JC+20

Je n’ai jamais parlé ici de la sonnette – non, appelons un visiophone un visiophone : je n’ai jamais parlé ici du visiophone le plus aimé, le plus choyé qu’on ait jamais vu en terre de houillères. Tous les jours, nous passons devant une grille d’entrée flanquée d’un visiophone incorporé dans un muret de brique, c’est sur le chemin de nos lapins, et chaque jour nous voyons le papa de nombreux enfants très polis (quoique stridents) accroupi devant un visiophone heureux. Les enfants sur leurs petits vélos roses disent Bonjour, Bonjour, Bonjour dans les aigus à travers la rue déserte quand nous longeons le parc d’activité éteint que fixe, écarquillé, le visiophone, et le papa tient des outils qui font des choses autour du visiophone et sur le visiophone. Jour après jour, depuis trois semaines. J’en parle aujourd’hui parce que j’ai enfin pu le prendre en photo, en l’absence exceptionnelle de Monsieur – due à l’heure tardive de notre promenade du jour.

Après le visiophone de l’année, voici

Le gant du jour

Cette photo est pleine de textures qu’on aurait presque envie de gratter avec les ongles, n’étaient le covid-19, la crasse et quelques autres traces suspectes.

J’écris un texte sur les terrils. Dehors, un merle poursuit une palombe, et ça piaille très fort et ça ne plaisante pas. Ma voisine dit qu’il y a un nid de merles dans le lierre qui sert de balancelle à Patty la palombe. Nous avons ici affaire à une guerre de territoire, et elle est féroce. Peggy ajoute qu’avant – avant qu’elle ne taille dans une masse de lierre dix fois plus épaisse – il y avait un nid de rats là juste sous la fenêtre à droite du bureau où j’écris un texte sur les terrils.

Le détritus du jour

Ghostbusters jette l’éponge et prend la porte. Polty s’en réjouit et commet aujourd’hui quelques actes régressifs du genre : jeter l’oreiller de mon amour hors du lit.

Con-fun (fun fun fun)-ment (non, ceci n’est PAS une nouvelle rubrique).

La musique du jour

Tendril de Lyra Pramuk, sur l’album Fountain, paru le mois dernier.

Le monde est bipolaire, avec sa splendeur de nature grasse et odorante gorgée de lumière et son virus eugéniste dégueulasse. La vie de l’espèce l’est aussi, avec ses monstrueux chiffres du jour et ses albums qui paraissent chaque jour comme prévu et jouent courageusement dans le néant.

Extraits de L’éternité n’est pas si longue :

« Les infos : leurs présentateurs compassés, la mécanique monotone de leurs phrases, le clignement de leurs yeux quand leurs mines contrites cèdent l’écran aux reportages. Tant que leurs commentaires continuent d’être vomis à travers le monde, il nous reste l’impression d’être pris en charge, celle aussi d’être unis par les ondes à tous ceux qui comme nous sont contraints d’affronter une situation dans laquelle toute forme de diversion devient vaine. Tous suspendus aux derniers chiffres, aux dernières mesures venues d’en haut, aux derniers verdicts scientifiques : rendez-nous compte de ce qu’il vous plaira, nous voulons juste savoir qu’il est toujours d’actualité qu’il nous soit rendu compte de quoi que ce soit. »

Sur les chiffres : « On en oublierait presque toutes ces vies perdues sous les macules, papules, vésicules, pustules et croûtes. La singularité des vies enfuies se perd dans l’amas des morts. Tout ce que l’on voit, c’est un tas – c’est qu’on n’est pas dans ce tas (…) Le tas métonymique des corps anonymes, réunis à titre d’illustration avant la crémation. Que l’horreur reste numérique. »

Le conseil lecture du jour

J’hésitais à créer une rubrique intitulée Le gros fayot du jour mais je vais plutôt vous encourager à lire les banderoles et affichettes dont vos concitoyens (dans un rayon d’un kilomètre) ont décoré leur maison pour se rendre utiles, puis à vous en inspirer pour créer vos propres slogans de solidarité nationale et saluer nos héros.

Lire les slogans des autres stimule également votre esprit critique et je suis sûre que, lisant l’image ci-dessus, vous avez sursauté intérieurement : Et les personnels de commerces essentiels, alors ? vous êtes-vous dit, et vous vous êtes juré que vous, vous ne les dédaignerez pas de la sorte.

Le vide du jour

recto

verso

Ce soir, au spot de lapins, c’est la fête. Le dernier chien du jour est parti, la lumière se dore lentement, une lune pâle et presque pleine flotte dans le bleu du ciel, entre deux nuages immobiles aux moutonnements roses. Les lapins jouent, ils s’amusent à sauter les uns par-dessus les autres. Ils forment deux grandes bandes et, à notre approche, plongent sur les pentes bruissantes de ronces qui cachent leurs terriers.

À la nuit tombée, assise dans le jardin, j’entends les bruits désormais familiers de petits animaux dans le lierre, mais tout a changé : désormais, je sais qu’ici grouillait naguère un nid de rats et je ne m’amuse plus à deviner les vies qui grouillent là-dedans. L’accès à ce plaisir-là m’est temporairement interdit – j’oublierai, un jour ; pour l’heure, j’allume la lumière extérieure. Mon amour se moque de moi, on voit qu’elle n’a pas de phobie. Je lui raconte la rixe entre merles et palombes à laquelle j’ai assisté tout à l’heure et me rappelle ce que notre étudiante nous racontait, il y a deux semaines : elle était au fond du jardin quand elle a assisté à la mise à mort et à l’enlèvement d’un petit oiseau par une buse. Là, dans le silence édénique de la zone interstitielle boisée entre Socorro et le lycée.

Mon relevé du jour

Lapin(s) : 23

Piéton(s) : 7

Joggeur(s) : 1

Contrôle(s) de police : 0

Douche : Oui