La nuit précédant mon anniversaire, mon insomnie a réveillé Valentina. Elle, elle peut dormir sur commande et choisir la teneur de ses rêves, double super-pouvoir. Je lui ai demandé de m’emmener dans ses rêves. Il était trois ou quatre heures du matin. Quand je me suis enfin endormie, j’ai rêvé que je m’engageais dans une forêt sur le vélo qu’elle m’a offert ; des deux côtés de la drève, il y avait des dizaines d’animaux majestueux, immobiles dans la verdure. Des cerfs, des renards, etc. et même des chevaux sauvages (ce qui n’existe plus sur cette planète, ils ont tous été brisés – on dit domestiqués, pardon). Je roulais calmement, émue de leur présence, quand un cheval puis un sanglier m’ont dépassée d’un trot joyeux. C’était merveilleux.

(Je vois souvent des chevaux s’entre-laver ou se faire des câlins dans leurs enclos électrifiés. Ici, quelque part entre Bouvigny-Boyeffles et Fresnicourt-le-Dolmen)
Demain, c’est l’ouverture de la chasse, une semaine plus tôt que l’année dernière. Les bubons en gilet orange grignotent du terrain, chaque année, avec la bénédiction des furoncles qui décident. La semaine dernière, déjà, la population de faisans a triplé dans les champs. Je ne l’apprends à personne : les premiers écologistes de France autoproclamés font des élevages de faisans, de perdrix et même de chevreuils, ils les font manger dans leur main puis les lâchent dans la nature juste avant l’ouverture de la chasse, ensuite de quoi ils régulent, comme ils disent. Je rêve d’une espèce qui régulerait les chasseurs.

(faisan quelque part entre Annequin et Beuvry, paradis convertible en enfer six mois par an)

(on en croise même sur les terrils les moins unescotérisés – comme ici sur le 105-89 à Hénin-Beaumont)
Ce matin, traversant une dernière fois des champs et une forêt avant que les bubons ne commencent à sévir avec une excitation sadique mais légale, je regardais les faisans, lapins, lièvres, chevreuils et je leur prodiguais d’inutiles vœux et conseils – je n’allais pas me mettre à hurler pour leur apprendre à craindre et fuir les sapiens : une terreur permanente les étreindra bien assez tôt, d’ailleurs comment des êtres innocents, inoffensifs (des herbivores) pourraient-ils comprendre que l’on puisse souhaiter leur destruction ? Moi-même, je ne le comprends toujours pas. Je regardais aussi les panneaux de zones piégées, y compris dans la forêt domaniale (propriété de l’État) ; je ne comprendrai jamais non plus qu’une telle barbarie soit autorisée. Et si l’habitat d’homo sapiens était piégé ? Et si une longue et atroce agonie nous attendait à chaque coin de rue, à la boulangerie, dans le métro ? S’il n’y avait aucun endroit au monde où l’on pouvait ne pas avoir le ventre noué par la peur ?

(chevrette et faon à Lapugnoy)
Je n’aurai jamais assez de mots pour dire l’horreur. Ni pour remercier Valentina de m’avoir, quelques instants, par son étrange pouvoir, emmenée dans ce rêve d’animaux libres, sauvages, en paix.

(innocente d’Annequin qui ne craint pas les humain-e-s mais en est seulement curieuse)