Ma discographie complète

Ma chère tatoueuse m’amène aujourd’hui à me replonger dans mon œuvre discographique complète, qui consiste en deux démos. Il y a d’abord eu Toysession ; à la base, c’était Héloïse et moi, puis Olivia, Laetitia et Sophie nous ont rejointes. C’était ce qu’on pourrait appeler de la musique outsider, et pour cause : je faisais les compos alors que je suis une autodidacte très tardive. Les arrangements, en revanche, sont de nous toutes et c’est ce qui me fait tant aimer ces quelques chansons, 15 ans après leur enregistrement dans le studio de mon frère. Sur ces morceaux, je joue de la guitare et chante ; mon anglais (accent inclus) me fait encore plus sourire qu’il ne me fait honte – j’ai la chance de ne pas avoir un ego très développé.

Useless (écrite à ma sortie de coma, en 2006 – c’était ce que nous appelions notre chanson qui plombe la raclette)

Beautiful People (écrit à la même époque, mais dans un registre plus joyeux et coloré)

Florida (une série de cartes postales)

Toy Piano (tourne en dérision les artistes qui ont besoin de souffrir pour créer)

Mon autre groupe était Gloria Hall, qui a aussi débuté comme un duo, avec mon ami Luc, avant que mes trois plus vieilles amies, Aline, Claire et (une autre) Sophie, ne deviennent nos Gloriettes, se trémoussant sur scène et faisant les chœurs. Puis Luc a recruté Julia, notre batteuse. Nous ne faisions que des reprises, de Jimmie Rodgers aux Ramones.

Baby, It’s You (David, Dixon, Bacharach – nous écoutions la version des Shirelles)

Iko Iko (de James « Sugar Boy » Crawford, devenu un traditionnel de La Nouvelle-Orléans ; notre version de référence était celle des Dixie Cups)

My Heart Belongs To Daddy (Cole Porter) ; ici c’est mon amie Sophie qui chante

C’est amusant, quand j’y pense : je n’ai gardé que cinq amis vraiment proches de mes trois décennies lilloises et il se trouve que j’ai fait de la musique avec eux tous. Ce matin, j’ai décidé que je voulais ces musiques-là à mon enterrement : fini de me casser la tête et de changer constamment de playlist. Cette poignée de chansons maladroites, c’est aussi le souvenir de moments de grâce et de fous rires, de création et de connivence avec des êtres chers – parmi les plus chers – et indéfectibles.

Si vous insistez, un jour je vous ferai écouter les bootlegs de Toysession.

NPR 38, 38A et 38B de renouvellement

Il fallait s’en douter, après le petit cœur qui m’a été adressé hier, j’ai souhaité accéder sans tarder à la requête de mes plus grands fans et renouveler les NPR qui accueillent le visiteur sur mon chemin fétiche du moment. Il y en a trois, je les ai changés tous les trois, un en impro (le premier), les deux autres de manière préméditée. J’ai décidé de les sous-numéroter comme on le fait des terrils, non avec des bis et des ter mais avec des A et des B. Le premier remplace le NPR 3 des 10 km, que j’ai récupéré pour l’utiliser ailleurs puisque, malgré un mois d’intempéries (tempête, pluie, grêle, fortes températures et gel sans transition), il est en excellent état.

Le second remplace le NPR 13 des objets morts qui remplaçait lui-même le NPR 2 des ventricules pas mieux. Je me dois de confesser ici que ce NPR ment deux fois : une première, en utilisant le logo de l’Unesco (faux et usage de faux) ; la seconde, en faisant mine que l’on trouve sur le chemin des poubelles rouges et des poubelles noires. Or ces poubelles sont bicolores, ce qui signifie que j’aurais dû écrire « des poubelles rouge et noir ». Mais peu d’usagers de la langue française le savent et je ne voulais pas qu’on imagine que j’avais fait une faute (j’accepte qu’on me regarde avec stupeur quand j’emploie après que + indicatif et de passer pour la fautive – ce qui est, semble-t-il hélas, l’histoire de ma vie – mais après que est ma cause, tandis que ces accords des noms de couleurs ont un côté prétentieux très académie française, très private joke d’élite vétilleuse, dont j’ai horreur). J’aurais pu choisir autre chose que les poubelles pour contourner le dilemme mais il se trouve que ces poubelles sont vraiment l’élément moche du chemin, je ne pouvais pas faire semblant de ne pas l’avoir remarqué. Bref, voici le NPR incorrect.

ça dit :

bienvenue dans le
patrimoine mondial de l’UNESCO
vous admirerez ses écureuils
ses poubelles rouges et noires
et ses arbres à masques chirurgicaux

La formule « bienvenue dans le patrimoine » me fait beaucoup rire ; on lit tellement d’énormités dans des documents officiels, depuis quelques années, que la phrase me semble plutôt crédible.

Le troisième remplace le NPR 14 du monde libre et reprend le texte du NPR 1 de Hollywood. Ce n’est pas que je manque d’idées mais c’était l’un de mes préférés, or il n’a quasiment pas été vu in situ puisqu’il a été instantanément subtilisé, gâché, d’ailleurs il n’était pas sur ce chemin mais dans un tunnel voisin. Bref, je me suis dit que mes supporters anonymes apprécieraient peut-être et je dois dire que le bleu piscine lui va bien, à ce

vous êtes ici
comme à Hollywood :
au sein de l’univers

oh gee oh joy

Aujourd’hui, deux choses que j’attendais ardemment sont arrivées ; l’une était prévue, l’autre tenait du fantasme et sa réalisation m’apparaît comme un petit miracle.

Pour commencer, j’ai reçu ma chanson de geste, dont je vous parle depuis pas loin de deux ans (j’ai commencé à l’écrire le 23 mai 2019). Elle paraîtra le 25 avril aux éditions de l’Attente. C’est à ma connaissance la première ode de cette ampleur à la ville de Sallaumines (où vit pourtant, nous l’avons vu ce matin, la petite sirène). Ma geste est présentée ici et j’en parle un peu plus en détail . Je peux déjà vous annoncer que j’en lirai de longs extraits, de Nancy à Nantes, dans les mois qui viennent. J’espère que la situation sanitaire me permettra de participer en chair et en os à ces événements et que d’autres dates viendront s’y ajouter. La crise sanitaire et la perte de Dame Sam (dont j’ai toujours eu beaucoup de réticence à me séparer) m’a bien changée : maintenant, je veux participer à des festivals, je veux rencontrer des gens, échanger avec eux (et aussi boire des verres et danser avec eux parce que, pour tout vous dire, ça finit souvent comme ça dans les festivals littéraires).

Et maintenant, le petit miracle qui a illuminé ma soirée. Dans le NPR 8 du bon chemin dans le bon sens, j’écrivais à propos de mes accrochages incognito, « Parfois je rêve de liens qui se tisseraient discrètement dans l’espace public, des clins d’œil qui me feraient sourire, le matin, comme le font les petits mammifères furtifs. » Eh bien ça y est ! En plus il y a un petit cœur. Pour moi, JMJ ! Oui, points d’exclamation : j’en ai dansé sur place, s’il vous plaît. Et maintenant j’ai peur de décevoir les auteurs de ce petit mot.

NPR 36 de la petite sirène

Oui, c’est bien elle. La petite sirène vit à Sallaumines – mais je n’en dis pas plus.

Pour la netteté, je ne repasserai pas. Tout simplement parce que je n’ai pas laissé le NPR devant cette maison, pour éviter tout malentendu et qu’un couple ne se déchire à cause de suspicions d’adultère. J’avais prévu mon coup et conçu un système d’attache de type porte-serviette à suspendre mais pour NPR (j’étais passée hier pour estimer l’épaisseur du muret en béton), de manière à pouvoir le repositionner vite et sans rien abîmer.

Pas plus net dans cette lumière de 6h37 am, un voisin de la petite sirène : un cygne sans tête que je regarde toujours avec tendresse. Ce jardin nous donne une belle leçon : quand on aime quelqu’un, on l’aime même sans tête.

Mais revenons à notre NPR 36. Comme il était repositionnable, je l’ai finalement laissé à la piscine municipale d’Avion.

Le soleil se levait, faisant écho à l’éclairage public. Très harmonieux. Depuis des semaines, des mois, j’assiste tous les matins à l’extinction des lampadaires, je ne m’en lasse pas.

NPR 35 / 27A du SUV

Je suis touchée par le succès public qu’a rencontré mon NPR 27 du merveilleux moment, qui comportait effectivement tous les ingrédients d’un mauvais thriller sentimental à la Liaison fatale. Ou presque : un mauvais thriller se doit d’enchaîner dans ses dernières longueurs les rebondissements, dei ex machina et revirements. Voici donc une suite au NPR 27, qui se terminait sur l’image d’elle s’en allant « pour toujours » tandis que la narratrice est par terre, gémissante, les mains sur son flanc meurtri. Afin de respecter les unités de temps, de lieu et d’action, je suis retournée au même endroit. Je me suis assise sur le même tronc d’arbre dans le même short que l’usure, au fil des années, a transformé en jupette (je n’en ai que deux, la vie est rude pour les biens matériels des décroissants), un berger allemand aboyait dans le jardin le plus proche, à une cinquantaine de mètres mais je n’avais pas peur et le lever de soleil a fini par m’éblouir au point que je ne voyais plus le regard du chien orienté vers moi. Enfin, quelqu’un l’a fait rentrer, c’était encore mieux. J’ai écouté la fin de Her Hippo, la chanson de Dry Cleaning dans laquelle ce phénomène de Florence Shaw dit « I’d like to run away with you on a plane but don’t bring those loafers », comme toujours ça m’a fait éclater de rire et ensuite j’ai arrêté la musique pour savourer le récital des multiples coqs tous azimuts et j’ai punaisé mon NPR sur le dossier même de mon siège.

Je n’ai pas mis SUV en majuscules parce que je ne sais pas les faire en écriture cursive mais aussi parce que je rumine un petit NPR au sujet des majuscules depuis que j’ai lu un article sur le terril d’Haillicourt paru dans un journal départemental et qui disait : « nous imaginons les chevreuils qui avaient investi ses pentes lors du confinement du printemps dernier, leur offrant, en l’absence de l’Homme, un plein sentiment de sécurité ». J’en ai tachycardé. L’Homme, bordel : so 18ème siècle.

J’avais formulé le texte de ce NPR dans ma tête pendant les premiers kilomètres de ma course à pied ; ma plus grande hésitation portait sur la partie de mon corps que menaçaient les pneus : chevilles, genoux, hanches ? Le mot dépouille aurait été trop trash pour l’espace public, je me soucie des jeunes enfants qui viennent d’apprendre à lire. J’ai donc choisi la cheville et j’ai découvert en rentrant chez moi que, par coïncidence, j’avais une cheville lacérée car figurez-vous que la ville d’Avion m’a encore révélé ce matin l’un de ses fascinants arrière-mondes – vaste, flippant et coupant : ronces, orties et arbres qui poussent en toute sauvagerie. Merveille !

NPR 34 à usage unique

Hier, j’ai pédalé une vingtaine de kilomètres pour aller prendre des photos destinées à mon livre sur les terrils, à paraître en fin d’année. J’en ai profité pour inspecter quelques nouveaux processus réversibles ; j’ai notamment décroché le NPR 22 du vaste monde, dont le texte avait tellement déteint qu’il n’était plus très lisible, et décidé de réutiliser le carton sur lequel était collé le texte. Je l’ai glissé dans ma pochette de papiers divers à emporter pour les NPR improvisés. Il m’a servi dès ce matin. La phrase a germé alors que je pensais au recyclage en courant sur les monumentaux artefacts reconquis par la nature que sont les trois terrils de la base 11/19. Un peu plus tard, j’ai longé un quartier fantôme de Lens et j’ai su à quel endroit et sur quel support ficeler la phrase.

Le site que l’on aperçoit en arrière plan sur la photo du processus est l’un des ensembles résidentiels dit du 9 (à savoir de la fosse 9). Il s’agit d’une cité pavillonnaire au sein de laquelle niche un îlot de plain-pied blancs plus récents ; cette cité n’est séparée du Louvre-Lens que par une route et une rangée de corons reconvertie en hôtel quatre étoiles.

Un jour de 2018, je passais dans la rue ci-dessus (qui en fait partie) avec l’artiste qui veut laisser une trace et nous avons interrogé l’un des derniers habitants.
– Bonjour Monsieur, a dit mon amie, vous savez ce qu’ils vont faire ici ?
Elle désignait les maisons murées dont ce monsieur était le voisin.
– De la merde, comme là, a-t-il répondu en levant le menton vers le Louvre-Lens.
Je ris toujours autant, chaque fois que j’y pense. Presque autant que quand je me rappelle la scène très cinématographique où l’artiste est assise en terrasse, à Rotterdam, avec une désinvolture toute aristocratique et les yeux plissés dans le soleil, quand un sac plastique s’élève avec grâce dans la brise et se colle à son visage, tout doucement, épousant chacun de ses traits.

NPR 33 du verre pilé

NPR improvisé aujourd’hui dans ce petit bois que j’aime beaucoup, notamment parce qu’il se situe à un point totalement isolé de la ville, à la frontière de Lens et de Loos-en-Gohelle, séparé d’une friche immense et pleine de lièvres par une route très peu fréquentée.

Je prenais des photos de mon accrochage quand j’ai perçu un mouvement du coin de l’œil ; l’animal devait être un chien, il était beaucoup trop grand pour être un chat. Ou peut-être un renard, me suis-je dit, car il semblait roux. J’ai avancé vers le point où il s’était enfui en me voyant et, bizarrement, il s’est dirigé vers moi : Un chien, ai-je conclu, j’espère qu’il n’est pas trop sauvage. Puis il a été assez près pour que je comprenne avoir affaire à un très grand lièvre. Il s’est immobilisé à une vingtaine de mètres et nous nous sommes regardés avec stupeur. Puis il a bondi dans le bois à sa gauche et je suis retournée prendre des photos de la mobylette brûlée.

J’ai aussi fait une découverte déprimante. Depuis que je vis ici, j’entends parler d’un nouveau centre hospitalier qui va bientôt se construire et remplacer le beau mais certes vétuste hôpital Ernest-Schaffner. Ce matin, je me demandais ce que fomentaient les engins de BTP que j’aperçois depuis quelques semaines sur la friche des lièvres et, vous l’aurez deviné, c’est ça : un centre hospitalier. J’ai lu l’autorisation de travaux et senti quelque chose s’affaisser en moi. Bientôt, cette route sera constamment encombrée de véhicules, je n’y courrai plus, ou alors en me disant que c’est un mauvais moment à passer pour atteindre telle ou telle destination plus sauvage. Bientôt, cette friche sera un bâtiment qui bouchera l’horizon ; que va devenir le petit bois ? Où les lièvres vont-ils vivre ? J’ai vu quelques-uns de leurs congénères au 11/19, plus tard pendant ma course à pied, mais il est à deux kilomètres à vol d’oiseau et comment trouveraient-ils le chemin ? et comment échapperaient-ils aux chauffards sur les portions de route qu’il leur faudrait traverser ? Certains matins, je ressens quelque chose comme du désespoir.

Cette zone aujourd’hui confidentielle sera bientôt un centre névralgique de la ville.

Quelques typographies d’Avion

que j’ai classées dans ce que je pense être l’ordre chronologique de leurs époques mais je me trompe peut-être totalement ; je vous laisse le soin de les mettre dans l’ordre qui vous paraît juste. Vous l’aurez compris, j’aime beaucoup Avion, où l’on trouve la cité des cheminots, la véloroute à destination d’Hénin-Beaumont et ses arbres fruitiers, l’un des plus beaux terrils de notre bassin minier (Pinchonvalles) et l’un des plus effrayants (dit par moi du psychopathe), le parc de la Glissoire qui a son propre terril avec observatoire design et son parc d’attractions miniature kitsch, des coins et recoins étonnants, chemins de traverse, tunnels, arrière-mondes inquiétants, une ZUP au bord des champs, des cités pavillonnaires décorées avec audace, des contrastes esthétiques et sociaux assez éclatants, de l’art post-minier plutôt surprenant (quoiqu’en la matière, aucune ville à ma connaissance ne surpasse Méricourt), des gens qui se disent bonjour avec des chiens, etc. Et des inscriptions et enseignes figées dans le temps.

NPR 32 de locomotion

Comme j’ai conservé un esprit d’enfant, le fait que notre magnifique cité des cheminots soit partagée entre Avion et Méricourt me fait sourire. D’autant que, l’été, nous avons aussi Avion Plage dans le quartier de la République + la plage du parc de la Glissoire et son célèbre toboggan gonflable à flanc de terril* (voir les chapitres Des échelles et L’aventure de mon expo Ligne 18) : Avion, 17 583 habitants, a deux plages. Mais pas de pédalos. D’où ce NPR revendicatif.

Il pleuvait samedi soir quand j’ai accroché ce processus réversible (et pris ces photos) mais si vous pouviez voir les corps marbrés de rouge glisser sur le toboggan, au long de nos torrides étés, vous ne diriez pas bof.

J’ai aussi remarqué au parc une œuvre qui manquait à ma micro série Des plages. Je me demande comment elle avait pu m’échapper jusqu’alors, d’autant qu’elle n’a pas l’air de la semaine – ce qui fait tout son charme : la même en peinture fraîche, j’imagine, ferait mal aux yeux, ce n’est pas comme si le projecteur diurne qui la surmonte n’y suffisait pas.

* Il s’agit du terril 81, dit 5 de Lens Est. (Et ce que j’appelle le spot de lapins, ce terril interstitiel qui m’a sauvé la vie pendant le premier confinement, est son jumeau, le 81 A dit 5 de Lens Ouest.)