Choupis / Youpi

Lens : Une rave party sauvage attire près de 2000 participants, la police sur place pour encadrer dit la presse ce matin. La free party (je crois qu’on dit plutôt ça, de nos jours) devrait s’achever lundi matin, selon certaines sources, ce soir selon d’autres.

Je suis partagée entre l’agacement face à ces 2000 fervents amateurs de leur propre liberté qui prennent cent mille habitant.e.s en otage de leurs bpm sans invention, et l’amusement car, ce que la presse ne précise pas, c’est que la fête bat son plein à 500 mètres à vol d’oiseau du commissariat – et à 800 mètres de ma maison mais peu importe : comme tout individu souffrant d’acouphènes, d’hyperacousie et de misophonie, j’ai toujours des bouchons d’oreilles à disposition. En revanche, j’ai beaucoup d’empathie pour les habitants de sept villes environnantes qui se plaignent du bruit et des vibrations ; je sais que ce type de rythme répétitif peut être une torture pour les cerveaux qui ne sont pas gorgés de psychotropes.

Je m’intéresse un peu à la musique, y compris à des musiques telles que l’IDM (Intelligent Dance Music) et la club music expérimentale, j’écoute surtout des choses dont d’autres disent que ce n’est pas de la musique, aussi j’ai prêté l’oreille à ce que martèlent les pyramides d’enceintes (j’ai vue des photos de l’intérieur) et je dois avouer que celle-ci est d’une pauvreté remarquable, sans guère de variations et toujours les mêmes, à intervalles réguliers. Cependant, je préfère cent mille fois subir ça que de la variété des années 80, du rap pâteux pour plage arrière de caisse surbaissée ou des machins à guitares dégoulinantes de riffs ; au moins, je peux imaginer qu’il s’agit de grands travaux ou du passage simultané de nombreux trains.

Cette rave se déroule au sein d’un vaste site industriel de plusieurs hectares (…) particulièrement dangereux et complexe en raison de sa situation géographique (à proximité immédiate de l’autoroute A21 qui n’est pas grillagée, d’une rivière et de l’entreprise Nexans qui a dû cesser son activité en raison des intrusions), de ses toitures instables et de la présence de fosses, déclare la préfecture du Pas-de-Calais.

Franchement, j’ai fait beaucoup de teufs mais je n’ai jamais vu ça : c’est immense, il y a des stands de boisson, on dirait un festival ! confie quant à lui un participant.

Eh oui, bichon, et dehors la police est là pour s’assurer que tu ne te fasses pas mal en buvant ta bière. Alors que je ne te voie plus écrire ACAB ou Nike les keufs sous les ponts, ok ? Non, les policiers ne sont pas tous des bâtards, même pas vrai : ce sont de gentils messieurs doux et attentionnés. Pas du tout les brutes que l’on prétend, qui expulsent les réfugiés à coups de matraques, traînent des manifestantes par les cheveux et tirent sur la foule, énucléant des innocent.e.s. Ce sont des choux à la crème, de même que le sous-préf notre papa de cœur à toustes, qui dit Les organisateurs font courir des risques de sécurité à la jeunesse car ces locaux sont dangereux pour recevoir du public. C’est criminel… Intervenir serait extrêmement délicat, il y a des risques de chute. Choupis <3

On me taxera de conspirationnisme mais moi, je sais ce dont il s’agit. Les maires des alentours ne savent plus quoi faire pour rendre notre territoire attractif : diffuser Chérie FM dans le centre-ville de Lens ne suffit pas à le redynamiser (si on me demandait mon avis, j’aurais plutôt tendance à penser qu’il achève sa vidange), la signalétique poids lourd sur les berges de la Souchez n’a pas déclenché un afflux de touristes de toute l’Europe comme anticipé, mais une poignée de maires jeunes, jolis et tendance ont compris comment amener du sang frais dans nos petites villes sans prestige : en faisant croire à la jeunesse qu’ici elle est libre et révolutionnaire (sous l’escorte bienveillante des forces de l’ordre).

Et de fait, la jeunesse est venue en nombre, en camping-car, en combi Scoubidou. Celleux qui n’ont pas pu entrer ont passé la nuit assis.e.s en tailleur à même le trottoir, à écluser des Kro dans leurs ponchos péruviens, la capuche de chanvre jaune rabattue sur leurs dreads blondes, sous l’œil paternel des gentils policiers engoncés dans leurs voitures, moteurs allumés pour ne pas avoir froid à leurs petites mains. Je les ai vu.e.s ce matin quand je suis allée courir, JMJ, il n’y avait jamais eu autant de monde sur ces trottoirs, hors vide-grenier.

Le sens du vent n’a pas joué en la faveur de Lens cette nuit (bouchons d’oreilles) mais Noyelles a été plus au calme que la nuit précédente. Les oiseaux d’eau et les renards m’ont dit avoir dormi tranquilles et s’apprêtent à fêter leur libération puisque ce dimanche est le dernier dimanche de chasse pour cette saison (allez, le Chasseur Français, furoncle de l’espèce, on range son petit fusil, son petit camouflage et son petit gilet orange dans son petit trou de balle). Je suis sûre que la fête de mes ami.e.s oiseaux sera très bruyante, elle aussi, mais qu’elle n’empêchera personne de dormir et qu’elle sera pleine de trouvailles musicales réjouissantes. Youpi !

(oiseaux d’eau et traces de renards à 2,5 km de la fête libre)

Munificence & Pompe (13)

C’était un rituel de couple et c’est en train de partir viral (oui, ce matin je suis d’humeur facétieuse aussi ai-je décidé de traduire l’anglais mot à mot) et désormais Nick (du label Horn of Plenty) nous envoie lui aussi ses M&P. Il est donc à l’affiche de ce treizième épisode 100% londonien de notre série désormais quasi culte, un numéro essentiel puisque 13 est vraiment un très chouette nombre premier.

Munificence & Pompe (11)

Alors que le départ pour la Californie approche, je ne peux cacher une certaine appréhension – non que j’aie peur de ne pas passer la douane (« Qu’est-ce qui vous amène ici, Madame ? » – « Oh la la, c’est une longue histoire. Elle commence en 1993, quand je me prends de passion pour le cinéma classique hollywoodien – avant ça, j’étais plutôt Nouvelle Vague, j’aimais aussi beaucoup Wenders, par exemple, Alice in den Städten, Falsche Bewegung, plutôt les films de ses débuts, et voilà que je regarde mon premier Capra et… » etc., je suis prête à tout déballer) ; ce qui m’inquiète, ce n’est pas non plus la météo, ni le Big One, non, mais cette question lancinante : trouve-t-on des paires de chaussures dans les rues d’une ville où, paraît-il, personne ne marche ? En attendant, voici des M&P de Bruxelles, Londres et Sallaumines.

/3 : Munificence & Pompe (10)

Tandis que mon amoureuse globe-trotteuse rentre à Londres

après une semaine dans ses Pouilles natales

je suis heureuse de passer trois semaines sans bouger de mon bassin minier (ce qui ne m’empêche pas de bouger beaucoup dedans), où je suis en train de finir les corrections d’un manuscrit dont je désespérais ; il suffisait de me poser un peu pour que mes pensées s’organisent. Du temps, je le répète : il faut du temps et de la concentration.

(Photos prises à Londres, Bari et Sallaumines)

/3 : Munificence & Pompe (9)

Munificence londonienne, cette fois, ou street offering, comme dit Valentina. As usual, les formats rectangulaires sont d’elle, le carré mien. Une nouveauté aujourd’hui : la narration fait son entrée dans cette rubrique. Elle est aussi triste que celle de Bambi, je préfère en avertir les âmes sensibles.

/3 : éco-anxiété

La semaine dernière, j’ai rêvé que j’essayais de dissuader des gens de caresser un sanglier ; je leur disais, Ne faites pas ça, s’il porte votre odeur, les siens vont l’excommunier ; personne ne m’écoutait. C’était un grand sanglier maigre avec de minuscules défenses.

Cette nuit, j’ai rêvé qu’un de mes amis, Martin (vegan notoire), vomissait un ver très long et grès gros sur un trottoir ; je me disais que ça devait être un ver solitaire. Puis j’entrais dans le local associatif dont il venait de sortir, où une prof de yoga était en train de remballer ses affaires. Elle avait apporté pour son cours une carafe de kombucha, qui trônait sur une table. Je comprenais que Martin en avait bu et que le ver vomi sur le trottoir en était issu. La prof de yoga s’excusait, elle ne comprenait pas ce qu’il avait, son kombucha, il n’arrêtait pas de faire des vers ; d’abord, ils avaient l’air de saucisses avec des yeux très jaunes, puis de serpents, qui se dressaient pour regarder autour d’eux d’un air sévère, puis ils se transformaient encore, cette fois en très gros lézards ailés de petites ailes blanches duveteuses (ce détail est dû à mes recherches sur la taxidermie dans l’art contemporain – on y trouve beaucoup de chimères d’un goût calamiteux). La prof s’acharnait à jeter ces reptiles dans les toilettes et tirait la chasse d’eau. Je voyais aussi le couvercle d’une poubelle tressauter, jusqu’à ce qu’une saucisse à yeux parvienne à l’ouvrir et se projette à l’extérieur.

Ensuite, je marchais dans la montagne et j’entendais le fracas d’un torrent. En approchant, je m’apercevais qu’il coulait d’aval en amont ; plus près encore, je me rendais compte que ce n’était pas un torrent d’eau mais de pierres.

(pour illustrer ce billet, j’ai décidé de rester dans la thématique de l’illusion d’optique avec cette photo d’un bassin, prise dans un parc de Lille en 2013)

/ 3 : migrations

Hier soir, alors que je pédalais dans la brume épaisse qui opacifiait encore la nuit, je me suis émerveillée d’entendre approcher des oies sauvages puis de les voir voler très bas, leur forme blanche effilée glissant au-dessus du canal. Je me suis dit, Ce spectacle est l’un de mes préférés au monde, et ces quelques mots ont instantanément convoqué dans mon esprit My Favorite Things (morceau que j’ai découvert dans la version de Coltrane quand j’étais lycéenne, bien avant d’entendre celle de Julie Andrews dans The Sound of Music) et je me suis rappelé que les paroles d’Hammerstein comportent précisément la phrase Wild geese that fly with the moon on their wings / These are a few of my favorite things. Ce qui me fait un point commun avec Maria, je ne m’en étais encore jamais avisée. Mes photos d’oies étant floues, voici des photos d’étourneaux eux aussi sur le point de migrer, prises un peu plus tôt hier soir ; ils avaient rancard à l’ancienne caserne des pompiers, on les entendait à trois cents mètres. Et maintenant, je retourne à mes canards puisque c’est le sujet qui va m’occuper dans les semaines (mois ?) à venir.