des ours-sangliers

Les poètes dansent le mardi soir, de sorte que nous nous sommes couchés tard, hier encore, mais mon corps est une mécanique horlogère et à 6h30 ce matin, j’étais debout et opérationnelle. Comme je ne voulais pas partir avant 8h, j’ai commencé à lire La claire caresse de ma camarade et voisine de chambre Anna Serra. Quand je suis rentrée de ma grande aventure forestière, je lui en ai fait le récit puis nous avons discuté d’écriture et, peu après, j’ai repris ma lecture de son recueil ; la première page que j’ai lue était celle-ci :

Vous allez encore dire que j’ai une tendance à l’apophénie mais j’y vois surtout une sorte de mise en lumière. D’autant que quand j’ai raconté mon aventure, Marion Renauld m’a conseillé de lire Croire aux fauves, récit d’une anthropologue qui a rencontré un ours, or mon projet pour Regnéville (ma résidence suivante, imminente) montre une créatrice sonore qui veut enregistrer un ours et développe une parabole sur le mode d’être au monde de notre espèce, basé sur l’exploitation du vivant. Ce sanglier m’a appris beaucoup de choses. Il aura été mon ours.

des sangliers

Avant ce matin, mon souvenir le plus traumatisant était celui du jour où la marée haute m’a surprise au pied d’une falaise, à Wimereux, et m’a projetée contre les rochers ; je suis rentrée en sang mais surtout sous le choc. Aujourd’hui, je courais dans la forêt de Bord Louvier, j’avais eu la bonne idée d’attendre 8h pour partir parce que j’ai peur de l’obscurité des bois et forêts depuis que, l’été dernier, des chevreuils mâles très en colère m’ont chassée du bois de Givenchy en bondissant et aboyant autour de moi, juste avant l’aube.

J’ai couru une heure et je reconnaissais que c’était une belle forêt, très vallonnée, mais j’étais déçue de ne pas avoir vu de chevreuil. Je me suis formulé très clairement que ça manquait d’animaux par ici. J’étais encore peu renseignée, je prenais les souilles pour des grosses flaques.

J’ai cherché sur mon GPS le moyen de regagner la sortie.

J’ai voulu voir ce qu’il y avait au bout du petit sentier qui part à gauche sur la photo ci-dessous, dont la seule vue me donne désormais des frissons et une vague nausée. Je pensais que c’était un moyen de couper pour rejoindre une route goudronnée qui me ramènerait à Léry, du moins le chemin partait dans la bonne direction.

J’étais plus haut, à un endroit dont je n’ai pas et n’aurai jamais de photo, quand un tumulte de végétation piétinée a résonné dans le silence quelque peu inquiétant qui m’avait beaucoup frappée pendant cette heure de solitude absolue. Je dois sans doute d’être en vie à la présence incompréhensible d’un grillage le long de ce chemin : un sanglier noir, énorme (un sanglier) me chargeait. Je pleure et j’ai les mains moites en l’écrivant, alors même que je suis bien en vie dans ma chambre douillette de la Factorie, tant l’effroi est encore vif. Nous étions deux, le sanglier et moi, face à face dans une forêt où je mettais les pieds pour la première fois et dans laquelle il était chez lui, séparés par un mince grillage providentiel contre lequel il s’acharnait en faisant un vacarme inouï. Je ne pouvais pas lui dire qu’il n’avait rien à craindre de moi, que j’étais son amie et qu’il était très beau quand il était en colère ; soudain, ma manie de parler aux autres animaux m’est apparue dans toute sa vanité.

J’ai fait demi-tour et cessé de courir ; je marchais lentement, tête basse, me fiant aux seuls sons pour savoir si je devais me remettre à courir et cherchant des yeux un arbre auquel je me sentirais capable de grimper. J’ai tourné à droite, je savais que l’orée n’était qu’à quelques centaines de mètres, droit devant, mais le vacarme me suivait. Le sanglier a traversé le chemin devant moi ; j’ai continué d’avancer vers la sortie mais il ne s’enfonçait pas dans la forêt, il fourrageait furieusement dans un fourré à ma gauche. J’ai fait demi-tour et attendu d’être assez éloignée pour me remettre à courir, avec désormais la terreur de croiser d’autres sangliers tout aussi hostiles. Soudain je ne percevais plus la forêt comme un lieu de respiration, j’étais traquée. Comme le sanglier en cette saison de chasse, ni plus ni moins.

J’ai couru pendant une heure, je me suis perdue, mon GPS n’était pas sûr de lui. J’ai fini par m’apercevoir que je n’avais pas le choix : je devais reprendre le chemin où j’avais croisé Monsieur Furieux. Mes notions des territoires animaux sont très rudimentaires mais j’étais sûre qu’il n’était pas loin. Il y avait un vallon à ma droite et, alertée par le bruit, j’ai vu toute une harde (un sanglier, une laie et rien moins que cinq marcassins) en dévaler la pente. Mes jambes me portaient à peine. J’ai appelé mon père ; l’entendre me rassurait, même s’il était visiblement aussi effrayé que moi, et je lui ai parlé d’une voix forte pour bien faire savoir aux suidés qu’un humain était dans le coin. C’était la surprise qui avait fait paniquer ce bel animal de 150 kg : j’essaie toujours de faire le moins de bruit possible dans la nature pour ne pas en déranger la quiétude (teubée, diraient les jeunes). Puis je suis revenue à la civilisation, à laquelle je préférais jusqu’alors la sauvagerie. Je ne sais pas si j’oserai encore faire ce que j’aimais tant jusqu’alors, me promener seule à l’aube dans l’habitat des autres espèces. Je ne pense pas. J’ai pris la photo ci-dessous avant de regagner la Factorie, on y devine une infime fraction de la forêt, j’en tressaille encore.

De retour, j’ai fait quelques recherches et il s’avère que j’ai eu les bons réflexes. Pour ne citer qu’un article :

« Lorsque l’on se balade en forêt, il peut arriver de croiser un sanglier au détour d’un fourré. C’est rare, car le sanglier se déplace peu en journée, mais ça arrive. Dans ce cas, mieux vaut savoir comment réagir, notamment si c’est une mère avec ses petits. En effet, le sanglier fait partie des espèces qui n’attaquent que pour défendre leur progéniture. Et quand on sait que cet animal peut peser jusqu’à 200 kilos, il est préférable d’éviter de le mettre en colère…

Sommaire

  • restez calme
  • gardez vos distances
  • ne courez pas
  • grimpez à un arbre
  • zigzaguez

Faites comme si de rien n’était. Continuez à marcher tranquillement sans le regarder mais en prenant tout de même la direction opposée. Dans le cas contraire, vous lui feriez peur et il risquerait alors d’attaquer pour se défendre. »

à la Factorie (1)

La Factorie n’est pas à Val-de-Reuil même mais à Léry, quelque part entre le lac des Deux Amants (Françoise et Gérard, comme mes camarades et moi les appelons affectueusement) et la forêt. J’ai commencé ma résidence par une séance de repérages.

Ci-dessous, un télésiège pour le ski nautique squatté par les oiseaux d’eau.

Derrière les champs, la forêt m’attend.

Les oiseaux d’eau ne sont pas mes seuls complices ici. Avec moi, Catherine Barsiscs, Maud Thiria, Anna Serra et Emanuel Campo <3

Ce matin, j’ai fait un premier tour du lac en courant, une petite dizaine de kilomètres dans l’obscurité profonde puis le lever du jour.

Je suis heureuse d’être ici, en si bonne compagnie, dans un décor où on rêverait de se promener avec sa fiancée – mais n’y pensons pas, ne regardons pas passer les trains Paris-Rouen en imaginant qu’elle pourrait être dedans et qu’on pourrait l’attendre sur le quai à Val-de-Reuil, non, ne faisons pas ça. N’imaginons rien et tout ira bien.

Top 7 Coiffure 2021

En 2016, nous avons croisé le salon de coiffure Bienvenue sur T’Hair (Annœullin) dans le billet-catalogue Arbres du Nord : Imagin’Hair ; je ne peux supposer que vous l’ayez oublié. Je dis bien croisé parce que (je maintiens ce que je disais à l’époque) je n’ai pas la carrure pour un inventaire des enseignes les plus remarquables de coiffeurs, le travail serait encore plus herculéen que de recenser tous les moulins miniers – oui, à propos de ces derniers, j’en ai vu et photographié tant et tant depuis la dernière version de cette série que les bras m’en tombent ; c’est pourquoi, malgré votre abondant courrier de protestation, je ne l’ai pas mis à jour depuis bien longtemps. Mais revenons à nos salons. J’ai décidé, en cette période de l’année où fleurissent les palmarès (établis par des autorités qui, ayant absolument tout lu, tout vu et tout entendu, peuvent se permettre de prescrire leurs produits culturels préférés comme étant les meilleurs), j’ai décidé de donner des bons points, moi aussi, à quelques champions locaux de l’onomastique capillaire.

ATTENTION : Si vous êtes sujet(te) aux migraines, sachez que certaines photos ci-dessous, ayant été prises avant le lever du soleil, sont affreusement floues. Vous m’en voyez désolée.

Dans la catégorie Il fallait y penser, je remets ma palme 2021 à ce salon d’Arras (certes, ce n’est pas aussi inspiré que Bienvenue sur T’Hair mais celui-ci reste à mon avis strictement imbattable).

Dans la catégorie Anti-pub, je n’ai su départager ces noms vus à Bully-les-Mines et à Pont-à-Vendin

Dans la catégorie crossover Il fallait y penser X Anti-pub, la lauréate est cette audacieuse société lensoise

Dans la catégorie Misread, cette enseigne de Dourges sur laquelle j’ai d’abord cru lire Boudin Coiffure (aurais-je bien lu qu’elle aurait sans doute coiffé au poteau – eh eh – ses deux camarades ex-æquo de la catégorie précédente). Notez bien que le jeu de mots m’échappe totalement, d’où sans doute le misread.

Dans la catégorie vintage, je nomme grand vainqueur Jean-Claude Coiffure de Courrières (un salon de Sallaumines le talonnait certes mais qui sait ? il aura peut-être son tour next year)

Dans la catégorie Mignon, c’est un salon (à double titre) d’Annay qui l’emporte cette année (jockomo feena nay) ; bravo à Marie-Chantal !

ISTC

Encore merci à Piero Turchi pour son invitation. Ci-dessous, je suis avec lui et avec Dominique Brisson, mon éditrice (Cours Toujours). Merci aux participants d’être venus si nombreux et si chaleureux. Merci particulièrement à mes chères et chers Aline, Claire, Olivia, Lucien, Luc et Lulu pour l’after ; je n’avais pas autant ri depuis très, très longtemps. <3 Je garde le Watten travesti show en amulette pour les jours sombres.

Et voici la dernière photo ever de mon bras gauche sans défense. Ce matin, ma super tatoueuse AJ l’a barbelé de ronces.

(Photos ISTC.)

Racines grasses, pointes sèches

Je n’en peux plus, de toute cette beauté qu’on m’envoie par mail, heureusement que je n’ai pas de hache : je n’aurais plus d’ordinateur. Or j’ai plus usage du second que je n’en aurais de la première, celui-ci explosé. Exemples de beautés que je fendrais bien d’un grand coup sec :

« Belle journée à vous »

En principe, on écrit « à vous » en réponse à quelqu’un qui, le premier, aurait écrit « Belle soirée » ; le « à vous » a en quelque sorte valeur de « aussi ». Qu’est censé répondre l’esthète à qui on coupe ainsi l’herbe sous le pied ? « Belle soirée à vous à vous » ? Personnellement, je réponds « Bonne soirée à vous aussi ».

« Belles fêtes de fin d’année ! »

Ta mère, tu ne sais rien de ma vie, tu ne sais pas si je vais passer les fêtes toute seule à manger des cornichons à même le bocal avec un bonnet à pompon, de quoi tu te mêles ?

« En vous souhaitant une belle soirée »

En principe, le gérondif précise une circonstance qui accompagne l’action énoncée par le verbe principal, sauf que dans l’exemple ci-dessus, il n’accompagne rien du tout. Que dirait la phrase principale si elle n’était omise ? « Je vous dis au revoir » ? Ou peut-être que la principale n’est pas omise mais bel et bien censurée : « Je me cure le nez » ? « Je vous mets un doigt dans le cul » ? Après tout, pourquoi pas ? « Je vous mets un doigt dans le cul en vous souhaitant une belle soirée », rien ne s’y oppose.

Et puis c’est quoi, cette manie horripilante de belle ceci, belles cela ? Bientôt vous verrez qu’on nous souhaitera un bel anniversaire. Il y a trop de niaiserie dans ce monde et ce n’est hélas pas la niaiserie qui nous sauvera de la violence, du cynisme et de la cruauté qu’il nous faut par ailleurs endurer. C’est double peine, comme ce terrible sort évoqué par certains flacons de shampooing : racines grasses, pointes sèches.

Terrils tout pleins de clarté

Merci infiniment à Lucien Suel pour cette belle chronique publiée sur son blog Silo, dont voici un aperçu.

Je le remercie aussi de m’avoir offert son très beau livre avec le photographe Patrick Devresse, Les terrils, ombre et clarté, et de m’avoir envoyé son poème Tout partout. Un court extrait que j’aime tout particulièrement – mais qui prend toute sa force en contexte, évidemment (je n’aime pas trop les citations – j’y reviendrai bientôt) :

« tout autour de l’autocar c’est la vie
tout partout autour ici et maintenant
ailleurs et toujours c’est tout plein
de tout tout le temps et tout partout »

Les échos entre Terrils, ombre et clarté et Terrils tout partout sont confondants – il y est question des trous qui amènent des tas mais aussi de « sportifs écologistes bruyants » et fluorescents, d’aménagements de type parcs d’attraction et même d’accents circonflexes. Je me prends à rêver d’une lecture croisée, ici ou là. Si vous organisez ce genre de choses, parlons-en…

Féminin pluriel

Vous êtes trop snob pour lire les gazettes municipales ? Vous ne savez pas ce que vous ratez. Il y a quelques années, de passage dans des petites villes, j’allais à la mairie pour les demander. Je lisais régulièrement celles de Mons-en-Baroeul, de Faches-Thumesnil, de Sallaumines, de Lens, de Liévin, pour n’en citer que cinq. J’ai ralenti quand j’ai senti ma santé mentale menacée : j’avais des hallucinations – quand les gens me parlaient, je voyais des points d’exclamation. (Les points d’exclamation et les émoticônes sont la signalétique de la communication – ce fléau. Vous noterez dans l’exemple ci-dessous que la virgule a moins de succès, y compris quand elle pourrait trouver son utilité.) Dans le journal de ma ville, ce mois-ci, on fait la connaissance de Cécile. Elle nous apprend que l’apostrophe s est la marque du pluriel et que le féminisme progresse. Je vous laisse savourer cet article caviardé par mes soins.

De la danse

Les premiers danseurs, ci-dessous, sont mes préférés, ils dansent à Loos (les Lille, pas en Gohelle), sur le morceau ลำสั้นดิสโก้ du groupe The Paradise Bangkok Molam International Band.

Les cinq suivants dansent rue Boldoduc à Fives.

Eux, au bord du canal de Roubaix.

Lui, à Haubourdin, au bord de la Deûle – pour preuve que je ne suis pas la seule à danser au bord des canaux.

Eux, je ne me rappelle pas ; opportunément, ma mémoire est aussi floue que leur trace sur ce mur.

Petit rappel, offert par un pont de Nevers :

Un danseur qui ondule près de la citadelle, à Lille.

Danse de salon en plein air à Lambersart.

Hip-hop à Villeneuve-d’Ascq.

Certain(e)s aiment particulièrement sauter en dansant, pourquoi pas ? Ici encore à Lambersart.

Un dancing chicken (yo, brother) dans un tunnel pouilleux de l’arrière-monde ronchinois.

Des résidus du genre de fête que nous aimons, nous les dancing chickens, ici à Noyelles-sous-Lens.

Chère Madame la factrice,

Voici un mois aujourd’hui que je vous ai envoyé une lettre de douze pages et je m’étonne de n’avoir reçu aucune forme de réponse. Comme je n’ai pas eu l’occasion de vous croiser depuis le 4 novembre, j’ignore si vous êtes toujours disposée à me dire bonjour ou si vous préfèrerez désormais détourner la tête à mon approche. Peut-être avez-vous trouvé déplacé qu’une inconnue vous adresse des réflexions mélancoliques sur le devenir de la civilisation et insinue en prime que vous pourriez accepter une Suze offerte par un habitant de votre secteur ; je le comprendrais.

Au cas où vous viendriez de temps en temps jeter un oeil ici pour voir ce que c’est que ce drôle d’oiseau qui vous a écrit, voici quelques éclaircissements. Cette lettre est ce que j’appelle une leçon de ténèbres (en référence au genre musical liturgique du XVIIᵉ siècle), la deuxième du recueil 13 leçons de ténèbres que je destine à un éditeur de poésie dont je préfère taire le nom tant qu’il ne m’a dit ni oui ni non. Si elle avait été la première du recueil, cette lettre aurait compté treize pages ; la troisième, onze pages, etc. Vous voici édifiée quant à la finalité de cette Lettre à une factrice (puisque tel est son titre) ; le reste, vous l’avez lu (du moins je le suppose – nous savons, sans vouloir vous offenser, que l’acheminement postal n’est pas pas à l’abri de certains aléas).

Par ailleurs, cette lettre pourrait bien devenir la première pierre d’une tradition (au même titre que la leçon de ténèbres et une tradition musicale), tradition que je pourrais initier en suggérant à tou(te)s mes ami(e)s auteurs et autrices de vous écrire à leur tour une lettre et d’inviter leurs propres ami(e)s littéraires à en faire autant. La révélation m’en est venue il y a deux ou trois semaines, quand je me suis rappelé un disque d’Elvis Costello avec le Brodsky Quartet, The Juliet Letters, un album qui fêtera bientôt ses trente ans qui aurait été inspiré par un professeur de Vérone spécialisé dans l’oeuvre de Shakespeare et réputé répondre aux lettres adressées d’un peu partout dans le monde à Juliette Capulet. J’ai failli tomber en courant, le jour de la révélation, tant m’a réjouie l’idée que vous receviez des dizaines de lettres d’écrivain(e)s, adressées à Madame la factrice, rue du Cher 62… etc. Je vous si imaginée dans un reportage de France 3 Région, désignant des piles de lettres sur une table de salle à manger : « Regardez, diriez-vous avec une légère fêlure dans la voix. J’en ai compté 173. Ça ne peut plus durer. »

J’espère que vous avez apprécié les beaux timbres.