulez tout savoir -, j’ai vu un faucon.

Je lui ai demandé de faire le faucon pour moi, il a soupiré puis

C’est assez faucon pour Madame ? il m’a demandé. Ensuite, j’ai croisé quelques dizaines de lapins et lapereaux.

Il y avait des opérations en cours sur la plateforme multimodale, la grue de Delta 3 déchargeait Carina.

Face à la scène, une famille de canards indifférente.

Il faut vraiment que je sois amoureuse pour aller retrouver Valentina à Paris alors que c’est autour de chez moi que tout se passe.

pas des vacances

Cette semaine, Valentina et moi avons collaboré pour la première fois ; nous avons concocté une mixtape de deux heures qui sera diffusée dans une galerie d’art virtuelle italienne (Fulmina de son petit nom) dans quelques semaines ; on y trouve beaucoup de morceaux que j’aime et que, pour certains, j’ai déjà relayés ici (d’autres ont fait danser Regnéville le 5 mai). Il s’agit d’une playlist 100% féminine, à 97% expérimentale. Le premier titre, c’est Valentina au piano et moi qui parle. Je posterai le lien de notre mix dès que celui-ci sera en ligne. Lundi, nous allons jouer les DJ à Londres ; ce sera notre deuxième travail d’équipe. J’aime aussi que chacune s’associe aux décisions de l’autre.

Et voici ma photo de la semaine, une Valentina à 319 € (balancelle incluse) sur le parking d’un supermarché, à Loison-sous-Lens. J’achète.

des sangliers

Avant ce matin, mon souvenir le plus traumatisant était celui du jour où la marée haute m’a surprise au pied d’une falaise, à Wimereux, et m’a projetée contre les rochers ; je suis rentrée en sang mais surtout sous le choc. Aujourd’hui, je courais dans la forêt de Bord Louvier, j’avais eu la bonne idée d’attendre 8h pour partir parce que j’ai peur de l’obscurité des bois et forêts depuis que, l’été dernier, des chevreuils mâles très en colère m’ont chassée du bois de Givenchy en bondissant et aboyant autour de moi, juste avant l’aube.

J’ai couru une heure et je reconnaissais que c’était une belle forêt, très vallonnée, mais j’étais déçue de ne pas avoir vu de chevreuil. Je me suis formulé très clairement que ça manquait d’animaux par ici. J’étais encore peu renseignée, je prenais les souilles pour des grosses flaques.

J’ai cherché sur mon GPS le moyen de regagner la sortie.

J’ai voulu voir ce qu’il y avait au bout du petit sentier qui part à gauche sur la photo ci-dessous, dont la seule vue me donne désormais des frissons et une vague nausée. Je pensais que c’était un moyen de couper pour rejoindre une route goudronnée qui me ramènerait à Léry, du moins le chemin partait dans la bonne direction.

J’étais plus haut, à un endroit dont je n’ai pas et n’aurai jamais de photo, quand un tumulte de végétation piétinée a résonné dans le silence quelque peu inquiétant qui m’avait beaucoup frappée pendant cette heure de solitude absolue. Je dois sans doute d’être en vie à la présence incompréhensible d’un grillage le long de ce chemin : un sanglier noir, énorme (un sanglier) me chargeait. Je pleure et j’ai les mains moites en l’écrivant, alors même que je suis bien en vie dans ma chambre douillette de la Factorie, tant l’effroi est encore vif. Nous étions deux, le sanglier et moi, face à face dans une forêt où je mettais les pieds pour la première fois et dans laquelle il était chez lui, séparés par un mince grillage providentiel contre lequel il s’acharnait en faisant un vacarme inouï. Je ne pouvais pas lui dire qu’il n’avait rien à craindre de moi, que j’étais son amie et qu’il était très beau quand il était en colère ; soudain, ma manie de parler aux autres animaux m’est apparue dans toute sa vanité.

J’ai fait demi-tour et cessé de courir ; je marchais lentement, tête basse, me fiant aux seuls sons pour savoir si je devais me remettre à courir et cherchant des yeux un arbre auquel je me sentirais capable de grimper. J’ai tourné à droite, je savais que l’orée n’était qu’à quelques centaines de mètres, droit devant, mais le vacarme me suivait. Le sanglier a traversé le chemin devant moi ; j’ai continué d’avancer vers la sortie mais il ne s’enfonçait pas dans la forêt, il fourrageait furieusement dans un fourré à ma gauche. J’ai fait demi-tour et attendu d’être assez éloignée pour me remettre à courir, avec désormais la terreur de croiser d’autres sangliers tout aussi hostiles. Soudain je ne percevais plus la forêt comme un lieu de respiration, j’étais traquée. Comme le sanglier en cette saison de chasse, ni plus ni moins.

J’ai couru pendant une heure, je me suis perdue, mon GPS n’était pas sûr de lui. J’ai fini par m’apercevoir que je n’avais pas le choix : je devais reprendre le chemin où j’avais croisé Monsieur Furieux. Mes notions des territoires animaux sont très rudimentaires mais j’étais sûre qu’il n’était pas loin. Il y avait un vallon à ma droite et, alertée par le bruit, j’ai vu toute une harde (un sanglier, une laie et rien moins que cinq marcassins) en dévaler la pente. Mes jambes me portaient à peine. J’ai appelé mon père ; l’entendre me rassurait, même s’il était visiblement aussi effrayé que moi, et je lui ai parlé d’une voix forte pour bien faire savoir aux suidés qu’un humain était dans le coin. C’était la surprise qui avait fait paniquer ce bel animal de 150 kg : j’essaie toujours de faire le moins de bruit possible dans la nature pour ne pas en déranger la quiétude (teubée, diraient les jeunes). Puis je suis revenue à la civilisation, à laquelle je préférais jusqu’alors la sauvagerie. Je ne sais pas si j’oserai encore faire ce que j’aimais tant jusqu’alors, me promener seule à l’aube dans l’habitat des autres espèces. Je ne pense pas. J’ai pris la photo ci-dessous avant de regagner la Factorie, on y devine une infime fraction de la forêt, j’en tressaille encore.

De retour, j’ai fait quelques recherches et il s’avère que j’ai eu les bons réflexes. Pour ne citer qu’un article :

« Lorsque l’on se balade en forêt, il peut arriver de croiser un sanglier au détour d’un fourré. C’est rare, car le sanglier se déplace peu en journée, mais ça arrive. Dans ce cas, mieux vaut savoir comment réagir, notamment si c’est une mère avec ses petits. En effet, le sanglier fait partie des espèces qui n’attaquent que pour défendre leur progéniture. Et quand on sait que cet animal peut peser jusqu’à 200 kilos, il est préférable d’éviter de le mettre en colère…

Sommaire

  • restez calme
  • gardez vos distances
  • ne courez pas
  • grimpez à un arbre
  • zigzaguez

Faites comme si de rien n’était. Continuez à marcher tranquillement sans le regarder mais en prenant tout de même la direction opposée. Dans le cas contraire, vous lui feriez peur et il risquerait alors d’attaquer pour se défendre. »

Poésie batelière

Dans Je respire discrètement par le nez, je livrais un texte en forme de pochette surprise intitulé Poésie hippique et qui recensait 107 noms de chevaux de course. Le voici :

« Poésie hippique

Secretariat, Peintre Célèbre, Blushing Groom, Brigadier Gérard, Divines Proportions, Electrocutionist, Fanfreluche, Edredon, Joyau d’Amour, Nice Love, Fée Des Iles, Premier violon, Play It Again, Couleur Du Nord, Belle Allure, Under The Sun, Joyeuse D’Or, Salut Lisa, Magie D’Un Soir, Only Du Lys, Opinel Du Sceux, Odyssée De Féline, Night Du Lys, Otarie Du Rib, Orchestra Sautonne, Nuit De Mars, Oasis Charmeuse, Notre Guerrier, Modèle Du Clos, Nicotine Cébé, Noble Javanaise, Matin De Manche, Papy De La Potel, Paris Is Magic, Pocket Money, Produit Fier, Perfect Charm, Quelle Star, Quelle Fusée, Quetsche Magique, Quality Charm, Gogol, Crocolyrique, Csik To Cheek, Captain Beefheart, Quelle Fiesta, Vélodrome, Heart Of Love, Anthologie, Art Martial, Highest Dancer, Big Time, Lost Sun, Brave Pile, Antigel, Mon Ami Jean-Paul, Sunrise Spirit, Call Me Blue, Noble Emeraude, Nuit Torride, Noble Nénette, Porte Carte, Professional, Loufoque Dairie, Mon Vittel, Pin Up Honey, Princesse Vaumissel, Pin Up De L’Être, Passion Fatale, Petite Folle, Péché De Vigne, Phryne Du Dollar, Praline Du Lys, Planète Foot, Préférence, Quartz Super, My Cause, Sea Of Grass, Half Crazy, By Far, So Long, Rêve D’Empire, Testiglass, River First, Ras Tafarii, Flying Bomb, Rock And Roses, Trésor Précieux, Héritière Céleste, Momie, Double Dollar, I Love Loup, Earth Planet, Danse Du Soir, Si Sismique, Big Stormy Moon, Un Rendez-Vous, Bright Style, Âme Lune, Doctor Dance, Fil D’Or, Sport Complete, Le Bonheur, Régal Viking, Take And Run, Blonde Des Aigles, Fleur Enchantée, et j’en passe »

***

Aujourd’hui, je suis en mesure de vous offrir non pas 107 mais 197 noms de péniches que j’ai croisées sur les canaux d’ici, à savoir sur le canal d’Aire, celui de la Deûle et celui de la Scarpe.

(Ci-dessus, Jules Verne talonne Vega à la frontière d’Hénin-Beaumont et de Courrières.)

Quelques précisions :

– Je ne vais pas cesser de noter leurs noms dans mon carnet au prétexte que j’aurai posté cette liste ; elle n’est pas figée, c’est un travail au long cours.

– Aujourd’hui, je connais très bien certaines de ces péniches et les reconnais de loin ; hier, par exemple, j’ai dit « Ça alors, ce ne serait pas Ghost Sniper ? » J’étais surprise parce que je ne l’avais jamais vue à Santes auparavant. « Bisous à Beuvry ! » lui ai-je lancé. Je reconnais aussi très bien Memphis, Viking, Vega et, s’il peut m’arriver de confondre Pasadena et Savannah, c’est bien parce qu’elles s’habillent tout pareil et traînent dans les mêmes rades (essentiellement la plateforme multimodale Delta 3).

(Savannah entre Meurchin et, en face, Vendin-le-Vieil.)

– Je me suis prise de passion pour les péniches cet été ; je vous en ai d’ailleurs montré un certain nombre, notamment ici. J’ai commencé à relever leurs noms le jour où j’ai croisé Tchiki-Boum ; ce fut ce qu’il convient d’appeler un coup de foudre onomastique.

(Tchiki-Boum à Douai.)

Elle ouvre donc le texte inédit que voici :

Poésie batelière

Tchiki-Boum, Popette, Traviata, Stewball, Macumba, Kon-Tiki, Tida-Kira, Loukoum, Hudson, Pasadena, Savannah, Memphis, Portland, Kansas City, Denver, El Paso, Milwaukee, Oklahoma, Adelanto, Bethesda, Tunica, Lakota, Country, Bibifoc, Top Gun, Speed, Sméagol, Avengers, Alamo, Ravetea, Jama, Dahlia, Ghost Sniper, Radar Taupe, Furious, Tous-Nerfs, Azimut, Venera, Avary, Bayard, Dolax, Remacum, Kustrif, Zagor, Cripayo, Sosanto, Shelendo, Defey, Kerzel, Welfra, Cambio, Morena, Aldo, Doma, Jado, Anex, Pantra, Wiclo, DC Mosa 1, Ginard, Vega, Mondor, Faraday, Pouchet, Louise Michel, Masséna, Jules Verne, Surcouf, Rives de la Meuse, La Vézère, Amazone, Ardenne, Sermaizien, Tréport, Paris, Isola Doma, Isola Bella, St. Barth, Saona, Castille, Merina, Benguela, Smolensk, Smirnoff, Norway, Paraguay, Sherpa, Tabor, Kingston, Big Ben, Beverwaard, Biberach, Olako, Stoupan, Unesco, Esclave, Samaritain, Njörd, Jaël, Freyja, Apis, Osiris, Hermes, Morphée, Nemesis, Poséidon, Saturnus, Pégase, Psyché, Tantra, Deo Date, Uni Deo, Cum Deo, Dieu aboie-t-il ?, Ostara, ND du Perroy, Alizé, Athena, Blizzard, Libeccio, Corylophilda, Cougar, Espadon, Marlin, Cœur d’Océan, Oceanos, Oceanic, Nautica, Aquarius, House Boat, Workshop Boat, La Galère, Salto, Solist, Violento, Filou, Remuant, Turbulent, Surprenant, Trépidant, Chahuteur, Invincible, Diligence, Perpétuel, Imprévue, L’imprévu, Impuls, Probe, Prodest, Colporteur, Nomade, Destin, Le Temps, La Paix, Bon Espoir, Serenitas, Good Luck, Apocalypse, Armageddon, Ocarina, Carina, Ben, Kenza, Alain, Béatrice, Colas, Jessica, Gay, Priscilla, Melina, Léo, Sylvaine, Sébastien, Farida, Homer, Lydia, Marcel, Netty, Samantha, Cédric, Mélanie, Émilienne, Teddy, Gaëlle, Kendall, Lucette, Gaston, Johanna, Elizabeth, Natacha, MH, Aloha, Rudyange, Isajohn, Pa-My, Ber-Mel, Ben-Gus, Will-Teir, Jor-Ali, Ja-Dy, OK Fred et j’en passe

(Linge à Flers-en-Escrebieux.)

Notez que le dernier nom, OK Fred, ferait un super nom de cheval – comme bien d’autres, d’ailleurs.

(Tréport à l’écluse de Cuinchy.)

(Colporteur entre Annoeulin et, en face, Don.)

(Trépidant et Surprenant à Estevelles – leurs voisins sont Remuant et Chahuteur.)

(Denver à Bauvin – la photo est ratée mais je l’ai sélectionnée pour le plaisir de la légender.)

(Country entre Carvin et, en face, Harnes ; la photo est ratée mais j’aime ce nom et sa graphie – je ne suis pas en train de m’excuser, ok ? J’explique, c’est tout, rien ne dissone.)

(Marlin à Douvrin, un matin d’été très tôt.)

(Péniches à Beuvry, un matin d’été encore plus tôt tôt tôt)

Je ne poste pas mes 211 photos de péniches (à ce jour) mais seulement 11. C’est plus raisonnable et néanmoins très frustrant.

En vie avec divisions

Vous les voyez ? Il y a deux îles ; à gauche, sur le canal d’Aire, une île sans nom ; à droite, à la confluence du canal d’Aire et de la Deûle, la minuscule île aux Saules.

Ces îles sont traversées par une double frontière invisible : sur l’île sans nom, au nord de la ligne, vous êtes à La Bassée dans le Nord et, au sud, vous êtes à Douvrin dans le Pas-de-Calais. Sur l’île aux Saules, à l’est de la ligne, vous êtes à Bauvin dans le Nord et, à l’ouest, vous êtes à Billy-Berclau dans le Pas-de-Calais.

C’est quelque part entre ces deux îles que je voulais aller aujourd’hui, je l’ai su dès le réveil – c’est là que j’irais me sentir en vie. Je voulais rouler sur le chemin de halage au long du canal d’Aire et, là,

entre Douvrin et Billy-Berclau, écouter Surrounds, Surrounds Me de Jessica Sligter.

Quelle splendeur & merveille que cette chanson. Je l’avais dans la tête au réveil, elle aussi, et j’ai décidé de me rendre sur ce chemin de halage parce que, deux semaines plus tôt, j’avais vécu en l’écoutant là un prodigieux moment de grâce. Mais pour ne pas aller grossièrement droit au but, je suis passée sur la première île, où le chemin est si étroit que parfois il ressemble à une absence de chemin (et il y a plein d’orties, c’est vivifiant et tant mieux puisque le but de la promenade est de se rappeler qu’on est en vie et que c’est bien).

On voit ce drôle de pont qui mène à la coopérative agricole sise à La Bassée + Salomé en même temps car elle aussi est divisée, il faut croire que c’est le thème de la journée. La division.

On quitte l’île comme on peut (orties, orties) et on rejoint la bonne rive du canal, hop.

Après l’apogée cinématographique de Surrounds, Surrounds Me, je suis allée voir le pont sur rien qui domine l’île aux Saules (mio).

Il ne sert à rien du tout, il est juste posé là, j’aime bien :

Je me suis postée à la pointe ouest du triangle, où des panneaux géants guident les péniches, Béthune à droite, Douai à gauche – division encore et toujours.

Puis j’ai quitté l’île, quitté le chemin de halage pour m’enfoncer dans les marais dits du Flot de Wingles, où j’ai rencontré des vaches très sympathiques,

j’ai roulé sur une bande de terre battue qui sépare un bayou d’un ruisseau (vous le voyez, le bayou ? ces arbres poussent dans l’eau croupie, couverte de lenticules)

et après ce crochet, j’ai regagné le chemin de halage, au long duquel bourdonnaient des prairies qui avaient l’air organisées : les coquelicots ici, la vipérine là, etc.

J’ai fait un détour par Harnes pour rentrer par mon spot du dimanche et, en chemin, j’ai apprécié ce paysage mixte (divisé, pourrait-on presque dire).

Sur mon site du dimanche, il y avait encore plus de coronille bigarrée que de vipérine, rendez-vous compte. Et des lapins, des faisans, des lézards, bien sûr.

C’était un dimanche en vie malgré ses divisions.

Nous, par hasard, dans l’univers immense

Aujourd’hui, j’ai découvert le terril 107 dit 4 d’Oignies, sis à Carvin. Il ressemble à ça depuis le terril 115 dit du Téléphérique, sis à Libercourt – la photo date d’un autre jour, plus nuageux. 107 n’est ni aussi petit ni aussi simple qu’il n’y paraît.

Il était un peu plus de 6h, ce matin, quand j’ai filé sur Mon Bolide et une longue route déserte, j’étais si joyeuse que j’ai chanté toutes les chansons qui me traversaient l’esprit et annoncé aux oiseaux que j’étais aussi libre qu’eux, il n’y avait pas de vent et les couleurs étaient tendres comme du sucre.

Puis j’ai slalomé à travers champs dans des ornières de tracteurs et j’ai fini par me trouver sur le flanc du 107, presque sans l’avoir vu venir tant la végétation était dense à son pied. Son exploration m’a ravie, je ne m’attendais pas à tant de splendeurs et merveilles, à tant de bois, de marais, de roselières,

ni à tant de lapins et de loriots stridents – trop vifs pour que je les prenne en photo, les oiseaux jaunes, contrairement aux lapins qui étaient encore au petit-déjeuner ou en pleine toilette.

Je me suis arrêtée plusieurs fois pour étudier le paysage et, à un moment, mon œil a été attiré par cette mignonne mini chenille. On devine sa taille en comparaison avec la samare de frêne floue dans le coin supérieur gauche de la photo.

J’ai eu, en voyant cette grâcieuse chenille, une espèce d’épiphanie : elle était là, à cet instant de sa vie, me suis-je dit, puis je me suis rappelé que moi aussi, j’étais là, à cet instant de ma vie. Personne ne savait que je m’y trouvais, il n’y avait aucune nécessité à ma présence en ces lieux (une heure plus tôt, je ne savais pas encore où j’allais me rendre) et je suppose qu’il en allait de même pour cette chenille. Elle se tendait vers moi, de temps à autre, pour preuve qu’elle et moi partagions ce hasard.

On vit des choses étonnantes et fortes quand il n’y a aucun congénère aux alentours ni aucune forme d’interaction à gérer, que l’on est disponible à ce qui nous entoure avec rien d’autre à faire que d’être là, en vie, dans l’odeur organique du sous-bois encore humide à cette heure matinale, entourée d’espèces qui tutoient la nature plutôt que de la détruire. Je me suis promis d’amener bientôt ici la seule humaine auprès de qui je peux vivre ce genre de moment avec le même abandon – et avec, en plus, un sentiment de complétude. Nous, par hasard, dans l’univers immense : la plus belle chose qui me soit jamais arrivée, si belle qu’elle a toute l’apparence de la nécessité.

NPR 66 acidulé

D’abord, j’ai pensé à ceux qui ne voient jamais le soleil se lever ; je me suis dit qu’eux et moi ne pouvions pas avoir des expériences comparables de la vie sur Terre. Ceux de mes proches dont l’existence est éminemment politique n’ont pas plus accès à ma perception du quotidien que je n’ai accès à la leur. J’ai souhaité pouvoir partager la grâce de l’instant et l’idée de ne pouvoir le faire m’a paru douloureuse. Puis j’ai convoqué les nombreux livres, disques et films dans lesquels je devine cette attention feutrée, délicate et minutieuse à la densité d’être en vie et l’envie de pleurer m’est passée. J’ai pensé à Laura Kasischke, à Claire Rousay, à Michèle Bokanowski dont j’ai beaucoup écouté la musique, hier, notamment ses Trois Chambres d’Inquiétude, 1976 (pensant que Bérangère Maximin, dont j’adore le travail, est en quelque sorte sa relève).

J’ai eu envie de poser une question aux usagers de l’ancien cavalier qui mène d’Avion à Hénin-Beaumont mais, voyant les masques chirurgicaux et mouchoirs usagés en joncher l’entrée, j’ai renoncé à la forme interrogative. J’ai changé « c’était quand » en « rappelez-vous », c’était de toute façon une bonne chose pour les allitérations.

Je ne sais plus quel nouveau processus réversible a d’abord accueilli ce cadre de carton et de ficelle. Il a trouvé un nouvel usage ce matin, sur une branche morte où j’irai le récupérer après la première pluie.

Des faux NPR

J’ai eu du mal à me lever à 5h30 ce matin après une mauvaise nuit alors je me suis dit que j’allais tâcher d’épargner un peu mes forces et faire 5 km de vélo pour courir juste un peu dans des bois qui ne sont pas accessibles pendant la saison de chasse. Sauf que je m’y suis perdue et qu’au final, j’y ai couru deux heures. Il s’agit de trois bois différents, qui se fondent les uns dans les autres par d’étroits sentiers, le tout parfois bien vallonné. C’était d’une beauté sauvage, les jacinthes des bois formaient des nappes bleues mêlées aux ronces et à la verdure si dense que je ne sentais presque pas la pluie, sauf quand je longeais ou traversais une pâture ou l’un des champs enchâssés dans la végétation comme ça

(Détail, en vue satellite.)

Au cours de cette étonnante course à pied, j’ai eu plusieurs surprises ; la première sera détaillée plus bas, la seconde était une oie qui a surgi en criant d’indignation par-dessus les épis dans un champ que je traversais, les tiges jusqu’aux hanches, par chance nous étions chacune sur une ornière de pneu du même tracteur et je ne suis donc pas rentrée avec des suçons sur les chevilles. Ensuite, j’ai découvert deux NPR qui n’étaient pas de moi. Est-ce la municipalité qui a placardé le premier quelque part dans ce fouillis végétal, un organisme de préservation de la nature, ou un usager à béquilles ? Je ne sais pas, mais je trouve cet avertissement, selon cet insupportable mot à la mode, carrément inspirant (à suivre, donc).

Et qui a bien pu planter, quelque part dans cet impraticable fouillis végétal, le sens interdit ci-dessous ? Car, ce n’est pas une illusion d’optique, il n’y a aucune forme de chemin accessible au milieu de ce capharnaüm. Je me trouvais peut-être à ce moment-là sur un ancien cavalier minier mais le vestige me paraîtrait alors à la fois anachronique et étrangement bien conservé.

Mais avant tout cela, j’avais assisté à un beau lever de soleil sur les champs et, surtout,

j’avais vu mon premier faon de l’année. La photo est épouvantable parce que prise avec un téléphone mouillé, dans la lumière grisâtre du matin et en zoomant pour ne pas faire fuir le petit. Nous nous sommes observés longuement ; je lui parlais d’une voix douce et ses oreilles pivotaient comme des oreilles de chat ou il penchait la tête comme s’il réfléchissait, ouvertement curieux. Je l’aime, je voudrais le serrer contre moi et le protéger de mes congénères et des pièges qu’ils sèment dans les bois. Quand j’ai repris ma foulée, il était toujours là qui me regardait, j’aurais dû rester. Plus tard, je me suis promis une chose : la prochaine fois que je me trouverai dans ce type d’intimité avec un faon, je m’étendrai par terre. Je suis certaine que les animaux ont plus d’empathie que certains humains et qu’il approchera pour voir si je vais bien. Je lui parlerai, on se donnera des petits noms et ce sera mon ami. Comme Danny (je me demande parfois comment il me nomme quand il me reconnaît de loin et se dirige vers moi avec ses petits effets – déhanchements, claquettes et braiments).