Villa Glovettes, 1

Du 6 au 20 octobre, j’ai eu le bonheur de séjourner aux Glovettes (à Villard-de-Lans dans le Vercors) pour la première moitié d’une résidence d’écriture. Pour reprendre la description qu’en fait son site Internet, « Villa Glovettes est une résidence d’artistes nichée dans le Vercors. Pendant la période dite “hors-saison”, elle accueille des artistes et leurs projets dans les studios vides de l’immense copropriété Les Glovettes et programme des événements pour faire se rencontrer habitant·e·s et artistes résident·e·s. » Nous étions une quarantaine à vivre dans cette station de ski pouvant accueillir 5 000 personnes, dont plusieurs artistes – avec moi pour cette session, Éléonor Gilbert, Louise Janet, Maélys Faure, Eva Pelzer, Mathilde Ramadier – ainsi que la créatrice de cette résidence, Agathe Chion, et sa super stagiaire Marie Wolff (elles-mêmes artistes). Certain-es résident-es frissonnent parfois, aux Glovettes, avec l’impression de vivre dans un univers inquiétant à la Shining mais moi, pas du tout. J’ai adoré cette atmosphère fantomatique.

Il y a trois barres aux Glovettes. Ci-dessus, la barre est, où se trouvait mon appartement (je n’ai quasiment jamais entendu de signe de vie autour de moi dans cette partie du bâtiment) ; ci-dessous, la petite barre centrale et la barre ouest.

C’est la deuxième résidence d’écriture que je fais à proximité d’un télésiège (cf. le télésiège Cordoba au Mont Noir, près de la Villa Yourcenar – ici, il y en a plusieurs, dont le Grand Canyon et Côte 2000).

Dès mon premier jour, en cherchant le Rocher du Serpent, qui s’y trouve,

j’ai découvert mon paradis, dont voici l’entrée :

Mon paradis est un sentier à la conjonction de plusieurs paysages. En amont, une forêt de feuillus (j’ai relevé une quinzaine d’essences différentes) et de la roche ; en aval une clairière et, derrière, une forêt de conifères ; en face, les arêtes du Gerbier. Son calme et sa beauté lavent l’âme en profondeur.

Quant aux arêtes du Gerbier, j’y ai randonné à plusieurs reprises, avec des groupes différents. Le premier comptait Agathe et sa chienne Lola, Marie et Louise, ci-dessous (il manque Éléonor sur la photo). Départ à 6h du matin, dans la nuit, avec nos lampes frontales.

On ne le voit pas sur la photo ci-dessus parce que nous étions dans un nuage, mais le soleil venait de se lever. On le voit mieux ci-dessous, où nous sommes entre deux nuages, celui que nous surplombons et celui qui s’apprête à nous accueillir, là-haut, au Col Vert.

Pour une autre rando, à l’inverse, nous sommes parties en fin d’après-midi pour le Pas de l’Oeille et sommes redecendues dans la nuit noire, pour finir avec une lampe pour quatre parce que nous sommes des dilettantes. De gauche à droite sur la photo ci-dessous, Éléonor, myself, Maélys et Eva.

NB : on devine sur mon mollet la trace d’une morsure de chien ; il se trouve que j’ai été mordue sur un terril par un border collie la veille de mon départ pour une montagne pleine de loups (l’année dernière, une meute de loups a mangé un chien des Glovettes sous les regards impuissants de quelques témoins humains et n’ont laissé que son collier), j’ai pris ça comme un avertissement mais à ce jour, les seules louves que j’aie croisées dans le Vercors, c’est nous (avec Maélys dans le rôle de la brebis), plus tard cette nuit-là :

Nous avons essayé de lire une carte des reliefs pour éviter les chemins trop dangereux.

Si vos yeux sont bons, vous verrez sur la photo ci-dessous des bouquetins qui vivent en paix (aux loups près), là-haut, à 2000 mètres.

Il est difficile de décrire l’impression que l’on a quand on « marche » (ce qui implique parfois de sauter, grimper, se hisser) dans ces paysages minéraux ; celle, peut-être, de faire l’expérience de la préhistoire, de tous les bouleversements géologiques qui nous ont précédé-es.

Ci-dessous, la descente quand nous avions encore trois lampes pour quatre.

Autour des Glovettes, il y a aussi de l’eau. Un torrent très mignon, en contrebas des Clots,

qui mène à la cascade de la Fauge, passé le pont de l’Amour,

et à 1520 m, la retenue collinaire du Prey des Prés.

Quand il y a des nuages, on n’est pas plongé-e dans une grisaille déprimante, on est soit DANS les nuages et c’est très beau, comme de la brume, soit au-dessus et c’est comme baisser les yeux sur une mer blanche.

Un soir, je contemplais depuis mon bureau les dernières lueurs du crépuscules quand soudain, en quelques secondes, un nuage a mangé les Glovettes :

Je me réjouis de retrouver la Villa Glovettes du 17 au 30 novembre. Qui sait où j’en serai alors de mon manuscrit en cours… J’y ai écrit, en tout, une soixantaine de pages. J’ai aussi reçu la visite de mon amie Katia Bouchoueva (co-autrice de La plus petite subdivision).

Je dois aussi noter l’omniprésence de Floy K., en direct de New York via WhatsApp. Nos échanges, stimulants, drôles et chaleureux, ont très largement teinté mon expérience vertacomicorienne.

Permanent Draft à Bethesda

Comme j’en ai assez des grandes villes, a fortiori des capitales, j’ai demandé à Valentina de m’emmener dans des endroits bizarres. Jeudi, nous avons fait une performance au Pays de Galles dans le cadre du festival Ara Deg de l’adorable Gruff Rhys, en première partie de Rozi Plain.

Le festival avait lieu dans le village de Bethesda, près de Bangor. J’ai testé de nouveaux textes ; une quinzaine de personnes ont quitté la salle, d’autres ont beaucoup ri ; donc mes textes fonctionnent. En attendant d’éventuelles images de la performance, voici quelques photos des moments d’attente dans ces lieux dont Valentina ne m’a pas prédit à tort qu’ils seraient weiiiiiiiird – comme j’aime.

Promenade entre deux lacs avec Gruff, Rozi, son groupe et Valentina.

Petit déjeuner post-nuit quasi blanche dans le café (caffi) de Bethesda, où nous sommes arrivées en tacsi (ça c’est pour les mots qui ressemblent à ce qu’on connaît, le reste est strictement réservé aux Gallois).

Café au buffet de la gare de Bangor, que David Lynch adorerait.

Basta Now #6 Ghosts

Ce pourrait être la BO du manuscrit que je suis en train de finir, un roman de fantômes dont ce sera la troisième mouture, où le mystère s’insinue dans le quotidien, des inadaptées se rencontrent et des esprits tourmentés finissent par trouver la paix – ici, on l’entendra, ils vont jusqu’à danser sur un remix de Laura Cannell par Madame Nik Colk Void. Trois de ces titres figurent vraiment dans le roman. On peut écouter ici ce mix assez acrobatique (je superpose parfois jusqu’à trois pistes, comme dans le précédent Basta Now). Au programme :

Phantom Orchard Orchestra (Zeena Parkins, Ikue Mori, Maja Solveig Kjelstrup Ratjk, Hild Sofie Tafjord, Sara Parkins, Maggie Parkins & Shayna Dunkelman), Over the Gap;
LOONY, Summertime/Cigarettes;
Éliane Radigue, L’île re-sonante;
Pauline Oliveros, Ghostdance: Private Journeys;
Meredith Monk, Songs from the Hill: Prairie Ghost;
Meg Baird & Mary Lattimore, Ghost Forests: Between Two Worlds;
Lena Willikens, Phantom Delia;
Lana Del Rabies, Ghost;
Ectoplasm Girls, This Is;
Cucina Povera, Zoom 0005;
Sarah Davachi, Ghosts and All;
Bekah Simms, Jubilant Phantoms;
Ka Baird, Spiritus Operis;
Laura Cannell – Nik Colk Void remix, Closer to Heaven

Youyou Ciao

Je ne m’attendais pas à pleurer dans le train, encore moins à sangloter, encore moins à tant sangloter. Comme si le départ avait ouvert les vannes d’une mélancolie qui enflait depuis quelques mois. J’aurais pu écrire un livre entier pour dire la perte, le délitement, le sentiment d’un monde qui disparaît (au profit d’un autre où je n’ai pas toujours ma place et auquel je trouve peu de charme) mais aussi la beauté mélancolique de la campagne et de vies modestes, parfois rudes, qui se vivent à l’écart de la grande agitation – j’ai pour elles une tendresse infinie, si l’on fait abstraction des chasseurs, éleveurs & Cie. Pas de vanité, là où je viens de passer un mois ; pas de place pour la vanité. Hier, je n’ai pu m’empêcher de faire une dernière petite virée à vélo pour dire encore au revoir et j’ai découvert que la maison à toit de chaume qui fait face au télésiège dispose d’un minigolf privatif complet, mangé par la mousse, à 500 mètres du minigolf public (comment avais-je pu ne pas le remarquer plus tôt ?) et je me suis dit que vraiment, je devais revenir et écrire sur la frontière, même si je sais que mes camarades me manqueront, si je reviens, et que je ne me sentirai plus chez moi.

Ce matin, avant de partir, j’ai fait le tour du parc en espérant voir des chevreuils et j’ai enregistré un concert de pics-verts. Puis je suis retournée à la Villa, rejoindre Adèle et sa mère qui allaient me déposer à la gare de Bailleul, j’ai pris une dernière photo de son plus beau flanc et, quand je l’ai contournée vers l’entrée principale,

j’ai trouvé Adèle qui enregistrait les oiseaux, elle aussi.

Je vous dis à bientôt, Youyou, Adèle et Chab <3

Youyou 25

Hier, mes camarades et moi, pleinement réconcilié.e.s, avons bouclé la boucle : nous avons bu un dernier verre de dimanche soir au Mont Noir, USA.

Ce matin, en courant, j’ai dit au revoir au télésiège, à Hellegat, à Heuvelland, je n’ai vu aucun chevreuil mais le soleil s’est levé, ça faisait longtemps. Ce mois est passé très vite, bien qu’il me semble être partie depuis un an – c’est le temps élastique de ce type d’expérience. J’ai vécu la même chose à New York en 2017, ma seule autre résidence longue à ce jour : alors que le départ approche, je ne sais plus vraiment où est (ni ce qu’est) ma vie, je suis perdue, à la fois mélancolique et soulagée, un peu anxieuse mais ça, c’est à cause de mon calendrier suffoquant.

Youyou 23

Je suis retournée au Mont des Cats, cette fois pas en courant mais à vélo.

Et depuis son sommet, j’ai quasiment vu ma maison – et celle de mes parents, encore plus proche du fleuron que la mienne.

De quel fleuron je veux parler ? Zoomons un peu. Vous voyez ?

Zoomons encore un peu. Ce n’est pas un petit tas, notre 11/19 : on le voit à 39 km à vol d’oiseau. Je lui ai crié, J’arrive et j’ai même ajouté un point d’exclamation.

Il me reste trois jours pour faire une dernière fois le tour de mes coins préférés, entre le Mont Noir et Bailleul (qui me fait signe au revoir, ci-dessous). Enfin, une dernière fois… Je reviendrai, c’est sûr.

Aujourd’hui, je suis même allée dans la campagne belge au risque des chasseurs et des chiens très gros.

Le Mont Noir est une vraie ville frontière, une ville de western, avec ses saloons alignés sur une crête et, de part et d’autre, en aval, la campagne à perte de vue. Si on va derrière Edisac, on voit ceci

et si on descend derrière les arbres,

en un instant on est sur un petit chemin boueux bordé d’arbres sublimes

qui sinue entre les champs et les pâtures.

Et pour arrondir ce billet à un nombre premier d’images, voici un arbre électrique d’Heuvelland, très flou parce que je l’ai pris en photo avec mon téléphone pourri sous le crachin du matin.

Youyou 21

La fin de la résidence approche. Ce soir, nous ouvrons notre salon au public pour une heure d’échanges, c’est à 19h si vous passez dans le coin pour acheter des machins pas chers au Mont Noir (cigarettes, bière, chocolat, etc.) ou que vous venez faire des glissades dans la boue (cette partie-là du paysage n’a pas été la préférée de mon amoureuse, le week-end dernier). Dans une semaine, je commencerai à remonter à la nage un fleuve de deux mois plein de foutus trains, d’ateliers, de paperasse et cette perspective m’empêche d’éprouver la joie de retrouver ma maison, mon territoire, mes habitudes – en ai-je encore ?

Je sais désormais que je ne pourrai jamais vivre à la campagne et que les éleveurs sont des psychopathes encore plus flippants que les chasseurs, si c’est possible. La campagne est un artefact immonde et n’a rien à voir avec la nature ; la campagne est l’exploitation forcenée de la nature et sa beauté, quand on l’approche d’assez près, sent la mort et la cruauté. Je rêve qu’il existe un enfer où tous ceux qui auront passé leur vie à séquestrer et torturer des animaux et à saccager des biotopes paient pour la souffrance qui aura été leur trace sur cette planète. En attendant, et avant de m’accrocher au radiateur de ma chambre (la chambre Hadrien) pour ne pas devoir honorer mes engagements professionnels des deux prochains mois, voici trois photos que j’ai prises en courant ce matin, d’abord le parc de la villa vu depuis Saint-Jans-Cappel, puis quelques visions de la campagne – qui est si belle, vraiment, quand on n’entend pas le désespoir des vaches résonner dans des hangars clos.

Youyou 14-15-16

Jeudi, je suis allée au Mont Kemmel à vélo. Je n’ai pas vu son presque célèbre état-major en bunker, n’étant pas une passionnée d’histoire militaire – à l’inverse de Marguerite, qu’elle me pardonne : je vis chez elle mais je suis incapable de lire un de ses livres en entier. Trop de batailles, trop de noms de généraux, etc., je ne suis vraiment pas sensible à la littérature académicienne. Mais j’ai apprécié le Mont Kemmel,

sa chapelle interdite,

ses ours,

et même son ange – en oubliant qu’elle est aussi, cette ange, un monument militaire, je lui trouve une beauté très particulière et mélancolique.

Vendredi, je n’ai pas vu de chevreuil alors que j’en aurais eu bien besoin après avoir été traitée comme une employée sur la sellette par une compositrice dont je mettais le travail en valeur dans mon texte mais j’ai réussi à rester polie ; Valentina veut que j’efface toute référence à cette femme de mon livre mais je vais plutôt faire la distinction entre un individu glaçant et son travail. Valentina est arrivée ici à temps pour me consoler de ce décevant épisode. Je lui ai fait visiter tous les incontournables de mon territoire temporaire, dont Levende Toren, qu’elle m’a dit préférer à la tour Eiffel.

Elle a tout aimé : les bois, les bunkers, les chapelles, le Mont Noir ville frontière, son magasin Robot, le télésiège, le musée à domicile,

le Kosmos

et ses toilettes roses,

l’estaminet de Hellegat qui accepte de cuisiner vegan, ses bonnes bières locales, sa soul des années 50 et sa déco de brocanteur, mais aussi les arbres creux

et les crépuscules.

Youyou 13

La paix est revenue au sein de la Villa. Le trouble passager a du moins permis une légère tectonique de groupe qui était nécessaire après dix jours de vie ensemble – me vient à l’esprit que ce genre d’expérience de cohabitation pourrait faire l’objet d’une étude sociologique (ou d’une émission de téléréalité). Mon projet avance à bonds de chevreuil puisque je n’ai quasiment aucune interaction avec l’extérieur, reportant à plus tard la réponse aux mails qui continuent d’affluer, ne mettant plus un œil sur le seul réseau social auquel je sois abonné (si j’y suis particulièrement peu active, je m’aperçois quand je n’y suis pas du tout que le flux continu d’images au mieux sans intérêt, au pire agressives, autopromo, couvertures de livres et plats carnés, représente une véritable pollution de l’esprit ; je croyais m’en tenir assez loin pour épargner mon cerveau mais cette prise de distance radicale me prouve que zéro dégueulis visuel est encore mieux que 13′ par jour). Donc je suis à mon bureau face au parc, j’ai une bonne petite enceinte pour diffuser la musique dont je parle dans mon livre et parfois je souris d’aise, comme si ce mois où je m’autorise à faire ce qui est censé être mon travail, c’était des vacances. Je me suis rendu compte que c’était le cas : écrire, c’est devenu des vacances. Je rêve d’une année sabbatique. Je m’offrirais bien ça pour l’année 2023-2024, tiens, ça me sauverait peut-être la santé.

Ce matin, j’ai vu ces chevreuils traverser la frontière que marque l’orée de ce bois, près de Covemaekermetaalconstructie.

Puis j’ai traversé le fascinant Hellegat (trou de l’enfer) pour aller revoir son Kosmos et son bois pour sangliers. (Cf. Youyou 7.) En voici quatre images + un détail. Je vous laisse admirer – malgré la piètre qualité des photos.