Quelques chevreuils

Au début de l’été, je me suis donné pour objectif de voir des chevreuils tous les jours. Ce n’est pas ce qui s’est passé à proprement parler mais si je fais une moyenne, je dois en avoir vu 1,7 par jour. J’ai pu photographier les deux tiers d’entre eux ; ceux que j’ai vus de très près sont partis trop vite pour que j’en aie le temps, évaporés en quelques bonds gracieux. Voici 19 des 157 photos que j’ai prises à ce jour.

Ci-dessous, à Lillers, une scène de rut à laquelle j’ai assisté inopinément – c’est assez impressionnant. La chevrette n’a pas l’air de beaucoup s’amuser, pour tout dire.

Aperçus de l’habitat anthropisé des animaux sauvages au 21ème siècle

Goodbye summer

Ici, on sent déjà les prémices de l’automne sans avoir vraiment goûté l’été : le vent nous privait de ce suspens si particulier, fait d’immobilité et d’une acoustique élastique, à la fois ample et précise, que j’aime tant d’habitude en cette saison. J’ai peur que cette sensation ne revienne jamais, qu’elle ait été emportée par le vent du changement climatique.

Cet été, j’ai vu des humain-es tourner en rond dans leur propre cerveau sans s’apercevoir que leur cage était ouverte – et si vous leur désignez l’issue, iels reculent, terrifié-es. J’ai vu des animaux non-humains dans des enclos bien fermés, aussi étroits que leur solitude était immense, et dont le regard avait la profondeur insondable de la mort. J’ai vu des animaux non-humains écrasés, des hérissons par centaines, quelques lapins et lièvres, trois grenouilles, deux chats. J’ai vu des centaines d’animaux non-humains libres que les chasseurs pourront bientôt harceler, transformant la paix relative de la belle saison dans leur habitat morcelé en un long enfer. Déjà, dans les réserves naturelles, les sites ornithologiques, la « chasse de loisir » a commencé. J’invente des prières profanes pour chaque être innocent que menacent mes congénères les plus répugnants ; ça ne soulage que moi.

Je contemple le crépuscule de la civilisation. Je regarde les faux enjeux que les humain-es tournent entre leurs mains comme des articles de bazar. Je regarde des humain-es taguer leur blaze sur un immeuble dont la démolition a déjà commencé. Je trouve dans l’idée de la fin imminente un vif sentiment de liberté.

Je posterai bientôt ici une sélection de mes innombrables photos de chevreuils et chevrettes prises ces trois derniers mois. En attendant, voici une vision émouvante de complicité interspécifique – j’ai photographié ce héron garde-boeufs et son camarade ce matin, dans la petite ville d’Annequin, un peu après l’aube.

des joies modestes

Parfois je fais pipi au bord d’un sentier perdu à l’écart de la civilisation et je me rends compte que j’ai de la compagnie. Ce n’est pas embarrassant, c’est la nature. J’aime bien cette photo, ses couleurs un peu années 70s (je ne l’ai pas fait exprès).

Et j’aime bien mes étés à mi-temps. J’aime mes matinées à vélo à la campagne, au bord d’un canal ou d’un autre, dans la forêt ; j’aime la brûlure dans les muscles et le son des pneus qui avalent les kilomètres par dizaines à mesure que le soleil se fait plus piquant. J’aime voir des oiseaux d’eau par centaines, de furtifs martins-pêcheurs, des chevreuils, des lapins, des lièvres, des faisans mécontents ; j’aime la musique et parfois aussi, à la campagne, le silence (ou ce qui s’en approche quand on a des acouphènes), j’entends par là l’absence d’un perpétuel ronronnement de moteurs, de travaux, de clameurs, où l’on entend distinctement les ailes des oiseaux, les bruissements dans les fourrés, le bourdonnement des diptères ; j’aime cuisiner, fenêtres ouvertes, en dansant sur mes musiques d’été ; j’aime lire quelques pages après le déjeuner dans la pénombre fraîche du midi, volets baissés aux trois quarts ; j’aime les projets tous passionnants qui m’occupent les après-midi, particulièrement la préparation de Los Angeles, j’aime que les idées explosent dans ma tête comme du pop-corn ; j’aime les amitiés proches et lointaines, les complicités qui naissent à travers des continents avec des musiciennes qui partagent ma lutte pour la reconnaissance des artistes finta.

C’est ce que j’ai envie de partager aujourd’hui, laissant de côté le temps d’un paragraphe la noirceur du monde que notre espèce a construit – celle que tout le monde voit, et celle que peu ont envie de voir, en cette période de barbecues, de petits êtres écrasés au bord des routes et de loi Duplomb.

Podiceps cristatus

Je guettais depuis un mois ce qui est à mes yeux l’un des événements du printemps : le moment où les bébé grèbes huppés sortent de leur coquille (bien après les bébés poules d’eau, les mini foulques avec leur jabot rouge, les oisons, les canetons et les gros pompons gris que sont les cygnons). J’attends toujours ce moment parce que ces petits être rayés (bec inclus) que leurs mères promènent sur leur dos sont assez atypiques. Aujourd’hui, j’ai vu les premiers de l’année sur le canal d’Aire, j’en ai bondi de joie – ce qui est un peu dangereux sur un vélo.

I <3 foulques macroules

J’ai commencé plusieurs séries de photos, dont une consacrée aux oiseaux d’eau (comme chaque année). Aujourd’hui, j’ai envie de partager quelques images de foulques prises ces derniers jours, respectivement, de haut en bas, sur le canal de la Deûle (juste avant la sortie d’Haubourdin, quand Lille approche et que mon ventre se noue, cette foulque m’a offert hier un petit numéro de surf dont je la remercie encore), sur le canal de la Souchez (avec un bébé beau à tomber), sur le canal d’Aire, sur le canal de Seclin et de nouveau sur le canal de la Souchez – vous aurez deviné que l’un de mes sous-thèmes du printemps est le nid flottant de foulque. Ces oiseaux sont assez fascinants, ce sont des bâtisseurs solitaires (contrairement aux grèbes, qui, comme je l’ai observé, construisent leur nid en couple), des querelleurs et presque d’aussi bons surfeurs que les gallinules. Ils sont infatigables.

Tombeau de la beauté

Ce matin, j’ai croisé une famille de cervidés : un chevreuil, une chevrette et leurs trois ados. Demain commencera leur calvaire pour les six prochains mois (je fais semblant de croire qu’ils vont s’en sortir, qu’ils vont échapper aux raclures de bidet en gilet orange). Voici la mère et les petits :

Et maintenant, je vous présente quelques-uns des nombreux animaux que j’ai rencontrés cet été, au cours de mes plus de 3 000 km de vélo et, pour les derniers, au cours d’une randonnée dans le Haut Jura. Vous allez voir des lapins, un lièvre, une faisane, des vaches, un grèbe huppé, une foulque macroule et l’un de ses petits, une paonne, onze cormorans, un héron, un gang d’oies cendrées, un agneau, un chamois et son ado. Ils sont la beauté. Le tombeau, c’est la saison de chasse qui s’ouvre demain dans le Pas-de-Calais (elle a déjà commencé dans d’autres départements).

des sangliers

Avant ce matin, mon souvenir le plus traumatisant était celui du jour où la marée haute m’a surprise au pied d’une falaise, à Wimereux, et m’a projetée contre les rochers ; je suis rentrée en sang mais surtout sous le choc. Aujourd’hui, je courais dans la forêt de Bord Louvier, j’avais eu la bonne idée d’attendre 8h pour partir parce que j’ai peur de l’obscurité des bois et forêts depuis que, l’été dernier, des chevreuils mâles très en colère m’ont chassée du bois de Givenchy en bondissant et aboyant autour de moi, juste avant l’aube.

J’ai couru une heure et je reconnaissais que c’était une belle forêt, très vallonnée, mais j’étais déçue de ne pas avoir vu de chevreuil. Je me suis formulé très clairement que ça manquait d’animaux par ici. J’étais encore peu renseignée, je prenais les souilles pour des grosses flaques.

J’ai cherché sur mon GPS le moyen de regagner la sortie.

J’ai voulu voir ce qu’il y avait au bout du petit sentier qui part à gauche sur la photo ci-dessous, dont la seule vue me donne désormais des frissons et une vague nausée. Je pensais que c’était un moyen de couper pour rejoindre une route goudronnée qui me ramènerait à Léry, du moins le chemin partait dans la bonne direction.

J’étais plus haut, à un endroit dont je n’ai pas et n’aurai jamais de photo, quand un tumulte de végétation piétinée a résonné dans le silence quelque peu inquiétant qui m’avait beaucoup frappée pendant cette heure de solitude absolue. Je dois sans doute d’être en vie à la présence incompréhensible d’un grillage le long de ce chemin : un sanglier noir, énorme (un sanglier) me chargeait. Je pleure et j’ai les mains moites en l’écrivant, alors même que je suis bien en vie dans ma chambre douillette de la Factorie, tant l’effroi est encore vif. Nous étions deux, le sanglier et moi, face à face dans une forêt où je mettais les pieds pour la première fois et dans laquelle il était chez lui, séparés par un mince grillage providentiel contre lequel il s’acharnait en faisant un vacarme inouï. Je ne pouvais pas lui dire qu’il n’avait rien à craindre de moi, que j’étais son amie et qu’il était très beau quand il était en colère ; soudain, ma manie de parler aux autres animaux m’est apparue dans toute sa vanité.

J’ai fait demi-tour et cessé de courir ; je marchais lentement, tête basse, me fiant aux seuls sons pour savoir si je devais me remettre à courir et cherchant des yeux un arbre auquel je me sentirais capable de grimper. J’ai tourné à droite, je savais que l’orée n’était qu’à quelques centaines de mètres, droit devant, mais le vacarme me suivait. Le sanglier a traversé le chemin devant moi ; j’ai continué d’avancer vers la sortie mais il ne s’enfonçait pas dans la forêt, il fourrageait furieusement dans un fourré à ma gauche. J’ai fait demi-tour et attendu d’être assez éloignée pour me remettre à courir, avec désormais la terreur de croiser d’autres sangliers tout aussi hostiles. Soudain je ne percevais plus la forêt comme un lieu de respiration, j’étais traquée. Comme le sanglier en cette saison de chasse, ni plus ni moins.

J’ai couru pendant une heure, je me suis perdue, mon GPS n’était pas sûr de lui. J’ai fini par m’apercevoir que je n’avais pas le choix : je devais reprendre le chemin où j’avais croisé Monsieur Furieux. Mes notions des territoires animaux sont très rudimentaires mais j’étais sûre qu’il n’était pas loin. Il y avait un vallon à ma droite et, alertée par le bruit, j’ai vu toute une harde (un sanglier, une laie et rien moins que cinq marcassins) en dévaler la pente. Mes jambes me portaient à peine. J’ai appelé mon père ; l’entendre me rassurait, même s’il était visiblement aussi effrayé que moi, et je lui ai parlé d’une voix forte pour bien faire savoir aux suidés qu’un humain était dans le coin. C’était la surprise qui avait fait paniquer ce bel animal de 150 kg : j’essaie toujours de faire le moins de bruit possible dans la nature pour ne pas en déranger la quiétude (teubée, diraient les jeunes). Puis je suis revenue à la civilisation, à laquelle je préférais jusqu’alors la sauvagerie. Je ne sais pas si j’oserai encore faire ce que j’aimais tant jusqu’alors, me promener seule à l’aube dans l’habitat des autres espèces. Je ne pense pas. J’ai pris la photo ci-dessous avant de regagner la Factorie, on y devine une infime fraction de la forêt, j’en tressaille encore.

De retour, j’ai fait quelques recherches et il s’avère que j’ai eu les bons réflexes. Pour ne citer qu’un article :

« Lorsque l’on se balade en forêt, il peut arriver de croiser un sanglier au détour d’un fourré. C’est rare, car le sanglier se déplace peu en journée, mais ça arrive. Dans ce cas, mieux vaut savoir comment réagir, notamment si c’est une mère avec ses petits. En effet, le sanglier fait partie des espèces qui n’attaquent que pour défendre leur progéniture. Et quand on sait que cet animal peut peser jusqu’à 200 kilos, il est préférable d’éviter de le mettre en colère…

Sommaire

  • restez calme
  • gardez vos distances
  • ne courez pas
  • grimpez à un arbre
  • zigzaguez

Faites comme si de rien n’était. Continuez à marcher tranquillement sans le regarder mais en prenant tout de même la direction opposée. Dans le cas contraire, vous lui feriez peur et il risquerait alors d’attaquer pour se défendre. »

Aviaire (3)

Aujourd’hui, sur l’insistance de Carrie, je consacre une série de photos à mes amies les oies, qui vivent des heures très sombres sous la menace de H5N8. Je l’ai prévenue qu’il n’y aurait pas qu’elle dans cette série mais à ma surprise, elle ne s’en est pas offusquée : il faut de l’ombre pour qu’on apprécie la lumière, m’a-t-elle dit. Voici donc, dans un premier temps, des oies de Faches-Thumesnil, Ploegsteert et Rotterdam.

– C’est bon, maintenant, dit Carrie : fiat lux ! Le truc vraiment crétin, c’est que tu aies mis en ligne hier ta meilleure photo de moi. Celle où je danse.
– Je pensais que ça te ferait plaisir.
– Essaie de ne pas trop penser, à l’avenir : pose-moi les questions. Montre-moi sous mon meilleur jour, tiens, avec Ricah.
– Ok.
J’essaie de ne pas trop la contrarier. La voici donc avec son indéfectible amie Ricah, nageant innocemment sur son étang.

Ce genre de scène ne dure jamais très longtemps. Si Carrie est extrêmement patiente avec les pêcheurs, promeneurs, chiens et enfants, elle ne supporte pas que je m’attarde trop à la contempler : très vite, elle fonce sur moi, qu’elle soit sur l’eau ou dans l’herbe, en poussant des cris perçants.

Ça réjouissait beaucoup mon amour jusqu’au jour où, comme on le devine ci-dessous, Carrie a commencé à lui infliger le même traitement qu’à moi. On a vu alors mon amour battre son record de vitesse à vélo – elle devait son précédent record à un petit chien qui l’avait poursuivie en pleine campagne, près d’Estevelle, il faisait chaud ce jour-là et je roulais indolemment quand elle m’a dépassée à une vitesse que je ne lui avais jamais connue, et ce petit chien pas plus grand que mon pied bondissait derrière elle.

Carrie vient de me reprendre : « On n’est pas là pour parler de cette insolente », me dit-elle (elle trouve que mon amour ne lui témoigne pas assez de déférence). « Je veux une photo en noir et blanc, moi aussi, un truc qui me magnifie ». Voici :

Carrie est charismatique, une véritable meneuse ; elle ne comprend pas que je ne l’aie pas encore précisé ici, et à vrai dire moi non plus. Nous l’avons constaté : quand Carrie traverse le parc, c’est bien souvent flanquée de Ricah mais aussi de tout ce que l’étang compte de canards, poules d’eau et foulques. C’est une parade joyeusement cacophonique et s’il se trouve des humains dans les parages, ils s’arrêtent pour les regarder passer en riant avec admiration. Je ne dispose pas de photos qui en atteste mais je me rattraperai prochainement. « Tu n’as qu’à mettre une mini série de moi », me dit-elle à présent.

« Et profite de ta réclusion pour fabriquer un char à mon effigie comme celui d’Hergnies ». Eh bien, il ne me reste qu’à me mettre au travail…

Aviaire (2)

Les cygnes sont sujets à la grippe H5N8 (même si Homo Sapiens n’en parle pas parce qu’il ne les mange pas et ne les élève pas en batterie), aussi je poursuis mon hommage par une série qui leur est consacrée. Je n’ai pas hâte de me lancer dans ma série sur les oies parce que Carrie est de tempérament jaloux (et quelque peu narcissique), or je compte (contre son avis) ne pas choisir que des photos d’elle et de sa petite racaille chérie de Ricah. J’y viendrai pourtant très bientôt. Pour l’instant, donc, voici des cygnes

célibataires

en couple

en famille (les photos, prises alors que je courais, donc avec mon téléphone et des doigts moites guère assurés, sont de très mauvaise qualité)

gonflable (celui-ci vit à Londres)

et hippies, dans la célèbre communauté de l’étang du Brochet à Noyelles-sous-Lens.

Aviaire (1)

Alors que la grippe aviaire frappe de nouveau mes amis à plumes, « La filière du foie gras ne cache pas son inquiétude », pour citer Le Monde – qu’elle coule et ne se relève jamais, qu’elle s’auto-gave à en exploser. Je ne m’inquiète pas pour cette lucrative barbarie made in France mais pour les innocents exposés au virus dans leurs canaux, leurs rivières, leurs étangs. Moi qui assistais avec une joie chaque fois renouvelée au passage si musical d’oies sauvages dans le ciel d’ici, je ne pourrai plus les regarder sans mélancolie. J’ai décidé de rendre hommage à mes amis en danger par de modestes séries. Pour commencer, quelques-unes de mes meilleures photos de cannes, canetons et canards so far.

en familleen voldont mini série 1dans l’eaudont mini série 2 et un canard de Rotterdam