Collier de nouilles

Collier de nouilles

Éditions Les Carnets du Dessert de Lune

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Quatrième de couverture

« les canards-Jésus

Il y avait ce matin onze canards debout sur l’étang. Je me suis penchée pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une illusion d’optique : non. La surface de l’étang était partiellement gelée et de l’eau recouvrait une partie de la glace de sorte que les canards semblaient se prendre pour Jésus, là, à se nettoyer les aisselles à coups de bec debout sur l’eau.
Alors qu’en fait ils se prenaient sans doute juste pour des pingouins. L’un des pingouins à col vert s’est dirigé vers l’eau (la vraie, celle qui ne cachait pas de la glace mais juste de la vase) sur ses petites palmes mal assurées il tanguait vers son véritable élément avec soudain une humilité de canard. Les dix autres canards l’ont observé tandis qu’il titubait puis plongeait et ça faisait vingt yeux arrondis de canards. Puis ils ont repris leurs activités, nettoyage d’aisselles christique, sommeil la tête à l’envers enfouie sous les plumes, lever de patte, coups de bec dans la glace.
Quand j’ai repris mon chemin à travers le bois, je me suis rendu compte que je venais de passer quatre ou cinq minutes sans penser à la fille, et j’ai soudain mesuré le pouvoir des canards. »

(C’est aussi un extrait du recueil…)

Notes de l’auteur

1. Collier de nouilles est mon premier recueil de textes courts, dans lequel il est beaucoup question de dents, de cheveux, de religion, du couple et d’autres sujets essentiels.

2. Un autre extrait :

« le cheveu invisible

– Qu’est-ce qu’ils sont beaux, tes cheveux ! dit maman.
S’il y a une chose que je ne pensais jamais entendre, y compris de la bouche de ma mère.
– Ils ont bien poussé, je dis
pour ne pas répondre non, ou un ah tu trouves ! offusqué : ça ne se fait pas de refuser la générosité des gens.
– Oui et ils tournent bien, sur les épaules.
– Ah ça, je dis.
Et tant mieux si quelqu’un au monde trouve ça gracieux, que les pointes de mes cheveux forment une espèce de gouttière juste sous mes épaules – une nuit j’ai rêvé qu’elle était pleine de biscuits apéritifs, je le découvrais dans un miroir de toilettes publiques.
J’ai deux sortes de crèmes lissantes qui me facilitent la dignité, une qui s’applique après lavage et essorage, une autre sur cheveux secs. Avec ça.
Pour vous situer, mes cheveux sont donc plats avec une gouttière à leur extrémité inférieure, ils sont innombrables et compliqués, sans logique propre : à mon image, quand j’y pense bien. Quand on les croise, ils donnent l’impression de forces brutes. On se dit voilà des cheveux que leur propriétaire laisse pousser comme bon leur semble. Car lisse ne signifie pas raide, entendons-nous bien ; et lisse n’implique pas non plus une maîtrise du volume.
Quand je les laisse pousser sans entrave, je me rends compte à quel point mes cheveux sont nombreux.
La question à me poser est je crois : quelle image je souhaite donner de mes cheveux et par extension de moi-même ? A la réflexion, je souhaite donner l’image de quelqu’un qui se fout de son image. Comme ça personne ne se sentira autorisé à me juger, en tout cas personne d’important. Soigner particulièrement votre image vous engage dans une voie extrêmement contraignante, où votre cheveu se devra de coller aux standards, où le moindre épi, la plus imperceptible ondulation mal placée vous vaudront ricanements ou mauvais présages – je la trouve vieillie / négligée / diminuée / sur la mauvaise pente.
En quelque sorte, le cheveu que je prône et vers lequel je tends est le cheveu invisible.
Passe-partout.Attention, pas insipide non plus. Juste, discret.
Par exemple, je suis très fière de mes cheveux blancs ; j’en ai beaucoup pour mon âge depuis bientôt 10 ans. Ça fait du moins quelque chose à voir. Comme trois brins de persil sur une assiette de purée, ça relève. Pour le reste, je laisse mes cheveux traîner en jogging. »

3. Trois titres évoqués dans le recueil :

Marianne Faithfull : Last song

Cat Power : Satisfaction

Dusty Springfield : Little by little