Un chat un chat

Pour oublier un instant les multiples horreurs qui émaillent l’actualité, voici une belle histoire et des photos de chats (prises entre 2005 et 2007, sauf mention).

En octobre 2004, je rentrais du cinéma quand j’ai croisé une chatte très sale et qui puait ; ce n’était manifestement pas sa première nuit à la belle étoile. Elle m’a suivie chez moi, 113 rue Brûle-Maison à Lille, et s’y est installée en princesse avec un dédain ostensible pour les autres chats présents. Je l’ai appelée Sam ; elle a exigé d’être anoblie ; ce fut donc Dame Sam. Elle a pué pendant trois semaines, se dandinant avec désinvolture entre le jardin, les gamelles et le canapé. Puis elle s’est abandonnée à ma tendresse et à celle de Joe.

(Ici, Dame Sam avec feu Joe, qui nous manque chaque jour depuis bientôt 5 ans.)

De mon côté, j’ai appelé la LPA de Lille et, grâce au tatouage dans son oreille droite, obtenu le nom et l’adresse de l’humaine qui l’avait adoptée un an plus tôt ; quand je me suis présentée à cette adresse, il n’y avait plus personne. Je n’ai pas retrouvé la trace de l’humaine et, si elle a cherché DS, la LPA ne m’en a pas prévenue. J’y ai vu un signe du destin : DS et moi étions faites l’une pour l’autre.

(Mon entourage s’accorde pour dire que nous avons le même caractère.)

J’ai vécu pendant près de 17 ans avec ce petit être autoritaire sans que ni la LPA ni aucun vétérinaire me signale jamais que je devrais faire une démarche d’adoption. Inutile de préciser que je n’ai pas beaucoup d’affection pour les adjectifs possessifs appliqués à des êtres vivants – si vous m’entendez parfois parler de mon chat, ce n’est certainement pas parce que je m’en estime propriétaire, c’est juste affectueux.

(En fait, je vis chez Dame Sam et elle me laisse disposer gracieusement de ses possessions. Le jour où j’ai pris cette photo, j’ai sans doute utilisé un autre sac puisqu’elle avait besoin de celui-ci.)

Mais la veille du confinement discriminatoire, j’avais rendez-vous dans un dispensaire de la SPA où, pour la première fois, on m’a réclamé sa carte d’identification. Sans cette carte, je ne pouvais pas faire soigner celle qui pendant 17 ans a dormi sur mes genoux, mon dos, mes jambes ou mon ventre (selon ma position), celle que, tout ce temps, j’ai servie avec empressement et à qui j’ai attribué une multitude de surnoms parmi lesquels le plus usité reste cocotte chat, celle dont j’ai mordillé les oreilles et embrassé le petit nez vieux rose et le ventre crème et le sommet de la tête des dizaines de fois par jour.

(Mini Tiger et moi avons aussi déménagé 7 fois ensemble.)

Je me suis rendue chez un vétérinaire afin d’obtenir le duplicata bidule (jamais je n’ai su retenir un nom de formulaire) qui me permettrait de revendiquer la propriété de ce petit être intraitable, ce qui soudain devenait non seulement nécessaire mais urgent. La vétérinaire a d’abord refusé de me le fournir parce que le site Internet de l’I-cad (l’organisme qui gère le fichier National d’identification des c***ivores domestiques) indiquait encore que le détenteur de ce chat était la LPA de Lille.

(Pendant 17 ans, DS n’a pas spécialement cherché à fuir – alors même qu’elle avait su, en 2004, profiter du déménagement de son ex humaine pour filer.)

Après avoir fouillé ses archives, le responsable de la LPA, que j’ai contacté, a retrouvé la trace de l’adoption, qui a eu lieu en 2003 mais n’a jamais été enregistrée. Le fautif a tenté de joindre l’humaine (semi-)officielle de DS, comme je l’avais fait 17 ans plus tôt, mais flûte alors, son numéro de téléphone n’était plus attribué. Il m’a cependant dit ne rien pouvoir faire pour me permettre d’obtenir un certificat d’identification, au prétexte que j’aurais pu avoir volé la veille celle qui à ses yeux n’était guère qu’EMV407.

(Dame Sam en 2014.)

J’ai insulté l’hypocrite irresponsable et procédurier comme il se doit. La secrétaire du dispensaire m’a dit que j’avais bien fait : « C’est un con, m’a-t-elle dit, moi j’appelle un chat un chat ». Après avoir à plusieurs reprises consulté le dispensaire, la vétérinaire et le refuge de Lens-Liévin, j’ai enfin rencontré à l’I-cad une conseillère qui m’a dit : « Et le chat, dans tout ça ? » Alors j’ai su que j’avais trouvé notre sauveuse. Elle a réussi à convaincre la vétérinaire de me fournir le formulaire dont j’aurais besoin une demi-heure plus tard pour la consultation, au terme d’une haletante course contre la montre.

(De 2005 à 2007, les chats ont particulièrement apprécié le chauffage par le sol dans notre résidence de Lambersart – résidence à laquelle je rends hommage dans Le zeppelin et surtout dans Je respire discrètement par le nez.)

Au dispensaire, tout le monde était si gentil et si doux que j’ai oublié la bataille qui pendant deux jours m’avait obligée à passer plus de coups de fil que je n’en passe ordinairement en un mois. Le véto qui a ausculté DS a confirmé mon diagnostic, à cette différence qu’il n’a pas employé le mot sénilité : « Ce sont les acquis de l’âge », a-t-il dit. Et il m’a prescrit les vasodilatateurs et les petits calmants qui, je l’espère, permettront au chou chat de retrouver le sommeil (ce qui par la même occasion me rendrait le mien).

Mais surtout. J’ai obtenu la fiche signalétique de Dame Sam. Je sais désormais qu’elle est née le 1er octobre 2002 et j’ai mis des jours à me remettre de son premier nom, qui révèle tant de choses. Avant que je ne la recueille, Dame Sam n’était pas qu’une pauvre baronne : elle était Vénus. Rien moins.

(Cette photo de 2019, déjà vue ici, prouve la pertinence de ce prénom.)

THAT’S ALL, FOLKS!