Ce matin je suis allée courir avant le lever du soleil, je ne voulais pas entendre les coups de feu. Mais le soleil lui-même a refusé de se lever, pour la première fois depuis des mois. Le soleil ne veut pas voir ce qui se prépare dans les champs les bois les forêts les bosquets parfois jusque sur des rond-points arborés. Les taches orange fluo, les aboiements furieux des chiens dressés pour tués – ces mêmes pauvres chiens qui passent six mois par an enfermés dans de minuscules cages, dehors par tous les temps, le plus souvent sur du bitume au milieu de leurs excréments, on imagine leur rage le jour où on les lâche aux trousses des lapins.
Alors que je finissais ma course à pied par une pointe de vitesse sur la pente du cimetière, à Sallaumines, j’ai écouté une chanson de Nia Archives dont le titre est précisément Sunrise Bang your Head Against the Wall. C’est ça, je me suis dit, c’est ce qui se passe.
Où je plane dans le ciel de Zebulon (club expérimental de Los Angeles) au son de Candles, extrait du premier album de V/Z (Valentina et Susumu), dont j’ai déjà parlé ici. La vidéo a été éditée et mise en ligne par Valentina hier soir.
Aujourd’hui paraît l’album de V/Z – pour Valentina et Zongamin (le pseudo de Susumu en solo). Leur complicité musicale, déjà observée au sein du trio Vanishing Twin avec Cathy et sur scène avec Al pour Holy Tongue, s’exprime ici totalement. Valentina n’y joue pas seulement de la batterie mais de plusieurs instruments. Le disque était déjà enregistré quand je l’ai rencontrée ; je me rappelle avoir pensé, à la première écoute, que c’était son disque le plus pop et je continue de penser qu’il recèle quelques tubes potentiels, en tout cas quelques chansons imparables. On peut danser sur la plupart des titres mais la mélancolie n’est jamais loin. Parmi les invité-e-s, Coby Sey et Venus ex Machina mais aussi Cathy Lucas de Vanishing Twin, sur une piste qui voit donc le trio au grand complet mais dans un registre différent. La géniale photo de pochette est de Davide Gostoli, un ami de Valentina ; il l’a prise un soir qu’il faisait du cat-sitting et que le jeune et facétieux Ashby s’était glissé dans un carton vidé de ses 33-tours – il était bien caché, façon chat.
On peut se procurer la version digitale de l’album ici – les vinyles étaient épuisés avant même le jour de la parution. Les deux super tubes de l’album :
Mon amie et co-Vertébrale Aude Rabillon, compositrice électroacousticienne, et la violoncelliste expérimentale Soizic Lebrat (avec qui je collaborerai bientôt) ont sorti un passionnant split album, Lune captive, sur le label Tsuku Boshi. On peut l’écouter et se le procurer ici.
Valentina, quant à elle, participe à Remotely Together, album collectif à l’initiative du festival Rewire (La Haye) ; elle y collabore avec l’excellente abstract turntablist Maria Chavez sur un morceau dont j’ai choisi le titre (ici bonhomme jaune à lunettes noires) tandis que sur une autre plage, Claire Rousay joue avec Morita Vargas et c’est encore une rencontre au sommet ; KMRU est aussi de la partie. On peut écouter tout ça ici.
Très bientôt, je pourrai vous annoncer la parution d’un album sur lequel se trouvent peut-être quelques tubes de l’été ; c’est ce que fabriquent ensemble Valentina et Susumu quand ils ne collaborent pas au sein de Vanishing Twin ou de Holy Tongue.
Le début de mon année a été aussi épuisant que passionnant ; je n’ai rien pu assimiler de ce que je vivais, tant tout s’enchaînait. Suis-je vraiment allée en Californie ? Sur la photo qui accompagne ce mix, nous sommes en vol vers elle ; à mon retour, j’allais filer directement de l’aéroport London Heathrow à la Villa Yourcenar pour une session Vertébrale(s), sans même repasser par chez moi, le cerveau ramolli par le jetlag. Pas le temps de me remémorer les deux semaines intenses entre Los Angeles et San Francisco. Et toute l’année, jusqu’au mois de mai, serait ainsi, sans répit, sans respiration. En février, j’ai commencé à sentir les signes du burn-out et je commence tout juste à me sentir mieux mais mon corps a pris dix ans.
J’ai essayé de traduire (avec humour) ce que j’ai ressenti pendant ces quelques mois dans le mix que voici. Des femmes pleurent, rient trop fort, crient, sifflent, des batteries s’emballent, des cuivres fondent. Je me suis beaucoup amusée : par moments, on entend trois morceaux simultanément, Jennifer Walshe et Ursula Häse semblent communiquer par yodel depuis deux sommets montagneux distants, Jennifer toujours elle et Yoko Ono se répondent dans une langue animale inconnue tandis qu’Anne Gillis sanglote et que Le Fruit Vert réprouve ces vanités des vanités des vanités des vanités des vanités des vanités des vanités. Je veux bien faire ça comme job : mixeuse. Pas DJ, non, ce que j’ai fait sur ce mix-là a plus à voir, au fond, avec les plunderphonics – sauf que je ne pars pas de chansons populaires mais de
Anne Gillis, Ondulatoires Jennifer Walshe / The Dowager Marchylove, The Wasistas of Thereswhere Bär&Hase, YodExpAli Le Fruit Vert (Andrea Jane Cornell & Marie-Douce St-Jacques), La Castiglione Yoko Ono, Fly Carolyn Connors, I’m a Big Man Valentina Magaletti, Untitled Guylaine Cosseron, Dis-le Ka Baird & Muyassar Kurdi, III Shitney (Katrine Amsler, Maria Faust, Qarin Wikström), Do you Like it? Susana Santos Silva & Alexandra Nilsson, Blue Noise a.hop (Ryoko Akama, suzueri, Veronica Cerrotta, Anne-F Jacques, Bonnie Jones, Elizabeth Millar, Liew Niyomkarn, Lynette Quek, Valentina Villarroel Ambbiado), A Rhythm and Portrait Song Kusum Normoyle, Octopus Salomé Voegelin / Claire Rousay, Hating it
Peu après notre rencontre, j’ai dit à Valentina qu’elle devrait faire une pièce pour le label australien Longform Editions, dont j’ai presque toutes les parutions féminines (il y a une belle parité dans ce catalogue pourtant tenu par deux messieurs) et qui invite des artistes expérimentales (et -aux, donc) à leur offrir un morceau long (d’où le nom du label) si possible hors de leurs sentiers habituels. Peu après, par une coïncidence assez remarquable, le label a proposé à Valentina d’entrer dans son catalogue, et c’est avec une pièce très étonnante dans son parcours qu’elle a répondu à la commande : Different Rooms est l’un des morceaux d’elle que je préfère à ce jour, à égalité avec celui dont je vais parler dans un instant. Il est inventif, tour à tour drôle et inquiétant.
Mon autre album préféré de Valentina sort demain (on le trouve ici et là). Je l’ai entendu pour la première fois le 28 avril 2022 – il allait encore connaître de nombreuses modifications. Il s’agit de Cupo, en duo avec Laila Sakini. Il m’a tout de suite évoqué une forêt dans laquelle on pourrait errer indéfiniment ; une forêt mystérieuse, luxuriante et humide, quand la pluie a cessé mais que les arbres s’ébrouent encore et que les animaux sortent de leurs cachettes. C’est sur ces impressions que j’ai emmené les deux musiciennes dans le bois d’Hampstead Heath pour une séance de photos, cet été. Nous souhaitions des images étranges, comme de rituels secrets. Weird était notre mot d’ordre. Les photos que nous avons choisies, les voici – voici ma première pochette de disque, recto-verso :
Je ne pensais pas que la photo ci-dessus apparaîtrait au dos, je l’avais prise pour la promo. Notre dernière sélection comportait les photos suivantes :
(si j’avais été seule à décider, j’aurais choisi la photo ci-dessus – qui me fait toujours autant rire, des mois plus tard)
Je souhaite une longue et belle vie à cet album intemporel, délicat et envoûtant.
Le premier morceau, Claim it! de Klein (dont j’ai déjà parlé sur ce blog 73 fois, je pense) est l’un des quelques morceaux qui représentent à mes oreilles très subjectives la perfection en musique : chaque seconde est parfaite, la structure est parfaite, de même que les lamentations (ce Why? à la Yoko Ono), le rythme irrésistible et généreux et les textures à tomber par terre ; il ne manque rien et il n’y a rien à jeter : parfait.
(Klein par Sze NG)
Quant à la toute fin de mon mix, le surgissement hystérique et complètement incongru de Teresa Winter, il me fait rire aux éclats, jusqu’à ce qu’il apporte une touche mélancolique très fin de fête et bienvenu à cette débauche d’énergie.
Dans le nouveau numéro de Wire (avec Meredith Monk en couverture, comme je le montrais plus tôt cette semaine), ce compte-rendu de la résidence de Valentina au Café Oto. Je remercie de tout cœur l’auteur de ces lignes, qui ne rend pas seulement hommage à la grâce et au génie de mon amoureuse (eh, ce n’est pas moi qui le dis), à la finesse et à l’inventivité de nos ami.e.s mais fait aussi une belle place à ma performance avec Valentina et Dali. Si on m’avait dit qu’un jour mon nom apparaîtrait, en si incroyable compagnie, dans les pages de mon magazine préféré… Voilà qui est très euphorisant.
C’est samedi à partir de 19h, à la Cinematek de Bruxelles : Feelings we don’t have words for, une soirée consacrée à Meredith Monk,
alors que (la nouvelle vient de tomber) le nouveau numéro de mon magazine préféré, Wire, lui consacre (enfin) la couverture de son prochain numéro, à l’occasion de la parution d’un coffret de 12 CD sur le label ECM.
en 2022, j’ai beaucoup ri, beaucoup pleuré, j’ai beaucoup dansé ; j’ai perdu quelques ami.e.s, j’en ai gagné quelques autres et une super petite amie ; j’ai rencontré sept sangliers + un sans tête ; le premier, qui en avait sacrément une, a changé ma vie ; j’ai récolté les fruits de tout ce que j’avais semé pour rester debout pendant la terrible année 2021 et j’ai adoré leur saveur ; j’ai écrit quelques centaines de pages, dont certaines à quatre mains, cofondé un groupe de réflexion artistique et un label / maison de micro-édition ; j’ai pris des dizaines de trains, quelques avions, une flopée de métros, bus et taxis, j’ai beaucoup couru et beaucoup pédalé, j’ai vu des paysages variés, certains brûlants, d’autres glacés, certains sauvages, d’autres carrés ; la musique était là comme toujours, à chaque instant, et pour la première fois j’ai pu la partager pleinement avec d’autres qui l’entendaient aussi et parfois l’entendaient à peu près comme moi je l’entends
je suis reconnaissante à la vie pour cette année fabuleuse alors j’ai décidé de ne pas parler de tout ce qui ne va pas dans ce monde complètement taré – pas ici, pas aujourd’hui
Et comme je ne suis pas prescriptrice, je peux bien me permettre sans dommages de lancer mon TOP 53 très subjectif d’albums parus en 2022, qui ne ressemble à aucun des nombreux charts que j’ai parcourus avec agacement (mais ne pouvant m’en empêcher) en cette fin d’année, ce dont je tire une certaine fierté. Malgré tout, la liste n’est pas exhaustive et j’ai aussi pu oublier, au moment de faire ma petite liste, quelques titres que j’ai en fait adorés à leur sortie, je m’en flagellerai quand ça me reviendra. En attendant, quelques pistes d’écoute pour oreilles gourmandes, classées par ordre de parution :
Ann Eysermans – For Trainspotters Only (28 janvier 2022)
Maya Shenfeld – In Free Fall (28 janvier 2022)
Delphine Dora – À l’abri du monde (4 février 2022)
Cate Le Bon – Pompeii (4 février 2022)
Big Thief – Dragon New Warm Mountain I Believe in You (11 février 2022)
Astrid Øster Mortensen -Skærgårdslyd (14 février 2022)
Ulla Strauss – Hope Sonata (15 février 2022)
Debit – The Long Count (17 février 2022)
Matchess – Sonescent (25 février 2022)
Marta Forsberg & Kajsa Magnarsson – Kompisitioner (25 février 2022)
Benedicte Maurseth – Hárr (25 février 2022)
Nyokabi Kariuki – Peace Places: Kenyan Memories (25 février 2022)
Laura Cannell – An Antiphony of the Trees (11 mars 2022)
Jenny Hval – Classic Objects (11 mars 2022)
Ana Fosca – Poised at the Edge of Structure (18 mars 2022)
Puce Mary – You Must have Been Dreaming / Stuck (10/11 avril 2022)
Claire Rousay – Everything Perfect Is Alreay Here (22 avril 2022)
Linnéa Talp – Arch of Motion (29 avril 2022)
Avvitagalli – None Corsa (29 avril 2022)
Valentina Magaletti – La Tempesta Colorata (6 mai 2022)
Karen Willems – Grichte 1 (6 mai 2022)
Patricia Wolf – See-Through (13 mai 2022)
Valentina Magaletti – A Queer Anthology Of Drums (27 mai 2022)
Propan – Swagger (27 mai 2022)
Harrga – Femmes d’intérieur (16 juin 2022)
Silvia Tarozzi & Deborah Walker – Canti di guerra, di lavoro e d‘amore (10 juin 2022)
Chra / Méryll Ampe – Sleepwalkers (21 juin 2022)
Felicia Atkinson – Image Language (24 juin 2022)
Naima Bock – Giant Palm (1 juillet 2022)
Kali Malone – Living Torch (7 juillet 2022)
Indigo Sparke – Hysteria (10 juillet 2022)
Nwando Ebizie – The Swan (22 juillet 2022)
Elaine Howley – The Distance Between Heart and Mouth (12 août 2022)
Dania – Voz (19 août 2022)
Dienne – Addio (26 août 2022)
Klein – Cave In The Wind (1 septembre 2022)
Sarah Davachi – Two Sisters (9 septembre 2022)
Tomaga – Extended Play 1 & 2 (22 septembre 2022)
Aleksandra Słyż – A Vibrant Touch (23 septembre 2022)
Dies Lexic – Lexicon Hall (26 septembre 2022)
Aylu – Profonda Rosa (4 octobre 2022)
Sofie Birch & Antonina Nowacka – Languoria (7 octobre 2022)
Ecka Mordecai – Promise & Illusion (7 octobre 2022)
Valentina Magaletti – Rotta (18 octobre 2022)
Clarice Jensen – Esthesis (21 octobre 2022)
Laila Sakini – Paloma (22 octobre 2022)
Anja Lauvdal – From a Story Now Lost (28 octobre 2022)
Better Corners – Modern Dance Gold: Vol. 1 (1 novembre 2022)
Christina Vantzou – N°5 (11 novembre 2022)
Yosa Peit – Phyton (11 novembre 2022)
Sugar Vendil – May We Know Our Own Strength (11 novembre 2022)
Aviva Endean – Moths & Stars (2 décembre 2022)
Felicity Mangan – Train Tracks Recorded And Edited By Felicity Mangan (9 décembre 2022)