splendeur & ordure

La nuit précédant mon anniversaire, mon insomnie a réveillé Valentina. Elle, elle peut dormir sur commande et choisir la teneur de ses rêves, double super-pouvoir. Je lui ai demandé de m’emmener dans ses rêves. Il était trois ou quatre heures du matin. Quand je me suis enfin endormie, j’ai rêvé que je m’engageais dans une forêt sur le vélo qu’elle m’a offert ; des deux côtés de la drève, il y avait des dizaines d’animaux majestueux, immobiles dans la verdure. Des cerfs, des renards, etc. et même des chevaux sauvages (ce qui n’existe plus sur cette planète, ils ont tous été brisés – on dit domestiqués, pardon). Je roulais calmement, émue de leur présence, quand un cheval puis un sanglier m’ont dépassée d’un trot joyeux. C’était merveilleux.

(Je vois souvent des chevaux s’entre-laver ou se faire des câlins dans leurs enclos électrifiés. Ici, quelque part entre Bouvigny-Boyeffles et Fresnicourt-le-Dolmen)

Demain, c’est l’ouverture de la chasse, une semaine plus tôt que l’année dernière. Les bubons en gilet orange grignotent du terrain, chaque année, avec la bénédiction des furoncles qui décident. La semaine dernière, déjà, la population de faisans a triplé dans les champs. Je ne l’apprends à personne : les premiers écologistes de France autoproclamés font des élevages de faisans, de perdrix et même de chevreuils, ils les font manger dans leur main puis les lâchent dans la nature juste avant l’ouverture de la chasse, ensuite de quoi ils régulent, comme ils disent. Je rêve d’une espèce qui régulerait les chasseurs.

(faisan quelque part entre Annequin et Beuvry, paradis convertible en enfer six mois par an)

(on en croise même sur les terrils les moins unescotérisés – comme ici sur le 105-89 à Hénin-Beaumont)

Ce matin, traversant une dernière fois des champs et une forêt avant que les bubons ne commencent à sévir avec une excitation sadique mais légale, je regardais les faisans, lapins, lièvres, chevreuils et je leur prodiguais d’inutiles vœux et conseils – je n’allais pas me mettre à hurler pour leur apprendre à craindre et fuir les sapiens : une terreur permanente les étreindra bien assez tôt, d’ailleurs comment des êtres innocents, inoffensifs (des herbivores) pourraient-ils comprendre que l’on puisse souhaiter leur destruction ? Moi-même, je ne le comprends toujours pas. Je regardais aussi les panneaux de zones piégées, y compris dans la forêt domaniale (propriété de l’État) ; je ne comprendrai jamais non plus qu’une telle barbarie soit autorisée. Et si l’habitat d’homo sapiens était piégé ? Et si une longue et atroce agonie nous attendait à chaque coin de rue, à la boulangerie, dans le métro ? S’il n’y avait aucun endroit au monde où l’on pouvait ne pas avoir le ventre noué par la peur ?

(chevrette et faon à Lapugnoy)

Je n’aurai jamais assez de mots pour dire l’horreur. Ni pour remercier Valentina de m’avoir, quelques instants, par son étrange pouvoir, emmenée dans ce rêve d’animaux libres, sauvages, en paix.

(innocente d’Annequin qui ne craint pas les humain-e-s mais en est seulement curieuse)

413

Cette semaine, j’ai découvert la forêt de Nieppe, sise à Morbecque – soit à une quinzaine de kilomètres de Nieppe, et alors ? De retour chez moi, j’ai appris les dégâts considérables commis ces dix dernières années sur son peuplement végétal par l’ONF lui-même, qui a multiplié les drèves (larges de 25 mètres, ça mériterait un point d’exclamation) et morcelé la forêt à l’extrême, puis j’ai voulu me renseigner sur la population de sangliers, bien sûr, et je suis tombée sur une série d’articles effarants datés de 2022. De La Voix du Nord, je citerai uniquement ce chiffre vertigineux : Flandre : 413 sangliers tués dans la forêt de Nieppe près d’Hazebrouck. Sur un autre, une photo de sangliers, laies et marcassins massacrés par ordre préfectoral, alignés le long d’un chemin.

Et sur le site de BFM (c’est moi qui souligne) :

« Les chasseurs nordistes sont en colère. Pour réguler la population des sangliers, une battue de trois jours a commencé dans la forêt domaniale Nieppe, dans le Nord. Elle est organisée par l’Office national des forêts (ONF) et a commencé tôt ce mercredi matin.

« On avait des échéances au 15 décembre, au 15 janvier. Les échéances n’ont pas été atteintes donc l’ONF intervient en lieu et place des chasseurs habituels pour contribuer à l’atteinte du résultat c’est-à-dire diminuer les populations de sangliers qui nous causent énormément de soucis au niveau forestier« , explique Eric Marquette, directeur régional de l’ONF au micro de BFM Lille.

Une quarantaine de chasseurs locaux se sont déplacés ce mercredi pour interpeller l’ONF au sujet de cette battue. Ils ne comprennent pas sa tenue alors que la période de la chasse n’est pas terminée.

Laisser faire les chasseurs

Les chasseurs estiment avoir le temps d’abattre eux-mêmes les 370 sangliers du plan de régulation du préfet du Nord.

« Il l’aurait fait le 15 mars, puisque la chasse se termine le 31 mars, cela ne posait pas de soucis. Il y a un problème de population de sangliers mais il faut laisser faire les chasseurs d’abord », affirme Joel Deswarte, président de la Fédération des chasseurs du Nord.

D’autant plus que les chasseurs paient pour avoir l’autorisation de chasser sur ces terres, rappelle le président de la Fédération des chasseurs du Nord. « C’est comme si quelqu’un payait un appartement et le propriétaire décidait de venir l’occuper pendant huit jours alors que le locataire a payé un loyer », déplore-t-il. »

Ces tarés génétiques ont vraiment un problème avec la notion de propriété privée, outre que leur échelle des valeurs est arriérée, leurs considérations d’une bêtise consternante. Je n’ai jamais rien attendu d’un-e préfet-te, encore moins des chasseurs (sinon qu’ils s’auto-éradiquent) mais savoir que l’ONF fait ce genre de choses parallèlement à ses aménagements pour la famille et à ses contenus pédagogiques niaiseux me donne la nausée. De plus en plus, le seul fantasme qui me reste est celui d’une institution qui aurait pouvoir de punir les exactions perpétrées sur la nature et ses habitant-e-s (celles et ceux qui ne connaissent pas la notion de propriété privée mais veulent seulement avoir le droit d’exister) par les petits pères Ubu qui sévissent à tous les niveaux du pouvoir.

Pour pleurer à ma manière les sangliers, laies et marcassins assassiné-e-s, voici quelques photos que j’ai prises cet été.

(photos prises, de haut en bas : au Louvre-Lens, près du terril de Pinchonvalles, vers Avion, sur une façade de Marqueffles, un panneau de Bouvigny-Boyeffles, une façade du même Bouvi-Boy, devant une maison lensoise mais ce n’est pas la mienne et enfin à l’intérieur de la mienne mais le verre est un verre de RDA que j’ai trouvé dans la boutique-musée Veb Orange à Prenzlauer Berg il y a deux semaines)

La lie de l’humanité

On la trouve décidément dans les abattoirs.

L214 dévoilait la semaine dernière le supplice des condamné-e-s à mort à l’abattoir de Bazas en Gironde. Je défie quiconque de regarder les images ; moi, je ne peux pas.

« Des cochons, des vaches, des agneaux, subissent l’horreur avant de mourir : coups d’aiguillon dans l’anus et les yeux, étourdissements ratés, animaux suspendus et saignés encore conscients…

L’abattoir abat des animaux majoritairement issus d’élevages en plein air, locaux, et même Label Rouge et Bio. La viande est surtout vendue en direct des producteurs, ainsi qu’en boucherie et supermarché. (…) Tous ces labels cachent les immenses souffrances subies dans cet abattoir. »

Cette enquête et la pétition qui l’ont suivie n’ont pas encore porté leurs fruits. La présidente de la Communauté de Communes du Bazadais, Nicole Coustet, a même déclaré : « Les bêtes qui sautent dans leur box et le sang, ça ne me choque pas. Moi ce qui m’interroge, c’est la façon avec laquelle l’association s’est infiltrée de manière illégale dans l’abattoir. »

L214 a donc saisi la justice : « C’est habituel que les préfectures défendent le statu quo en communiquant ainsi même quand des images prouvent le contraire. Il est nécessaire de rappeler que la justice les contredit régulièrement comme le soulignent les 4 condamnations des services vétérinaires en 3 mois seulement (de mai à juillet 2023). La justice pourra juger si les services vétérinaires de Gironde ont effectué des contrôles suffisants et ont veillé à ce que les non-conformités soient réglées dans les plus brefs délais. Les images sont suffisamment explicites pour que le doute ne subsiste pas. » (Pour en savoir plus cliquer ici.)

Merci de soutenir L214 et de signer les pétitions.

Des ordures

Je fais de nouveau beaucoup de vélo : quand je vais quelque part, j’y vais à vélo – Béthune, à vélo, Lille, à vélo. Ce ne sont pas encore mes grandes virées d’été mais disons que j’évite autant que possible le train dans mes déplacements. C’est mon luxe post année trop chargée, post deux manuscrits achevés (mon nouveau livre paraît en octobre, le suivant en mars 2024). Je pédale. Parfois je souris toute seule, je suis entourée de lapins, de lièvres, de faisans, tout est fleuri, délicieusement parfumé, la lumière est d’une beauté poignante. Parfois aussi la colère et la tristesse me font maudire l’espèce humaine, quand je vois les cadavres d’animaux écrasés au bord des routes (j’en ai croisé pas loin de cent, déjà) ; quand j’entends des chasseurs continuer de sévir dans les campagnes hors saison de massacre, en toute impunité ; quand je longe le canal, habitat de nombreux oiseaux d’eau (cygnes, canards, foulques, poules d’eau, cormorans, grèbes, tous avec leurs poussins à cette période de l’année) et que je découvre ce genre de choses :

Qui fait ça ? Pourquoi ? Qui prend la peine de venir jusqu’au bord du canal, à distance de toute route, pour y déverser des bouteilles en plastique ? Qui achète encore des bouteilles en plastique ? Quand j’ai vu ça mercredi, j’ai pleuré comme on vomit. J’ai eu envie de partir pour ne plus voir, ne plus jamais voir. Combien de temps met un extincteur pour se biodégrader ? Celui-ci a commencé le processus il y a deux semaines, je pense que je le verrai encore souvent, près de l’aérodrome où les gens qui ont de l’argent mais pas de cerveau brûlent du kérosène pour leur loisir.

Combien de temps met la peinture pour s’effacer sur le bitume ? Sur un chemin qui traverse un paysage bucolique, on peut désormais lire « l’UE vous €ncul€ », trois fois, à deux ou trois cent mètres d’intervalle. Une quatrième tentative a manifestement été interrompue, sans doute par l’irruption d’un témoin – ce qui n’est pas sans me rappeler mon tag préféré de toujours, La vi. C’est donc cette tentative que j’ai prise en photo :

J’envisage d’installer des petits panneaux sur le bas-côté, là où les trois autres tentatives ont abouti, des marginalia de chemin à vocation pédagogique :

« 1. La sodomie est une pratique sexuelle accessible à toutes et à tous, même si elle est majoritairement associée à l’homosexualité masculine ; elle participe d’une quête de plaisir et n’est pas dégradante. C’est donc une erreur de l’associer à des messages insultants ou négatifs, par ailleurs cet usage impropre tend à véhiculer une homophobie ordinaire.

2. Je vous invite par ailleurs à enrichir votre vocabulaire, tous registres de langue confondus. « L’UE vous flou€ / vous lès€ / vous spoli€ / vous arnaqu€ / vous dup€ / vous €scroqu€ / vous grug€ », etc. C’est amusant, vous verrez, de décliner un champ lexical.

3. Les partis politiques et panneaux d’expression libre seront ravis d’accueillir vos slogans et mots d’ordre. Un chemin bucolique à l’usage des promeneur-se-s et des lapin-e-s n’est pas le support adéquat pour vos considérations géopolitiques.

Merci. »

Mais je ne le fais pas parce que mon message est trop long et que personne ne prendrait le temps de le lire. « L’UE vous €ncul€ », je veux bien l’admettre, est plus percutant.

Ces derniers temps, je suis de nouveau très très fâchée avec mes congénères. Et je ne parle même pas des élevages et des abattoirs, dont la seule existence m’empêche souvent de dormir et me donne l’impression que je vais mourir de lucidité. Je me demande, Comment faire pour que les autres voient ? Pour qu’ils ouvrent les yeux, se décentrent et voient ? Comment faire pour vivre au milieu de gens qui, pour 99%, ne voient rien – rien de gênant ? Je trouve formidable le travail de L214 (dont je suis adhérente) mais qui voit ? Celles et ceux qui savent déjà, la plupart du temps, celles et ceux qui ont déjà de l’empathie. Comment susciter de l’empathie dans cette civilisation abrutie ? Si je n’écris plus grand chose sur ce blog, c’est par manque de temps mais aussi par une forme de déréliction.

nuisibles

Je n’attendais rien de ce bouquin dont le titre comporte l’expression « bête sauvage » – le mot bête pour désigner un animal non-humain est parfaitement puéril, vulgaire et rétrograde (je suis polie) mais il est tellement répandu que même des défenseurs des animaux l’emploient parfois (misère). Bref, je me suis tapé ce livre parce que je pensais y apprendre quelques trucs intéressants pour un projet au long cours sur la sauvagerie mais la lecture a été très pénible : je ne suis plus habituée à lire des livres écrits d’un point de vue anthropocentré, je lis autant que possible des auteur.ice.s cortiqué.e.s. Je me disais pour m’encourager que c’était bien aussi, parfois, de se rappeler dans quel contexte intellectuel on vit. Mais dans le dernier chapitre, quand je suis tombée sur ce paragraphe, j’ai cru avoir mal lu :

J’ai relu et j’ai compris : Mais bien sûr, l’autrice parle de victimes exclusivement humaines… Parce qu’en vérité, homo sapiens bat tous les records meurtriers de très, très loin. Chaque année, il décime des milliards d’animaux pour ses barbecues, ses burgers, ses concours du plus gros mangeur de saucisses. Chaque année, le glorieux sapiens massacre l’équivalent de la population humaine mondiale après séquestration dans des camps de concentration mais ça ne choque personne parce qu’il s’agit d’animaux non-humains. On se sent atrocement impuissant.e quand on voit l’énormité de la barbarie sous l’apparente banalité que représente la vente et la consommation de cadavres. Et on se sent coupable et honteux.se de cette impuissance.

sensible

Sur mon fil Instagram aujourd’hui, une vidéo censurée. Mais qu’est-ce que c’est ? De la pornographie ? Une apologie de la violence ? Ah non, c’est un documentaire de L214 (dont je suis membre) sur le foie gras. Il est vrai que les gens n’aiment pas (sa)voir d’où provient ce qu’ils mangent, ils sont trop sensibles, la réalité viendrait contrarier leur esprit feel-good.

rappel (2)

Les sapins sont des êtres vivants. Selon la dernière enquête sérieuse en date (2019), environ six millions de jeunes sapins sont abattus chaque année dans notre pays pour porter des guirlandes électriques pendant que des enfants déballent leurs cadeaux en plastique. So sapiens. Sur le site du gouvernement français (Vive la République, etc.), on découvre que la vente de ces jeunes cadavres est encouragée en haut lieu ; mieux, pour faire face à la concurrence des sapins artificiels, un label rouge a été créé. Qu’est-ce que c’est ?

« Une esthétique (couleur, symétrie) et une bonne densité des branches, une forme conique et une flèche pas trop longue : voici les caractéristiques principales du sapin Label rouge. Par ailleurs, ce signe de qualité assure une fraîcheur : le conifère n’est pas coupé avant fin novembre, gage d’une bonne tenue des épines au moment des fêtes. »

Un massacre label rouge, c’est donc un massacre soucieux d’esthétique et d’épines qui se tiennent bien. Autrement dit, la fin de la civilisation.

Pour illustrer ce billet, une capture d’écran : ce matin, j’ai tapé « sapin coupé » sur un moteur de recherche parce que je voulais voir où en était cette aberration de « pour tout sapin coupé, un autre sera replanté » (= « pour tout enfant assassiné, un nouveau sera conçu ») et sous la barre de recherche s’est déroulée la liste des questions les plus fréquemment posées. L’abrutissement général est de mauvais augure pour cette pauvre planète.

Petit rappel (1)

en ce premier jour de décembre :

Chaque année, plus de quarante millions de canetons sont destinés à la production de foie gras en France (vive la République, etc.). Leur physionomie ne se prêtant pas au gavage, un tel sort est épargné aux femelles : elles sont broyées dès la naissance. Chaque année, environ quatorze à quinze millions d’entre elles sont ainsi massacrées tandis que vingt-sept millions de canetons mâles sont expédiés vers un élevage, leur bec mutilé pour les commodités du procédé. Quelques centaines de milliers d’oies sont également concernées.

L’étape du gavage n’arrivera qu’après une séquestration de quatre-vingt jours dans les cages des batterie collectives, si étroites que l’on ne peut même pas y étendre les ailes ; les sols en grillage, métal ou plastique, conçus pour laisser passer les déjections, causent des dermatites aux pattes.

Puis vient la torture, qui dure à peu près deux semaines pour les canards, autour de dix-huit jours pour les oies. Pendant cette période, les oiseaux se voient administrer de grandes quantités de nourriture à l’aide d’un tuyau métallique enfoncé dans l’œsophage. Cette opération prend un peu moins d’une minute avec la méthode artisanale, deux à trois secondes seulement avec la méthode industrielle grâce à une pompe hydraulique ou pneumatique qui peut injecter un kilo de maïs en une seule fois.

Après chaque gavage, les oiseaux sont pris de diarrhées et d’hyperventilation. Très vite, leur foie peut atteindre jusqu’à dix fois son volume normal et développe une stéatose hépatique. Divers autres problèmes, notamment pulmonaires, découlent également de cette pratique.

Après un supplice d’une dizaine de jours, les oiseaux sont entassés dans des caisses et menés à l’abattoir, où ils sont étourdis par décharge électrique puis saignés – il arrive fréquemment qu’ils se réveillent pendant leur mise à mort. Ils sont ensuite plumés, éventrés, vidés, puis leur foie est prélevé et conditionné pour être commercialisé. Les boîtes de leur foie qui n’ont pas alimenté les orgies d’homo sapiens sont en super promo dès les premiers jours de janvier.

Reprenons au début

Mes proches me sachant déconnectée, elles me tiennent régulièrement au courant des mots que l’on n’a plus le droit de prononcer (les derniers en date, grand et petit parce qu’ils sont jugeantsjugeant est devenu un adjectif, d’ailleurs très répandu, et s’accorde donc en genre et en nombre). On m’explique aussi que l’homosexualité aujourd’hui est un concept caduc, qu’il ne s’agit plus de ça, que le terme bisexuel est banni et l’acronyme LGBTQIA+, que j’étais si fière de savoir prononcer d’une traite sans trébucher, a laissé place à un LGBTQQIP2SAA dans lequel j’objecte qu’il reste le B de bisexuel (Tiens, c’est vrai, me dit-on) et, au terme d’une longue discussion sur toutes les nuances représentées dans ce concentré imprononçable par ma vieille bouche has-been, j’ai demandé, Mais en fait, pourquoi ne pas résumer tout ça par le terme non-hétérosexuel ? (C’est vrai, tiens, m’a-t-on dit.) Ce matin, j’étais en train de rédiger en courant (i.e. dans ma tête) un courrier prônant cette réforme bien commode à l’attention de la fédération française des associations LGBTQ++++++++, de l’académie française et de l’Association française des majorettes, quand je suis tombée sur cette inscription avionnaise prouvant qu’ici, l’acronyme LGBT est toujours d’actualité :

Alors, par quoi on commence ?

politiquement sauvage

Le politiquement correct s’applique aussi aux animaux, comme je viens de l’apprendre en lisant le livre Sangliers, Géographies d’un animal politique, enfin paru – je l’attendais depuis des semaines. Il n’est pas facile à lire pour moi, il parle (forcément) de chasse à chaque page. Je fuis ça autant que les scènes de violence au cinéma.

Les auteurs font allusion à une loi chargée de « requalifier sémantiquement [les animaux sauvages] en 2016 » ; je suis allée la chercher, la voici. (C’est moi qui souligne.)

« LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

Article 157
I.-Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° A l’intitulé du chapitre VII et à l’intitulé de la sous-section 4 de la section 1 du chapitre VIII du titre II du livre IV, le mot : « nuisibles » est remplacé par les mots : « d’espèces non domestiques » ;
2° Au 4° de l’article L. 331-10, à la fin de la première phrase de l’article L. 423-16, à l’article L. 424-15, au premier alinéa de l’article L. 428-14 et à la fin du 1° de l’article L. 428-15, le mot : « nuisibles » est remplacé par les mots : « d’espèces non domestiques » ;
3° A la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 422-2, au deuxième alinéa de l’article L. 422-15, à la fin de la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 424-10 et aux articles L. 427-8-1 et L. 427-10, le mot : « nuisibles » est remplacé par les mots : « susceptibles d’occasionner des dégâts »* ;
4° L’article L. 427-6 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est remplacé par neuf alinéas ainsi rédigés :
« Sans préjudice du 9° de l’article L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales, chaque fois qu’il est nécessaire, sur l’ordre du représentant de l’État dans le département, après avis du directeur départemental de l’agriculture et de la forêt et du président de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs, des opérations de destruction de spécimens d’espèces non domestiques sont effectuées pour l’un au moins des motifs suivants :
« 1° Dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages** et de la conservation des habitats naturels ;
« 2° Pour prévenir les dommages importants, notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriétés ;
« 3° Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ;
« 4° Pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ;
« 5° Pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement.
« Ces opérations de destruction peuvent consister en des chasses, des battues générales ou particulières et des opérations de piégeage.
« Elles peuvent porter sur des animaux d’espèces soumises à plan de chasse en application de l’article L. 425-6. Elles peuvent également être organisées sur les terrains mentionnés au 5° de l’article L. 422-10.
« Ces opérations de destruction ne peuvent porter sur des animaux d’espèces mentionnées à l’article L. 411-1. » ;
b) A la première phrase du second alinéa, la référence : « premier alinéa » est remplacée par la référence : « présent article » ;
5° A l’article L. 427-8, les mots : « malfaisants ou nuisibles » sont remplacés par les mots : « susceptibles d’occasionner des dégâts » ;
6° A l’article L. 427-11, les mots : « malfaisants ou nuisibles » sont remplacés par les mots : « d’espèces non domestiques ».
II.-Le 9° de l’article L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« 9° De prendre, à défaut des propriétaires ou des détenteurs du droit de chasse, à ce dûment invités, toutes les mesures nécessaires à la destruction des animaux d’espèces non domestiques*** pour l’un au moins des motifs mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 427-6 du code de l’environnement et de requérir, dans les conditions fixées à l’article L. 427-5 du même code, les habitants avec armes et chiens propres à la chasse de ces animaux, à l’effet de détruire ces derniers, de surveiller et d’assurer l’exécution de ces mesures, qui peuvent inclure le piégeage de ces animaux, et d’en dresser procès-verbal ; ».
III.-A la fin du 1° de l’article 706-3 du code de procédure pénale et au premier alinéa, à la fin du 1° et à la fin du b de l’article L. 421-8 du code des assurances, le mot : « nuisibles » est remplacé par les mots : « susceptibles d’occasionner des dégâts ». »

On en rirait si, au-delà de l’aspect sémantique d’une hypocrisie grotesque, elle n’appelait à des actes barbares tels que chasse, battues et piégeage.

Notes :

* autrement dit, non domestiques = susceptibles de causer des dégâts
** autrement dit, non domestiques sauvages ; question : qu’est-ce que sauvage ?
*** autrement dit, aucune forme de cruauté n’est écartée dans le cadre de cette « destruction » menée « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages »

(Je reprends ici les images déjà utilisées en février dans mon billet Des dominés.)