Dans son propre rôle

Dans son propre rôle

Éditions de l’Olivier / Points

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Quatrième de couverture

« Une farandole silencieuse au clair de lune accueille Fennella pour son arrivée à Wannock Manor, cette vaste demeure aristocratique où elle débutera dès le lendemain matin, à six heures, comme domestique.
Pendant ce temps, Jeanette pleure rageusement sur le cadavre d’une mouche dans une suite du Grand Hôtel de Brighton, où elle est femme de chambre.
Deux scènes de la vie quotidienne, en Angleterre, en 1947. Deux existences que tout semble séparer, dans ce pays où les différences de classe sont encore un obstacle infranchissable entre les êtres.
Fennella a perdu la parole à la suite d’un traumatisme. Jeanette est une jeune veuve de guerre qui a perdu tout espoir dans la vie. Une lettre mal adressée et une passion commune pour l’opéra vont provoquer leur rencontre et bouleverser leurs destins.

Le cheminement intérieur de deux femmes en quête d’absolu et d’émancipation, c’est ce que raconte ce roman sombre comme le monde dans lequel elles semblent enfermées, et lumineux comme l’amour qui les pousse à s’en libérer. »

Notes de l’auteur

1. Ce roman est mon premier roman à la troisième personne. Il comporte plus précisément deux elle principaux, dont il m’a fallu apprendre comment les employer sans imposer mon omniscience, mes intentions, mon regard ; il a fallu que je taise certaines choses, que je me contente d’en suggérer d’autres. En l’écrivant, j’ai souvent pensé à Carson Mc Cullers, dont j’ai toujours admiré l’art de l’équivoque, et j’ai tâché de suggérer plutôt que d’énoncer, d’ébaucher plutôt que d’imposer, laissant flotter un mystère dans les dialogues et les narrations, quelque chose d’irrésolu, dont l’interprétation est à jamais laissée au lecteur. Mon désir d’esquisser à peine certains aspects de l’histoire était d’autant plus cohérent que ce roman est aussi un appel à briser les déterminismes.

Fennella et Jeanette se débattent contre les rigueurs du sort, chacune à sa manière : pendant les deux premières parties du roman, Fennella garde la foi en la possibilité d’un changement, qu’elle appelle de ses vœux. Elle veut croire le majordome de la grande maison qui l’emploie quand il affirme que le monde ne sortira pas indemne de la guerre et que les hiérarchies vont vaciller ; d’ailleurs, elle n’a jamais jeté la robe bleue qu’elle portait avant d’entrer au service de ses maîtres, conservant la certitude de revenir un jour à la vie civile et au monde moderne (celui de la domesticité étant à ses yeux un anachronisme). Quant à Jeanette, elle affirme des refus sans appel et raille les espoirs de Fennella, qui lui paraissent d’une grande naïveté. Mes personnages sont les deux faces d’une même rébellion contre les conventions que voudrait leur imposer la société, mais aussi contre les handicaps dont leur vie personnelle les a de fait affublées. La friction de ces deux positions antithétiques est bénéfique à toutes deux. La friction est en soi une dynamique. Ici, elle est une étincelle dans le néant où sombrait la vie des deux femmes ; à défaut de la remplir, elle y réintroduit la lumière. C’est grâce à leur brève intersection que ces deux vies prennent un virage décisif et que chacune des deux femmes finit par se trouver une place dans le monde.

La structure du roman évoque un coup de billard français : deux destins s’entrechoquent, prennent des directions divergentes, mais après un rebond par la bande, sont à un millimètre de se percuter une deuxième fois. Fennella y est une figure de l’écrivain : une muette qui, en quête d’une voix, crie maladroitement, sans un son ; qui finit par écrire dans son carnet alors même qu’il n’y a personne auprès d’elle dont elle doive se faire comprendre ; mieux encore, elle force les lignes parallèles à se croiser, elle tord le réel, quitte à s’inventer a posteriori un amour perdu (en ce qui ne fut a priori qu’une vague sympathie), pour que sa vie corresponde à son obsession – c’est souvent d’obsessions que naissent les livres…

2. Dans une première version du texte, Kathleen Ferrier était un personnage à part entière ; je me contente finalement de la faire apparaître dans les dernières pages, et de lui faire prononcer, s’adressant à Jeanette, le titre du roman.

ferrier

Sa voix sublime, je préfère vous la faire entendre dans « Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen », tiré des Kindertotenlieder de Gustav Mahler, parce que, pour tout dire, je n’aime pas tellement l’Orphée de Gluck. J’ai cité cet opéra pour deux raisons : Jeanette, en tant que veuve, pouvait s’identifier à Orphée ; d’autre part, Kathleen Ferrier a vraiment chanté le rôle d’Orphée à Glyndebourne en 1947…

3. Des photos :

Celle qui m’a inspiré la scène des autos tamponneuses :

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(Photo trouvée sur le site historique de Brighton & Hove, avec la légende suivante : « This photograph shows Bumper cars watched by hundreds of spectactors in 1947. It was taken near Black Rock in the height of the holiday season by Leslie Whitcomb. »)

Et une photo de l’auteur en immersion au Grand Hotel de Brighton, où travaille Jeanette en 1947 – et où j’ai donc séjourné (une seule nuit, dans une chambre donnant sur la soufflerie, je reste foncièrement prolétaire jusque dans les palaces) pendant l’écriture de Dans son propre rôle.