Fatima

entre deux gares dans ma tête
en tourbillon des brouillons de lettres
que j’hésite à t’écrire et sous mes roulettes
les trottoirs étroits et sales de ta ville


est-ce que je serre les mâchoires ?
les larmes tiennent bon dedans
je renverse la tête comme les enfants
quand ils saignent du nez – ça marche


j’avance de mon pas vif et ça commence par
Mon amour, un brouillon après l’autre
je dépasse une femme je serre peut-être
les mâchoires je ne sais pas je ne pleure pas


et la femme que je dépasse me demande
ce qui ne va pas je redresse ma valise
le temps se suspend sur le trottoir là juste
devant le square Montholon immobile


je fais face à l’inconnue je lui parle de toi
elle avance des hypothèses me prodigue
des formules pour continuer sans
toi s’il le faut et cesser de souffrir


les minutes passent et je souris grâce
à Fatima B., 58 ans, avocate et formatrice
d’avocats qui ne me trouve pas si foutue
que ça – ma bonne fée du jour – merci

(Plus loin, de nouveau entre deux gares.)

Regnéville, day 4

Il a plu toute la journée. J’ai travaillé les trente premières pages de mon manuscrit et je me rends compte que si je décris la nature de ce travail, ça ressemble terriblement à que j’ai appris sur la création électroacoustique chez Aude Rabillon la semaine dernière (et qui m’a déjà servi dans le texte) : j’ai parfois modifié la hauteur de mon brouillon, presque sa tonalité par endroits, sa vitesse dans certains passages, je l’ai étiré par endroits, j’ai inversé quelques structures de phrases, coupé allègrement, fondu des fragments et en ai dupliqué d’autres. Ensuite, j’ai retrouvé Emmanuelle Polle et nos interlocuteurs des Fours à Chaux et du département de la Manche et nous avons fait nos repérages pour la soirée du 5 mai : lectures de nos textes chuchotées par des volontaires à l’oreille de qui veut, sur des transats disposés face au havre :

lecture et musique avec Emmanuelle, Aude et moi, soit ici

soit, s’il pleut, dans la salle des fêtes de l’autre côté de la rue – hélas, le décor très lynchien (à la tour Eiffel près) aura été démonté.

Et c’est là qu’on dansera ensuite, sur ma playlist. Il y aura aussi des surprises et des guest stars. Après ces repérages, il y avait le jeudi des thés aux Fours à Chaux, où ma super coloc Marianne Dupain et moi avons présenté notre travail, et où j’ai fait une lecture de ma Suite du sanglier pour chevrotements et chaussettes roses. Puis on a bu quelques verres, Marianne et moi, selon notre nouvelle habitude. On ne danse peut-être pas mais, comme elle dirait, c’est cool, et je suis ravie de partager cette résidence avec elle. On se retrouve le 7 mars pour la suite de nos aventures dans la Manche. Ce matin tôt, je prépare ma valise en écoutant une chouette hululer, je n’ai pas vu passer cette semaine et c’est reparti pour des heures et des heures de train…

Regnéville, day 3

Aujourd’hui, j’ai rencontré des vaches de deux sortes : ce matin, en courant, la famille Badass que voici (vraiment pas commode)

et ce soir, à vélo, des vaches fascinées par le feu. Je connais la famille qui a fait ce feu ; hier, Monsieur a dû déplacer son tracteur pour que je puisse passer à vélo sur un étroit chemin communal miné d’ornières boueuses, en contrebas de la pâture que l’on voit ici. J’ai salué Madame et les enfants au passage cependant que Monsieur garait le tracteur devant sa ferme et nous avons échangé un signe de la main. Je me suis sentie autochtone, un instant. Et donc, tout à l’heure, ces vaches regardaient flamber les branches ; ça les a un peu perturbées que je m’arrête pour les photographier mais à mon arrivée elles étaient vraiment toutes rivées vers les flammes, c’était très beau.

Mais revenons au matin. Je suis allée courir au bord de la mer à Montmartin et à Hauteville, donc au sud des Fours à Chaux. La plage était plus sauvage et encore plus déserte que celle d’Agon-Coutainville, où je suis allée hier,

et que l’on aperçoit au loin ci-dessous, au nord. En mai, je me baigne. Emmanuelle Polle s’est baignée avant-hier, la température de l’eau était de 8° ; je ne prétends pas que j’y arriverai en mars mais en mai, je m’y engage. Je ne suis pas une petite nature.

Je ne côtoie pas que des vaches ici mais aussi des chevaux, comme on le sait, ainsi que des moutons, beaucoup de moutons assez craintifs.

J’aime la solitude de cette grange et l’estuaire en arrière-plan ; c’est une image typique, j’en ai bien l’impression, mais chaque fois je m’arrête et je prends une photo.

Au retour de ma course à pied, j’ai décidé de céder à la tentation touristique une nouvelle fois : après le sémaphore d’hier, voici une vue du château de Regnéville-sur-Mer. Les oiseaux y vivent nombreux.

Demain, je n’exclus pas (quelle folie) de vous montrer les Fours à Chaux ; aujourd’hui, dans le registre vieille pierre mangée par la mousse et la végétation, voici trois images prises sur le site desdits fours et de leurs annexes, dont le bâtiment ci-dessous. J’ai réussi l’exploit d’un cadrage qui laisse la surabondante signalétique du lieu dans les marges.

Détail d’un des fours.

Regnéville, day 2

Je n’ai pas vu passer cette journée, bien que je n’aie eu d’interaction avec personne (Fours à Chaux ≠ Factorie). J’ai couru sans croiser de sanglier, fini les corrections de mon roman de fantômes (c’est le travail le plus délicat que j’aie eu à faire depuis longtemps, dans la mesure où il va être décisif), et pour me récompenser je me suis octroyé une virée jusqu’à la très belle petite ville d’Agon-Coutainville, de l’autre côté de l’estuaire – ce qui représentait une trentaine de kilomètres ressentis 43 en raison des importants dénivelés + de la circulation autorisée à 70 km/h sur la seule route accessible à vélo + de deux nuits très courtes pour ne pas dire blanches. Je suis rentrée juste à temps pour ne pas provoquer les suidés dans leur magnifique habitat de bocages vallonnés. Voici quelques images de cette journée trépidante.

D’abord, laissez-moi vous présenter mon nouvel ami, que j’ai rencontré vers la fin de ma course à pied – il a un regard mélancolique, un nez tout doux et c’est un taciturne. J’aime bien partager des silences, bien sûr, mais ce matin j’avais eu très peur et ça me rend bavarde, alors je lui ai tout raconté au sujet de mon sanglier. Comme on le voit, ça n’a pas eu l’air de beaucoup l’impressionner.

En fin d’après-midi, me voici donc en route pour Agon-Coutainville et à Heugueville-sur-Sienne je passe devant le pont de la Roque, qui ne sert plus tellement mais qui a beaucoup de charme dans le genre vieille pierre mangée par la mousse et la végétation : décadence encore.

Et ça, c’est un sémaphore – hop, un peu d’histoire, une fois n’est pas coutume (mais je ne vais pas développer, n’abusons pas quand même).

J’avais décidé de voir la mer. J’ai vu la mer et elle était très belle. J’étais trop fatiguée pour être mélancolique + j’avais faim, soif + il y avait zéro spot de pipi nature, tout ça tombait bien.

Je suis rentrée dans le jour déclinant.

Puis ç’a été la franche nuit ; j’ai croisé un lièvre, pour preuve que c’était l’heure de la fiesta pour les autres espèces qui ne veulent pas de moi parmi elles, alors j’ai un peu parlé toute seule par moments pour m’annoncer, plutôt que d’actionner la sonnette. J’ai commenté ce que j’étais en train de faire, je n’étais pas de taille à improviser des poèmes. Demain, je me (re)lance enfin dans Nue, le manuscrit qui me vaut d’être ici ; je ne l’ai pas touché depuis si longtemps que je suis toute intimidée, comme si j’avais rancard.

Regnéville day 1

Dès mon arrivée, j’ai eu cette excellente surprise : j’ai un vélo j’ai un vélo j’ai un vélo !

Je vais tâcher de ne pas en abuser, j’ai beaucoup de travail, mais cet après-midi, après des heures de train, j’étais si heureuse de pouvoir déambuler dans le bon air frais au gré des dénivelés que je me suis octroyé deux heures de visite.

Je suis allée voir la plage bien sûr,

mais mon truc, ça reste plutôt les paysages de campagne. La nuit commençait à tomber quand j’ai emprunté ce petit chemin qui sent le sanglier mais je n’ai pas eu trop peur – mon traumatisme évolue : je suis désormais consciente que si ma laie avait voulu me dégommer, elle l’aurait fait ; quand elle a traversé le chemin devant moi, elle aurait aussi bien pu me charger une troisième fois. Je ne dis pas que je suis de nouveau prête à courir dans la forêt à l’aube mais j’ai déjà moins peur quand je croise un parc à crottes en centre ville. J’avance.

J’aime tellement ce genre de paysages que je pourrais en sangloter (// EV5).

Il y a beaucoup de vieille pierre, ici, notamment beaucoup de fragments de murs restés debout quand le reste de l’édifice a disparu, apparemment depuis longtemps. C’est assez mélancolique, décadent, presque gothique – ça tombe bien, je dois finir les corrections de mon roman de fantômes.

Et ça, c’est la vue depuis la fenêtre de ma chambre – on entend les vaches meugler dans le lointain, j’adore.

/ 3 : des femmes qui tiennent la route

Je suis pour trois jours chez Aude Rabillon, que j’observe dans son quotidien de créatrice sonore et avec qui j’ai des discussions très riches (ce qui ne nous empêche pas, comme à la Factorie avec les poètes, de faire une boum le soir avec son fils de 7 ans). Hier, elle profitait de ce que le Musée des Arts était fermé pour choisir la salle où, le 3 mars, elle jouera en duo avec la violoncelliste Soizic Lebrat (qui figure également dans mon répertoire de créatrices sonores). Je les ai donc suivies dans le musée désert et, tandis qu’elles testaient l’acoustique des salles, j’en profitais pour entendre de très belles choses. Je me sentais très privilégiée…

Cette salle, parce qu’elle est dévolue à l’art contemporain, nous semblait plus appropriée que les salles plus classiques mais, la soufflerie n’émettant pas sur la même fréquence que leur duo, elle l’aurait ruiné.

Nous avons plaisanté sur le fait qu’il faudrait inverser les collections, la salle finalement retenue étant très classique mais aussi et surtout très masculine, et Claire a dit « Quand même, il y a des femmes qui tiennent la route – regardez, Vénus… » Ce qui a naturellement achevé de nous convaincre.

Un atelier

Cette année, je fais écrire des collégiens de Roubaix ; la première séance a eu lieu hier et il ne s’agissait pas (comme le dit le post Instagram ci-dessous) de faire écrire des « paysages états d’âme » mais il se trouve que les élèves avaient travaillé à partir de cette consigne deux jours plus tôt avec leur professeure, de sorte que j’ai eu la surprise de découvrir plusieurs textes débutant par « Demain, dès l’aube » alors même que je leur avais demandé d’écrire à partir d’extraits musicaux que j’ai diffusés, tous aussi éloignés que possible de Victor Hugo.

Une élève a fait remarquer à l’un de ses camarades qu’il y avait trop de répétitions dans le texte qu’il venait de nous lire. Je lui ai répondu qu’au contraire, la répétition créait une prosodie très intéressante. « Mais quand on fait des répétitions, les profs les soulignent, a protesté la jeune fille. Vous allez me perdre, Madame ». J’ai d’abord beaucoup ri mais ensuite j’ai mesuré la difficulté de faire sentir les subtilités de la répétition poétique à des jeunes gens qui ne lisent pas (et encore moins de la poésie, et encore moins de la poésie contemporaine) alors même que de nombreux essais très sérieux traitent du sujet sans épuiser la question. Les limites d’un atelier d’écriture se manifestent dans ce genre de moment : la poésie écrite par des non-lecteurs ne peut être que ludique, basée sur des trucs et des gimmicks à imiter, mais on est frustré de la voir ainsi réduite à un gadget, un dispositif à générer du texte sans que le fond soit forcément très consistant et sans que l’élève ait exprimé quelque chose qui lui tient vraiment à cœur. Je suis en pleine réflexion sur la manière de procéder à l’avenir, l’année me réservant encore quelques ateliers avec des jeunes gens.

Souvenirs de la Factorie

Merci infiniment à Erwan Gourhant et à Marie Gautier pour ces très belles photos qui restituent parfaitement l’atmosphère de la Factorie. Ci-dessous, deux images d’un atelier d’écriture mené par Catherine et auquel Anna et moi avons participé, mercredi dernier. D’abord, un peu de méditation poétique,

puis un partage de lectures.

Et maintenant, quelques photos du grand soir, jeudi dernier, soirée de clôture d’une résidence inoubliable. D’abord, ma performance solo, quelque peu éprouvante – il y est beaucoup question de sangliers (tout comme dans celle de Maud).

Et surtout, notre final surprise, lecture des textes écrits collectivement le samedi soir précédent. Avec, de gauche à droite autour de moi, Emanuel Campo, Maud Thiria, Jean d’Amérique, Anna Serra et Catherine Barsics. Ils me manquent beaucoup. Amour éternel, les ami(e)s…