Youyou 8′

Je m’attendais à tout sauf à être terrifiée du début à la fin. J’ai senti que mon siège était bizarre, l’attache (très maigre) avait des soubresauts à chaque passage de poteau. Je me disais, Rappelle-toi, ce sont des spécialistes autrichiens qui ont installé ce télésiège en 1957. J’ai imaginé dans quel état je serais, là-dessous, s’il se décrochait. J’ai espéré – supposé que des travaux de maintenance avaient eu lieu de temps en temps, depuis 1957. Aucun discours que j’aie pu me tenir n’a eu le pouvoir de persuasion que j’en attendais : « Sur 700 millions de passages aux remontées mécaniques chaque année, on ne dénombre en moyenne qu’une vingtaine d’accidents, dont moins d’un mortel », avais-je lu. Ok. Mais il faut bien que vingt personnes y passent. Il existe sur Wikipedia une Liste des principaux accidents de remontées mécaniques, un fait qui m’intéresse plus encore que le contenu de la page en question. Valentina dit que ç’aurait été une mort ridicule mais poétique en même temps. La semaine prochaine, je me contenterai du minigolf. Mais je veux vraiment écrire un livre sur ce Zetellift Córdoba.

Youyou 8

Ce matin, j’ai couru 13 km ressentis 23. Chez moi, 13 km, je ne les ressens même pas dans mes muscles ; ici, ça brûle et ça tire. J’ai gravi le Mont de Boeschepe et le Mont des Cats ; je n’en ai été récompensée par la vue d’aucun chevreuil – mais j’ai aperçu des faisans, des piverts et trois cyclistes fluos bien moulés dans l’élasthanne. Voici l’aube

et voici un panneau-sommier du Mont des Cats

et voici ses camping

et voici son antenne TéléDiffusion de France que n’annonce pas le panneau

et voici son Chalet-niche à Notre Dame des Missionnaires, que n’annonce pas le panneau non plus. Le reste est sur Internet et à l’office du tourisme.

Voici un chalet de Flandre admirable, sis à Berthem.

A la frontière de Berthen et de Saint-Jans-Cappel : watergang ou becque ? C’est parfois difficile à deviner, nous en parlions hier, mes camarades et moi. Je pencherais ici pour la première option.

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Une semaine déjà… Je me rends compte qu’il me faudrait deux ou trois mois comme celui-ci, avec une concentration inégalable, pour finir mon livre en cours dans les délais que je me suis impartis (je n’en dis pas plus sur ce dont il s’agit pour l’instant, inutile d’insister). Le temps file, nous en parlions hier, Adèle, Chab et moi. Notre trio, dit Catapulte Compostelle, prend vraiment bien.

Mon objectif de ce matin, quand j’ai couru dans la brume + la pluie + le vent, était rien moins que le Kosmos.

Je l’ai trouvé. Il a pris cher, comme tant d’entre nous.

Il se situe à l’est d’un bois nommé Hellegatbos, ce qui signifie Forêt de trou d’enfer en flamand – et Putain de merde en luxembourgeois, ai-je appris incidemment avec quelque perplexité. Désormais, quand Valentina écrasera mon majeur droit dans une porte coulissante – ce qui par chance n’arrive pas tous les jours – je crierai Hellegatbos ! Mais pour en revenir au bois lui-même, il est cerné de panneaux tels que celui-ci.

Ces deux feuilles soulignées de points, vous voyez ce qu’elles représentent, bien sûr ? Des empreintes de sanglier. C’est le logo que s’est choisie l’Agence pour la nature et la forêt flamande. Mais mon flamand étant balbutiant, mon imagination assez obsessionnelle et mon traumatisme encore frais, j’ai imaginé que ce panneau me mettait en garde contre les charges de suidés. J’ai donc pu vérifier ce matin, dans un cadre bucolique, sombre et détrempé, que je pouvais encore frôler l’arrêt cardiaque dans certains contextes. Mais j’y suis allée quand même et j’en ai été récompensé par la rencontre avec un charmant chevreuil – on le distingue à peine sur cette photo floue (pluie+nébulosité).

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Aujourd’hui, j’ai cessé d’être la plus grande fan de la Belgique. Déjà, hier après-midi, j’étais rentrée en colère du Mont Noir (je m’étais rendue à Paris Croissants pour acheter le pain), après avoir entendu des coups de feu. J’ai pensé que quelques irréductibles têtes de nœuds vaquaient à leur loisir sadique dans l’illégalité. Mais ce matin, après avoir ressenti des détonations déchirer le silence et ma poitrine, retentir sinistrement dans les vallonnements de champs et de bois, j’ai décidé de me renseigner. J’ai donc appris qu’en Belgique, « La chasse à vol du lapin, du renard et du chat haret est ouverte toute l’année ». Quelle barbarie… Ces sacs à merde de chasseurs sont encore plus choyés qu’en France. Et ils n’ont rien de mieux à faire un jeudi matin à l’aube que de tirer sur des chatons. Qu’ils s’entre-tuent et s’éradiquent, ces pathétiques raclures de fosses à lisier.

Moi qui me réjouissais que la neige ait laissé place au brouillard, et de réussir pour la première fois depuis la charge de sanglier à courir dans les bois par une aube brumeuse sans faire d’arrêt cardiaque dès qu’un écureuil traverse mon champ visuel, j’ai vite senti ma joie se muer en rage, d’abord en passant à proximité d’un élevage de « bovins », comme on dit, glacée par les mugissements qui grondaient dans les hangars clos, puis face à ces détonations qui transformaient un paradis potentiel – avant-dernière image – en enfer avéré. Homo sapiens, je ne suis toujours pas tout à fait ton amie.

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Où suis-je ?

Oh flûte, je l’ai indiqué dans le titre, quelle patate. Vous aurez donc deviné que ce splendide télésiège n’est autre que le Télésiège Córdoba d’Heuvelland, Belgique. Ce matin, j’ai couru en short dans les rafales de flocons ; j’ai des plaisirs simples.

La neige m’empêchait de distinguer les chemins et j’ai fait quelques demi-tours, ajoutant des traces de pas à mes traces de pas, les seules aux alentours si l’on exclut celles des lièvres, des oiseaux et des chevreuils.

J’ai vu un brocard, ce matin, il était dans le paysage ci-dessous mais je n’ai, encore une fois, pas eu le temps de le photographier.

C’était une belle manière de commencer la journée.

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Ce matin, sous la pluie, j’ai vu trois chevreuils dans les champs ci-dessous

puis un autre, solitaire, à mon retour dans le parc de la villa. Mes photos sont toutes floues. Après avoir rencontré les trois premiers, j’ai trouvé un observatoire modeste. La vue y est quasiment la même qu’à son pied. Mais c’est le geste qui compte – regarder de juste un peu plus haut, sans drone ni autres technologies mais par la simple, l’humble magie de l’escalier ou…

du télésiège <3,

qui arrive à proximité de cet authentique moulin.

Il y a ici une infinité de sentiers dans ce genre (il faut imaginer que Chab a oublié ses chaussures de marche, il n’a que des chaussures de ville à semelles plates : comment suis-je censée préparer nos itinéraires de promenade ?)

Un de ces chemins est bordé d’arbres creux, énormes, de véritables manoirs pour petits rongeurs et oiseaux nocturnes

ou pour faisanes vraiment pas farouches.

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Il y a des houblonnières dans les alentours, je les ai découvertes ce matin alors que j’allais visiter le Purgatoire – je me réserve pour plus tard le Coin du Loup et le Trou Perdu, dont les noms nous intriguent.

Le Purgatoire n’était pas particulièrement fascinant (on y voit certes un bunker, hélas les bunkers, ce n’est pas ce qui manque par ici) mais j’ai donc découvert à quoi ressemble une houblonnière. J’ai deviné ce que c’était quand j’ai vu au milieu des champs de Boeschepe le Camping des Houblonnières, face à ceci :

Il y a du houblon par ici mais pas de noix de coco. La boulangère du Mont Noir à qui j’ai demandé hier si elle savait où je pourrais trouver du lait de coco (dont je voulais agrémenter ma soupe de brocolis pour mes camarades et moi) m’a demandé, Ici ? Au Mont Noir ? Ce n’était pas tout à fait naïf de poser la question dans cette zone frontalière typique (elle me rappelle Mouscron, Menin et autres villes où, plus jeune, avec mes amies, nous allions passer des fins de dimanches culturels, à boire des bières, manger des frites, acheter du tabac, du chocolat ou des plantes pas cher et pousser des gloussements de collégiennes devant les poupées gonflables et autres glorieux artefacts) puisque l’on y trouve Las Vegas mais aussi le télésiège Córdoba (<3), le China Garden (hôtel restaurant), le Bahamas Kapittel et, pour les amoureux de chalets suisses, l’Edelweiss. Le lait de coco ne paraissait pas si exotique. Mais non. Mais nous avons quand même trouvé notre bonheur au Mont Noir : si les Français sont souvent cafardeux et geignards le dimanche soir, les Belges emplissent les bars dans un joyeux capharnaüm, Flamands et Wallons mélangés de tous les âges et de toutes classes sociales. J’ai emmené mes camarades au magasin Robot (déco, fête, jouets), puis Chab nous a invitées dans le bar le plus peuplé, pour une immersion parfaite. Nous avons eu de beaux fous rires et ourdi des plans très enthousiasmants, sans céder à la tentation de nous procurer un élément de déco typique (car on en trouve jusque dans les bars) ; pour ma part, j’ai eu du mal à résister :

Nous écrivons aussi, beaucoup ; si les soirées sont joyeuses, les journées sont studieuses, sinon monacales. Nous profitons aussi de la bibliothèque de la villa (une bibliothèque avec échelle), plus attirante que sa boîte à livres.

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Ce matin, alors que je courais dans les champs de Belgique, j’ai rencontré quatre chevreuils. Ils se sont enfuis si vite que je n’ai pas eu le temps de les prendre en photo ; il faut dire que la saison de chasse s’est achevée il y a seulement cinq jours. Je dis seulement mais pour certains fleurons de la nation, la nostalgie du fusil est déjà cuisante. Hier, alors que Chab, Adèle et moi rentrions du village, où nous étions allés acheter quelques légumes, nous avons vu un cavalier en grand apparat descendre le chemin vers la villa, s’arrêter au milieu d’une pelouse et se mettre à jouer du cor. Nous sommes resté.e.s bouche bée, c’est pourquoi je n’ai que quelques secondes de vidéo (ci-dessous) pour vous présenter le gamin le plus grotesque du monde. Deux dames qui devaient être ses grand-tantes nous ont dit qu’il s’entraînait pour la chasse à cour ; elles ont ajouté très fièrement qu’il avait appris à jouer du cor pendant le confinement (ses voisins, quant à eux, ne devaient pas avoir de fusil, quel dommage). Gars, trouve-toi une girlfriend, range ta bombe et ton cor et, par pitié, descends de ce pauvre cheval.

Ce matin, donc, des chevreuils et pas de sangliers. De la brume, pourtant, et les bois étaient si beaux que j’avais envie de m’arrêter tous les trois mètres pour prendre des photos – chaque arbre voulait me raconter son histoire.

Ici, la plupart du temps, on n’entend que des oiseaux. De temps à autres, des joggeurs fluorescents qui parlent trop fort ou une voiture qui passe en amont, mais pas tant que ça. Parfois, les oiseaux font un charmant brouhaha. Une famille a élu domicile sur la cheminée de la villa, de sorte qu’on l’entend très distinctement, dans la cuisine, ses chants et pépiements amplifiés par le conduit jusque dans la hotte qui fait office d’enceinte.

A ma grande joie, j’ai ici la compagnie des oiseaux qui font ree-pee / roo-pee (wee-pee / woo-pee) et j’ai pu en isoler un grâce au zoom de mon appareil photo. C’est bien d’une grive qu’il s’agit. J’ai passé des minutes entières à la filmer, chaque fois elle a lancé son wee-pee au moment où je baissais les bras.

Je l’ai vue alors que je rentrais du Mont Noir, où j’étais allée acheter le pain. Pour vous faire une idée d’où se trouve le Mont Noir par rapport à la villa, consultez la carte ci-dessous.

Près du bien nommé parc d’attraction Youpiland,

il y a la chapelle Notre Dame des Affliges et un panneau Télésiège. Cette photo pourrie ne le montre pas mais il n’y a pas d’accent aigu sur le e d’Affliges aussi ai-je décidé que c’était une région, les Affliges, comme les Abruzzes en Italie. Je fais ce que je veux. Quant au panneau Télésiège, il m’a donné envie de consacrer un livre à cet étonnant moyen de transport par-dessus les champs mais j’ai déjà trop de chantiers en cours. Il faudra que je revienne. Pour moi, le télésiège à la belge, c’est l’inverse du télésiège platement fonctionnel que l’on trouve en France : plus ludique mais aussi plus existentiel, il propose avant tout l’expérience immanente du télésiège.

Enfin, comme c’est dimanche, je tiens à partager ici ma rencontre avec Jésus Christ, ce matin, au détour d’un des innombrables chemins qui veinent le territoire. Il ne va toujours pas mieux mais il a un petit toit (c’est aussi très belge, j’en ai vu plein à Eupen).

Cette rencontre m’a fait fredonner spontanément la chanson (1’15) du trio féminin Alice, précisément intitulée Jésus Christ et dont voici une citation-teaser : « Personne ne sait multiplier les poissons comme Jésus Christ ».

Youyou

Ça y est, je suis chez Youyou pour un mois – chez Youyou est l’expression qu’emploient les artistes lilloises invitées à la session de Vertébrale(s) fin janvier pour désigner la Villa Yourcenar, où avait lieu notre mini résidence. Tu pars chez Youyou ? m’ont-elles dit récemment. On va te rendre visite.

Je m’y suis donc installée hier (ma chambre, c’est celle du premier étage sur la photo ci-dessus), j’ai fait une promenade dans les bois, salué Marie pleine de grâce, « Comment ça va, depuis janvier ? Quoi, quelqu’un t’a manqué de respect ? Où il est, ce méchant ? Je vais lui dire deux mots »,

écrit quelques pages, assisté au premier crépuscule de mon séjour par la fenêtre de ma chambre

puis, alors que Valentina et moi discutions en vidéo d’un projet que j’annoncerai en juin 2024 si nous (homo sapiens) sommes toujours là (je suis tombée sur des infos à la radio, la semaine dernière, je suis maintenant persuadée qu’il nous reste à tou.te.s quelques jours à vivre), les deux autres résident.e.s de ce mois de mars sont venu.e.s frapper à ma porte pour me proposer qu’on dîne ensemble. Bonne surprise : nous nous entendons bien.

Adèle : Vous reprenez un verre ?
Chab : On ne va pas laisser ça…

Ensuite de quoi j’ai attaqué les livres de poésie que j’ai empruntés à la bibliothèque de Marguerite, avant de m’endormir. Ce matin, j’ai couru dans les champs et les bois un peu avant le lever du soleil mais pas trop (je respecte désormais les rythmes biologiques de mes amies les laies ainsi que des sangliers) quand j’ai aperçu au loin quelque chose d’étonnant…

Qui a besoin d’une montagne et de pistes de ski pour se doter d’un télésiège ? Pas les Belges.

J’aime tellement la Belgique. Aussi parce que c’est un peu l’Amérique

et parce qu’on trouve des DAP un peu partout (distributeurs automatiques de patates).

Je vais être tellement bien, ici, en pleine apocalypse…

sauvages

J’ai enfin le temps de poster quelques images du livre-objet que Catherine Barsics et moi avons écrit et fabriqué au Comptoir du livre, à Liège, entre le 6 et le 11 février. Il est constitué de fragments de formes diverses, sur des papiers divers ; son titre est sauvages ; son ISBN, 978-2-931175-04-0. Nos complices pour la conception, le pliage et l’assemblage de l’objet étaient Benjamin Dupuis, Charlyne Audin, Emelyne Delfosse, Louise van Brabant et Ophélie Blanck. Je leur envoie plein d’amour, ainsi qu’à l’équipe de la librairie La Grande Ourse, Claire et Rébecca.

Voici les livres dont nous sommes parties pour construire nos textes :

Catherine et moi, ravies, à la fin de la performance du vendredi soir.

(Photos d’Ophélie Blanck)