Youyou 13

La paix est revenue au sein de la Villa. Le trouble passager a du moins permis une légère tectonique de groupe qui était nécessaire après dix jours de vie ensemble – me vient à l’esprit que ce genre d’expérience de cohabitation pourrait faire l’objet d’une étude sociologique (ou d’une émission de téléréalité). Mon projet avance à bonds de chevreuil puisque je n’ai quasiment aucune interaction avec l’extérieur, reportant à plus tard la réponse aux mails qui continuent d’affluer, ne mettant plus un œil sur le seul réseau social auquel je sois abonné (si j’y suis particulièrement peu active, je m’aperçois quand je n’y suis pas du tout que le flux continu d’images au mieux sans intérêt, au pire agressives, autopromo, couvertures de livres et plats carnés, représente une véritable pollution de l’esprit ; je croyais m’en tenir assez loin pour épargner mon cerveau mais cette prise de distance radicale me prouve que zéro dégueulis visuel est encore mieux que 13′ par jour). Donc je suis à mon bureau face au parc, j’ai une bonne petite enceinte pour diffuser la musique dont je parle dans mon livre et parfois je souris d’aise, comme si ce mois où je m’autorise à faire ce qui est censé être mon travail, c’était des vacances. Je me suis rendu compte que c’était le cas : écrire, c’est devenu des vacances. Je rêve d’une année sabbatique. Je m’offrirais bien ça pour l’année 2023-2024, tiens, ça me sauverait peut-être la santé.

Ce matin, j’ai vu ces chevreuils traverser la frontière que marque l’orée de ce bois, près de Covemaekermetaalconstructie.

Puis j’ai traversé le fascinant Hellegat (trou de l’enfer) pour aller revoir son Kosmos et son bois pour sangliers. (Cf. Youyou 7.) En voici quatre images + un détail. Je vous laisse admirer – malgré la piètre qualité des photos.

Youyou 12

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, les heures se suivent et le ciel ne se ressemble pas, le vent pousse les nuages si vite que l’on passe constamment du bleu au plomb, le froid mord les doigts sur le guidon du vélo. Les humeurs font pareil ; hier, j’ai dû me replier dans ma chambre pour m’épargner une séance de mansplaining (je suis de très mauvaise composition face aux mâles alpha, ils ne m’impressionnent tellement pas). Ce matin, comme pour me consoler d’avoir été grondée comme un enfant, le soleil s’est levé (ce qu’il est loin de faire tous les jours depuis mon arrivée ici) et sept chevreuils ont bondi autour de moi, d’abord trois près du Ravel Put à Boeschèpe puis quatre sur un sentier sans nom en contrebas du Mont Noir. Voici quelques photos d’hier après-midi à vélo et de ce matin en courant. D’abord, une chapelle jouxtant une zone piégée.

Puis une bonne nouvelle – ou presque : si la chasse est interdite à cet endroit, c’est pour éviter que des chevaux séquestrés ne soient abattus par mégarde.

Un paysage typique de la Flandre – paradisiaque hors saison de chasse et à distance des élevages où des vaches qui ne voient jamais la lumière du jour meuglent en vain dans des hangars clos, chaque fois j’en pleure de désespoir. Je n’ai même plus de colère, je sais que ça ne sert à rien et que cette exploitation barbare existera tant qu’homo sapiens existera. Je ne peux que pleurer, adhérer à L214 et observer un strict véganisme.

Le genre de choses que je vois avec mes jumelles depuis la fenêtre de ma chambre – à cette différence que les jumelles offrent une netteté qui n’existe pas à l’œil nu, c’est comme voir en relief pour la première fois.

Ce matin, entre deux hardes de chevreuils, près de Levende Toren.

Depuis Levende Toren.

Quelques minutes avant la seconde harde du jour.

Youyou 11

Ce matin, j’ai vu 10 chevreuils en deux hardes, une de 4 et une de 6. Je n’y croyais plus, ça faisait trois jours que je n’en avais vu aucun. Quelle fête… J’en ai d’abord vu un

puis, après que nous nous sommes longuement observé.e.s, il s’est éloigné sans hâte et c’était comme s’il dépliait une ribambelle derrière lui – je dis lui mais c’était peut-être une chevrette. Et hop, quatre miroirs blancs (ainsi que l’on désigne leurs petits culs) bondissaient à travers la prairie.

Dix minutes plus tard, je me tourne et vois six chevreuils et chevrettes immobiles, tourné.e.s vers moi en un petit groupe serré. Le temps que je trouve mon téléphone pourri pour prendre une photo de famille, ils et elles avaient cessé de poser pour se carapater. On en aperçoit quelques-un.e.s sur la photo ci-dessous.

Détail flou :

Quelques arbres bavards du parc de la Villa :

Deux moulins français (il s’en est fallu de quelques centaines de mètres qu’ils ne fussent belges – oui, j’emploie le subjonctif imparfait, parce que je suis en train de lire Marguerite) et deux aigrettes domestiques plus grandes que moi, à Saint-Jans-Cappel.

J’ai pris la photo hier, le jour où il a fait beau (avec tout de même des rafales de vent à 80 km/h) et où j’ai inauguré le tout nouveau vélo de la Villa – j’ai fait un pataquès pour qu’il y en ait un, les autres avaient été retirés par le département parce qu’ils avaient rouillé faute d’avoir jamais servi ; on a compris pourquoi et le nouveau vélo est à judicieuse assistance électrique. Je n’avais plus envie d’en descendre.

Youyou 8′

Je m’attendais à tout sauf à être terrifiée du début à la fin. J’ai senti que mon siège était bizarre, l’attache (très maigre) avait des soubresauts à chaque passage de poteau. Je me disais, Rappelle-toi, ce sont des spécialistes autrichiens qui ont installé ce télésiège en 1957. J’ai imaginé dans quel état je serais, là-dessous, s’il se décrochait. J’ai espéré – supposé que des travaux de maintenance avaient eu lieu de temps en temps, depuis 1957. Aucun discours que j’aie pu me tenir n’a eu le pouvoir de persuasion que j’en attendais : « Sur 700 millions de passages aux remontées mécaniques chaque année, on ne dénombre en moyenne qu’une vingtaine d’accidents, dont moins d’un mortel », avais-je lu. Ok. Mais il faut bien que vingt personnes y passent. Il existe sur Wikipedia une Liste des principaux accidents de remontées mécaniques, un fait qui m’intéresse plus encore que le contenu de la page en question. Valentina dit que ç’aurait été une mort ridicule mais poétique en même temps. La semaine prochaine, je me contenterai du minigolf. Mais je veux vraiment écrire un livre sur ce Zetellift Córdoba.

Youyou 8

Ce matin, j’ai couru 13 km ressentis 23. Chez moi, 13 km, je ne les ressens même pas dans mes muscles ; ici, ça brûle et ça tire. J’ai gravi le Mont de Boeschepe et le Mont des Cats ; je n’en ai été récompensée par la vue d’aucun chevreuil – mais j’ai aperçu des faisans, des piverts et trois cyclistes fluos bien moulés dans l’élasthanne. Voici l’aube

et voici un panneau-sommier du Mont des Cats

et voici ses camping

et voici son antenne TéléDiffusion de France que n’annonce pas le panneau

et voici son Chalet-niche à Notre Dame des Missionnaires, que n’annonce pas le panneau non plus. Le reste est sur Internet et à l’office du tourisme.

Voici un chalet de Flandre admirable, sis à Berthem.

A la frontière de Berthen et de Saint-Jans-Cappel : watergang ou becque ? C’est parfois difficile à deviner, nous en parlions hier, mes camarades et moi. Je pencherais ici pour la première option.

Youyou 7

Une semaine déjà… Je me rends compte qu’il me faudrait deux ou trois mois comme celui-ci, avec une concentration inégalable, pour finir mon livre en cours dans les délais que je me suis impartis (je n’en dis pas plus sur ce dont il s’agit pour l’instant, inutile d’insister). Le temps file, nous en parlions hier, Adèle, Chab et moi. Notre trio, dit Catapulte Compostelle, prend vraiment bien.

Mon objectif de ce matin, quand j’ai couru dans la brume + la pluie + le vent, était rien moins que le Kosmos.

Je l’ai trouvé. Il a pris cher, comme tant d’entre nous.

Il se situe à l’est d’un bois nommé Hellegatbos, ce qui signifie Forêt de trou d’enfer en flamand – et Putain de merde en luxembourgeois, ai-je appris incidemment avec quelque perplexité. Désormais, quand Valentina écrasera mon majeur droit dans une porte coulissante – ce qui par chance n’arrive pas tous les jours – je crierai Hellegatbos ! Mais pour en revenir au bois lui-même, il est cerné de panneaux tels que celui-ci.

Ces deux feuilles soulignées de points, vous voyez ce qu’elles représentent, bien sûr ? Des empreintes de sanglier. C’est le logo que s’est choisie l’Agence pour la nature et la forêt flamande. Mais mon flamand étant balbutiant, mon imagination assez obsessionnelle et mon traumatisme encore frais, j’ai imaginé que ce panneau me mettait en garde contre les charges de suidés. J’ai donc pu vérifier ce matin, dans un cadre bucolique, sombre et détrempé, que je pouvais encore frôler l’arrêt cardiaque dans certains contextes. Mais j’y suis allée quand même et j’en ai été récompensé par la rencontre avec un charmant chevreuil – on le distingue à peine sur cette photo floue (pluie+nébulosité).

Youyou 6

Aujourd’hui, j’ai cessé d’être la plus grande fan de la Belgique. Déjà, hier après-midi, j’étais rentrée en colère du Mont Noir (je m’étais rendue à Paris Croissants pour acheter le pain), après avoir entendu des coups de feu. J’ai pensé que quelques irréductibles têtes de nœuds vaquaient à leur loisir sadique dans l’illégalité. Mais ce matin, après avoir ressenti des détonations déchirer le silence et ma poitrine, retentir sinistrement dans les vallonnements de champs et de bois, j’ai décidé de me renseigner. J’ai donc appris qu’en Belgique, « La chasse à vol du lapin, du renard et du chat haret est ouverte toute l’année ». Quelle barbarie… Ces sacs à merde de chasseurs sont encore plus choyés qu’en France. Et ils n’ont rien de mieux à faire un jeudi matin à l’aube que de tirer sur des chatons. Qu’ils s’entre-tuent et s’éradiquent, ces pathétiques raclures de fosses à lisier.

Moi qui me réjouissais que la neige ait laissé place au brouillard, et de réussir pour la première fois depuis la charge de sanglier à courir dans les bois par une aube brumeuse sans faire d’arrêt cardiaque dès qu’un écureuil traverse mon champ visuel, j’ai vite senti ma joie se muer en rage, d’abord en passant à proximité d’un élevage de « bovins », comme on dit, glacée par les mugissements qui grondaient dans les hangars clos, puis face à ces détonations qui transformaient un paradis potentiel – avant-dernière image – en enfer avéré. Homo sapiens, je ne suis toujours pas tout à fait ton amie.

Youyou 5

Où suis-je ?

Oh flûte, je l’ai indiqué dans le titre, quelle patate. Vous aurez donc deviné que ce splendide télésiège n’est autre que le Télésiège Córdoba d’Heuvelland, Belgique. Ce matin, j’ai couru en short dans les rafales de flocons ; j’ai des plaisirs simples.

La neige m’empêchait de distinguer les chemins et j’ai fait quelques demi-tours, ajoutant des traces de pas à mes traces de pas, les seules aux alentours si l’on exclut celles des lièvres, des oiseaux et des chevreuils.

J’ai vu un brocard, ce matin, il était dans le paysage ci-dessous mais je n’ai, encore une fois, pas eu le temps de le photographier.

C’était une belle manière de commencer la journée.

Youyou 4

Ce matin, sous la pluie, j’ai vu trois chevreuils dans les champs ci-dessous

puis un autre, solitaire, à mon retour dans le parc de la villa. Mes photos sont toutes floues. Après avoir rencontré les trois premiers, j’ai trouvé un observatoire modeste. La vue y est quasiment la même qu’à son pied. Mais c’est le geste qui compte – regarder de juste un peu plus haut, sans drone ni autres technologies mais par la simple, l’humble magie de l’escalier ou…

du télésiège <3,

qui arrive à proximité de cet authentique moulin.

Il y a ici une infinité de sentiers dans ce genre (il faut imaginer que Chab a oublié ses chaussures de marche, il n’a que des chaussures de ville à semelles plates : comment suis-je censée préparer nos itinéraires de promenade ?)

Un de ces chemins est bordé d’arbres creux, énormes, de véritables manoirs pour petits rongeurs et oiseaux nocturnes

ou pour faisanes vraiment pas farouches.

Youyou 3

Il y a des houblonnières dans les alentours, je les ai découvertes ce matin alors que j’allais visiter le Purgatoire – je me réserve pour plus tard le Coin du Loup et le Trou Perdu, dont les noms nous intriguent.

Le Purgatoire n’était pas particulièrement fascinant (on y voit certes un bunker, hélas les bunkers, ce n’est pas ce qui manque par ici) mais j’ai donc découvert à quoi ressemble une houblonnière. J’ai deviné ce que c’était quand j’ai vu au milieu des champs de Boeschepe le Camping des Houblonnières, face à ceci :

Il y a du houblon par ici mais pas de noix de coco. La boulangère du Mont Noir à qui j’ai demandé hier si elle savait où je pourrais trouver du lait de coco (dont je voulais agrémenter ma soupe de brocolis pour mes camarades et moi) m’a demandé, Ici ? Au Mont Noir ? Ce n’était pas tout à fait naïf de poser la question dans cette zone frontalière typique (elle me rappelle Mouscron, Menin et autres villes où, plus jeune, avec mes amies, nous allions passer des fins de dimanches culturels, à boire des bières, manger des frites, acheter du tabac, du chocolat ou des plantes pas cher et pousser des gloussements de collégiennes devant les poupées gonflables et autres glorieux artefacts) puisque l’on y trouve Las Vegas mais aussi le télésiège Córdoba (<3), le China Garden (hôtel restaurant), le Bahamas Kapittel et, pour les amoureux de chalets suisses, l’Edelweiss. Le lait de coco ne paraissait pas si exotique. Mais non. Mais nous avons quand même trouvé notre bonheur au Mont Noir : si les Français sont souvent cafardeux et geignards le dimanche soir, les Belges emplissent les bars dans un joyeux capharnaüm, Flamands et Wallons mélangés de tous les âges et de toutes classes sociales. J’ai emmené mes camarades au magasin Robot (déco, fête, jouets), puis Chab nous a invitées dans le bar le plus peuplé, pour une immersion parfaite. Nous avons eu de beaux fous rires et ourdi des plans très enthousiasmants, sans céder à la tentation de nous procurer un élément de déco typique (car on en trouve jusque dans les bars) ; pour ma part, j’ai eu du mal à résister :

Nous écrivons aussi, beaucoup ; si les soirées sont joyeuses, les journées sont studieuses, sinon monacales. Nous profitons aussi de la bibliothèque de la villa (une bibliothèque avec échelle), plus attirante que sa boîte à livres.